La tentative de coup d’Etat du 22 octobre 1987 : L’intention vaut-elle l’acte ? / Par le colonle (E/R) Oumar Ould Beibacar

La tentative de coup d’Etat du 22 octobre 1987 : L’intention vaut-elle l’acte ? / Par le colonle (E/R) Oumar Ould Beibacar  Le noyau concepteur du coup d’Etat est né fin 1986-début 1987. Il était composé de six lieutenants : Sarr Amadou, Diacko Abdoul Kérim, Boye Alassane Harouna, Bâ Abdoul Khoudouss, Bâ Seydi etSy Saïdou. Le lieutenantSarr Amadou en était le chef, l’animateur et le coordinateur. De multiples erreurs, fautes et dérives avaient fait que beaucoup de personnes s’étaient retrouvées embarquées dans cette affaire sans y être conviées.

Au départ, il s’agit donc d’un groupe restreint de six officiers, contaminés par le syndrome putschiste local, déjà endémique. Leur première option était de construire patiemment et progressivement une solide organisation militaire clandestine au niveau national, puis, le moment venu, envisager un coup d’État. 

La deuxième option, plus classique, celle d’agir en déclenchant immédiatement le putsch, l’emporta et aboutit aux résultats, que l’on sait. Leur objectif était de prendre le pouvoir, en contrôler la réalité, jouer à fonds la carte de l’apaisement, rassurer le pays et les Mauritaniens, tout en préservant le pouvoir conquis.

C’est dans ce sens que le colonel Mohamed Ould Lekhal était pressenti pour occuper la fonction de chef d’État-major de l’armée nationale. Il avait été jugé que cet officier était intègre, qu’il avait de l’aura et qu’il pourrait, sous contrôle, incarner l’autorité nécessaire à la consolidation du nouveau pouvoir. 

Le principe du partage du pouvoir avec les arabo-berbères était retenu. Mais son contenu et ses modalités restaient à définir. Changer le nom du pays, le nom de la monnaie nationale, tout cela n’est que de l’affabulation. Des mensonges diffusés par les renseignements généraux pour diaboliser les conspirateurs, largement repris par Jeune Afrique à l’époque.

Victimes d’injustice

Au bout du compte c’est un commissaire de police, treize officiers dont deux capitaines et 11 lieutenants parmi lesquels deux de la gendarmerie, 21 sous-officiers comprenant cinq de la gendarmerie et deux de la Garde nationale, les brigadiers Djibril Ali Malik Sy dit Samuel Do et Kane Ibrahima qui seront reconnus coupables et condamnés par la cour spéciale de justice le 3 décembre 1987.

Tous négro-mauritaniens, recrutés pour la plupart en pleine guerre du Sahara, issus, en majorité, de la féodalité toucouleur, victimes de beaucoup d’injustice et de discrimination dans leurs promotions, dans leurs avancements, dans leurs mutations, dans leur vie sociale et professionnelle de tous les jours. Ils avaient agi par orgueil, plus pour défendre leur dignité que pour autre chose. 

L’histoire démontrera un jour que ces officiers étaient de braves guerriers, honnêtes, bons croyants, bons citoyens, fiers d’appartenir à cette Mauritanie et dépourvus de sentiments racistes ou ségrégationnistes quelconques.

Ils ont été victimes malheureusement de cette redoutable et impitoyable justice d’exception, expéditive et aux ordres, qui a condamné puis exécuté à la hâte ce dimanche 6 décembre 1987, soixante-douze heures seulement après la lecture du verdict, trois officiers considérés comme les chefs de ce groupe, avec pour motif principal d’être les premiers à se réunir pour décider du projet du coup d’Etat. 

En dehors du redoutable et téméraire lieutenant de la Marine, aucun des deux autres n’avait un commandement au moment de cette « tentative », le lieutenantSarr Amadou était en mission d’inspection à Nouadhibou pour le compte de la direction du matériel et le lieutenant Sy Saidou, qui revenait d’Espagne où il effectuait un stage d’application, était encore à l’état-major de la Gendarmerie, en instance de mutation. 

Le reste du groupe a été condamné à des peines allant de la perpétuité à 5 ans de prison ferme. Seuls sept parmi eux dont le colonel ANNE Amadou Babaly, le taciturne, ont été reconnus non coupables. « Il suffit d’ajouter ‘’militaire’’ à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi, la justice militaire n’est pas la justice, la musique militaire n’est pas la musique, …», disait Clemenceau.

Certains putschistes accusent un officier de la gendarmerie servant hors de la garnison de Nouakchott, d’autres accusent un officier de la marine de les avoir dénoncés par le biais du BED ou du ministère de l’Intérieur. 

