-
Cela pouvait être le titre d’un film de science fiction. Si on était encore en 1984. L’année de mon bac. Avant d’avoir lu le livre devenu une référence dans la littérature de science fiction, cette date était déjà pour moi l’année du rêve. De l’espérance. Je m’imaginais alors, il y a trente ans, devenir « quelque chose ». Oui, c’est comme ça qu’on dit chez nous: « ad chi » pour dire « devenir quelqu’un ». Pourquoi la chose à la place de la personne ? Je ne sais. La réponse dans 84.
Ce qui est sûr, c’est que ce « devenir » n’a pu muer en réalité. Moi je suis resté moi. Pas grave. La Mauritanie est restée la Mauritanie. Bah, pas grave aussi. Mon pays n’a pas changé. Oui, oui, vous avez raison, j’exagère un peu. Je reconnais que la Mauritanie a fait un grand bond en avant.
Économiquement.
Les cultures vivrières ont cédé le pas à l’agro-business dans la Vallée du fleuve Sénégal. Une activité qui a enrichi une minorité et appauvri une majorité. Une situation de rapport de forces qui existait bien avant. Et qui continue donc en 2015. Des compagnies minières et pétrolières (Kinross, MCM, Petronas) ont débarqué en Mauritanie pour vendre le rêve aux populations. Les revenus sur 5 ans, estimés à des milliards de dollars, ont alimenté les comptes de ces sociétés à l’étranger (Canada, Australie, Malaisie) et contribué à l’émergence d’une classe de nouveaux riches qui tente aujourd’hui de bousculer une économie de rente bien installée. Cela arrive en 2015 mais c’est une répétition de 1978, 1984, 2005 et 2008. A chaque fois que le pouvoir changé de main.
Socialement.
Le mode de vie n’est plus le même. Des pratiques ont changé en bien, d’autres en mal. La scolarité n’est plus considérée comme une « pression » de l’extérieur, mais un « mal nécessaire ». L’école étrangère, dans une optique proche de celle de L’Aventure ambigüe, n’est plus combattue par les milieux conservateurs mais elle reste « en conflit » avec les mahadras (écoles coraniques). Pour une question de préséance de la langue et « d’occupation » du marché du travail. Comme en 1966 et en 1979. La question divise encore aujourd’hui en 2015.
Politiquement.
La Mauritanie de Taya (1984-2005) n’est différente en rien de celle d’Aziz au pouvoir depuis 2005. Oui, oui, ne vous étonnez pas. Il y avait bien, durant la transition militaire, un fauteuil pour deux, malgré les dénégations d’Ely. On parle de démocratie alors qu’on est en pleine « démogachis ». On tourne en rond. Notre modèle politique est continuellement remis en cause. Ça marche un temps, tout le monde applaudit. Jusqu’au prochain coup d’Etat. On « rebelote ». On passe plusieurs années en perte et non profits. Gouvernants, gouvernés et opposants s’en tiennent à un scénario où les rôles peuvent changer à tout moment. Ce qui sous-tend leur action, dans son ensemble, c’est l’espoir. Le temps devient alors de la valeur. « Ne soyons pas pressés, ça changera un jour », entend-on souvent. On le disait en 1984, quand Taya avait « putsché » Ould Haidalla pour remplacer le « redressement national » par le « salut ». On le dit aujourd’hui, en 2015, les dix ans de pouvoir d’Aziz n’ont pas mis fin à la controverse politico-économique. L’armée est toujours au centre des débats. Si elle n’est plus au pouvoir, ce dernier lui doit tout. En 2015, les « ébats » politiques continuent encore sur la démocratie et le rôle de l’armée. C’est le nouveau business de la classe politique. Il y a ceux qui défendent des privilèges et ceux qui réclament leur suppression.
On pensait pourtant, en 2005, que la question ne se posait plus. On nous avait dit que c’était le dernier coup d’Etat. La dernière « Rectification ». On avait même juré, la main posée sur le cœur. Pourtant, il y a eu 2008 et, si la « démogachis » ambiante ne cesse pas, rien ne nous prémunit contre le retour effectif de l’armée. La seule énigme : « quand » ?
Je sais que les derniers événements survenus au Burkina Faso ont redonné l’espoir de voir les hommes en uniformes en finir avec leur exercice favori. Le peuple burkinabé a pris conscience de sa force. Il a dit « non » ! Pour la première fois, je crois, la volonté a triomphé de la force. Mais rien ne garantit que ce sera pareil en Mauritanie, en Algérie ou en Guinée Bissau. Je cite trois exemples, il y en a au moins vingt. Les contre-exemples du « cas » Burkinabé sont là : l’Égypte, le Burundi et le Congo. Il y a toujours une « solution africaine » aux exigences démocratiques de l’Occident: le troisième mandat…ou le péril « islamiste ». Si un pays comme la France, notre « modèle », a réglé la question de l’alternance par le verrouillage des textes, nous réussirons, nous, à faire sauter ce verrou. En Mauritanie, certains avancent déjà dans cette direction en disant, à raison, que la Constitution, œuvre humaine, n’est pas le Coran. Lors de la Querelle des Anciens et des Modernes, l’un des frères Perrault disait, parlant des classiques, « ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous » ! Autrement : ils peuvent se tromper comme nous pouvons réaliser de grandes choses. La démocratie à l’occidentale est adaptable à l’Afrique. Elle ne doit pas être adoptée. Le contexte français est différent, en lui-même, du contexte américain ou allemand. Mais ils restent comparables dans leurs dispositions générales. Dans leur essence de protection des libertés et de recherche du bien-être général. Si nous Africains et Arabes comprenons cela, nous pourrons agir sur notre devenir en fonction de notre passé et de notre présent. En fait, une démocratie à la carte qui respecte les critères essentiels de liberté, d’égalité, de bonne gouvernance mais surtout d’acceptation du principe de l’alternance pacifique au pouvoir. C’est le pari de l’après 2015 pour qu’une communauté africaine confuse et sans moyens (UA), singeant mal une Onu « occidentalisée » à outrance, sorte de sa léthargie et dit “non” à ce qui se trame au Congo, au Rwanda, en RDC et, probablement, en Mauritanie.