Dans la lutte contre ce type de menaces, le renseignement est crucial, déterminant. Pourtant, les Etats d’Afrique de l’Ouest sont défaillants en la matière. Ils ne sont pas défaillants par manque de moyens.
Ils sont défaillants par construction politique. Un service de renseignement met en œuvre des orientations définies par l’échelon politique. Il revient au président de décider des principales menaces sur lesquelles les services de renseignement doivent travailler.
Le drame en Afrique de l’Ouest, c’est que le plus souvent – pour ne pas dire pratiquement toujours –, la principale menace définie par le président en place, c’est l’opposition politique. Les services de renseignement concentrent leurs moyens et leur énergie à faire du renseignement politique et négligent les autres menaces. Au risque de choquer les présidents en place, je leur confirme que l’opposition veut en effet le pouvoir. Mais ce n’est pas une menace, c’est le principe de la vie politique. Nuance ! Ils pourront surveiller leur opposition autant qu’ils le voudront, cela ne les exonérera pas de leur mission de diriger le pays au bénéfice de l’intérêt général. Un pouvoir qui flique son opposition est un pouvoir malade.
Un sujet toujours éludé
Les véritables menaces pour l’Afrique de l’Ouest sont le crime organisé (la corruption qu’il génère infiltre l’Etat dans ses plus hautes sphères) et le terrorisme, qui prospère là où l’Etat est défaillant ou dévoyé par la logique de prédation et de prébende. S’attaquer au crime organisé n’est pas une mince affaire. Il est illusoire de vouloir le faire disparaître, mais il est essentiel de le contenir. Dans cette sous-région, les narco-trafiquants côtoient certains décideurs politiques et les financent. Ils obtiennent en retour une impunité totale et développent en plus des activités légales pour blanchir leur argent. Il n’est pas rare de les voir obtenir des marchés de la part de l’Etat. L’opération « Barkhane »aurait même un contrat avec l’un d’entre eux pour des prestations de transport.
Cette collusion génère une corruption qui se propage dans toutes les sphères de l’administration et des forces de sécurité. Même jusqu’au sein de services de renseignement, qui n’hésitent pas à protéger certains narco-trafiquants ou grands commerçants (ces derniers usant de leur proximité avec le pouvoir pour s’affranchir de tout ou partie de leurs obligations fiscales). Cette gangrène est la véritable source de déstabilisation de l’Etat. C’est elle qui a provoqué l’effondrement du Mali d’Amadou Toumani Touré, dit « ATT », lequel n’a pas résisté à l’offensive du MNLA et des groupes armés djihadistes. C’est elle qui provoquera l’effondrement de la Mauritanie et du Niger.
Ce sujet n’est pas à l’agenda international : on jette un voile pudique sur cette corruption déstabilisatrice. On en parle dans les couloirs de la Banque mondiale et du FMI, mais jamais dans les rapports. On l’évoque en marge de réunions internationales comme s’il s’agissait d’un sujet anecdotique et, surtout, on ne l’aborde jamais dans les rencontres entre chefs d’Etat. Mon expérience de diplomate est que ce sujet, bien que souvent proposé par la direction Afrique duQuai d’Orsay dans les notes d’entretien adressées à l’Elysée, a toujours, en fin de course, été éludé. J’ai souvent entendu mes collègues me dire que ça ne servait à rien d’en parler, que cela ne changerait rien. Qu’en savent-ils ? On n’a jamais essayé ! La politique de l’autruche est une mauvaise habitude tenace.
Abandon, arbitraire et dégoût
Quant à la menace terroriste, la plus médiatique, c’est la seule que la communauté internationale accepte d’inscrire à son agenda. Cette menace n’est pas réellement prise en compte par les Etats de la sous-région qui préfèrent en appeler à la communauté internationale. Or la communauté internationale n’a pas de bons résultats dans le Sahel. Depuis son implication dans la région, la menace terroriste n’a cessé de croître. Il est temps pour les Etats africains de se prendre en charge en matière de renseignement. Avant d’être une question de moyens, c’est une question de volonté. Ces Etats trouvent de l’argent pour acheter des avions présidentiels, ils doivent donc bien avoir suffisamment de ressources pour financer leurs propres services de renseignement. Il leur faudra aussi professionnaliser leurs forces d’intervention de type RAID ou GIGN plutôt que de se concentrer sur la garde présidentielle.
Les réponses à moyen terme au terrorisme ne sont pas que sécuritaires. Le terrorisme vit là où l’intérêt général n’est pris en charge par personne (Etat ou autres structures). Il se nourrit des frustrations des populations et elles sont nombreuses dans la sous-région. Au sentiment de ces populations d’être abandonnées par ceux qui sont censés s’occuper d’elles s’ajoutent l’arbitraire et le dégoût. L’arbitraire, qui s’abat sur elles quand les représentants de l’Etat se comportent en prédateurs, et dégoût, quand elles constatent que c’est toujours la même minorité qui s’enrichit, que le pays aille bien ou mal.
Bien que le tableau aujourd’hui ne soit pas particulièrement réjouissant, je reste persuadé que l’avenir de cette partie de l’Afrique n’est pas sombre. A condition que des dirigeants éclairés offrent une ambition nouvelle à leur population et notamment à la jeunesse pour en libérer toute l’énergie positive. Sinon, c’est la colère de cette jeunesse qu’il faudra affronter.
Laurent Bigot
Chroniqueur Le Monde Afrique