Mais l’hypothèse la plus vraisemblable accuse un sous-officier de la gendarmerie, de l’escadron de la sécurité présidentielle, qui aurait vendu la mèche par l’intermédiaire du commandant, directeur du cabinet militaire, qui aurait présenté l’intéressé directement devant le président du CMSN afin de déjouer la conspiration en procédant immédiatement à l’arrestation des meneurs.

Enorme bavure

Il semble que c’est cette vigilance exceptionnelle, qui a fait défaut aux différents services des renseignements des forces armées et de sécurité, Police, Armée, Gendarmerie et Garde qui n’ont rien vu venir malgré les moyens mis à leur disposition, qui est à l’origine de la propulsion de cet officier supérieur au poste de ministre des affaires étrangères, puis au poste de ministre de l’intérieur avant d’être chargé de conduire la démocratisation militaire, pour ne pas dire la tribalisation de la Mauritanie, qui aboutira au CMSN ère nouvelle, période qui va durer jusqu’au 3 aout 2005.

Si le projet de ces putschistes d’octobre 1987 avait été dénoncé, en dehors de la période d’exception, ils auraient été tout simplement traduits devant un conseil de discipline et rayés des contrôles des forces armées nationales.

L’exécution de ces trois officiers constitue incontestablement, la plus grande bavure du régime d’exception. Il n’est pas évident que ce groupe d’officiers ait commis une quelconque infraction au code pénal car l’infraction se compose de trois éléments : un élément légal, un élément moral et un élément matériel.

Or dans leur cas, l’élément matériel et l’élément légal qui sont déterminants, sont absents. Il n’y avait pas eu d’élément matériel, dans la mesure où il n’y avait pas eu début d’exécution,car l’article 88 stipule : « Lorsque l’une des infractions prévues aux articles 83, 85, 86 et 87 aura été exécutée ou simplement tentée avec usage d’armes, la peine sera la mort. » ; tenter c’est commencer en vue de réussir. 

Il n’y avait pas eu de tentative puisqu’il n’y avait pas eu de commencement. Le 8 juin 2003, il y avait eu une tentative avec usage des armes, puisqu’il y avait eu début d’exécution.

Il n’y avait pas non plus d’élément légal, puisque les attentats ou complots objets des articles 83 à 87 du code pénal, ne sont considérés comme infractions contre l’autorité de l’Etat, que « quand ils sont dirigés contre des régimes constitutionnels ».
Or le 22 octobre 1987, la Mauritanie était dirigée par un régime d’exception, usurpateur, qui avait dissout la constitution et qui gouvernait en maître absolu, comme dans un territoire conquis. Certes il y avait bien une intention de prendre le pouvoir par la force qui constitue l’élément moral mais il n’est pas suffisant pour constituer l’infraction.

L’exécution de ces trois officiers constitue donc un assassinat extrajudiciaire, assimilable à un accident de travail comme pour le cas, de deux de leurs compagnons, morts de mauvais traitements et de malnutrition dans le mouroir d’Oualata.

Dans ce cas l’Etat mauritanien doit payer la diya aux ayant-droits, et les intéressés doivent tous figurer en bonne place sur la liste de nos martyrs. Les martyrs de la nation. Les autres victimes rescapées doivent aussi obtenir une juste réparation pour tous les malheurs qu’ils ont subis, y compris pour l’exil.

Les véritables acteurs, qui pouvaient agir efficacement ce 22 octobre et qui avaient échappé miraculeusement à la peine capitale, étaient le capitaine Sy Bocar, directeur adjoint du cabinet militaire et les lieutenants Ngaidé Aliou Moktar, commandant de l’escadron de sécurité présidentielle qui aurait eu pour mission de neutraliser le président du CMSN et ses proches collaborateurs, Dia Abdarrahmane, officier de permanence à l’état-major national, Kane Mamadoude la 6ème région militaire, et Diacko Abdoul Kerim du 1er BCP.

Le cas du colonel ANNE Amadou Babaly 

Le colonel ANNE est un brillant intendant, l’un des pères fondateurs de l’armée nationale, réputé pour son intelligence, sa modestie, sa courtoisie et surtout pour son honnêteté intellectuelle.

C’est lui qui, deux années auparavant presque jour pour jour, le 29 octobre 1985, avait décliné poliment l’offre du chef de l’Etat le nommant chef d’état-major national, en remplacement de son frère, feu le colonel Yall Abdoulaye, au prétexte qu’en sa qualité d’intendant il n’était pas le mieux indiqué pour commander l’armée nationale.

Il avait proposé au président de nommer à sa place, le colonel Jibril Ould Abdallahi qui avait, selon lui, de meilleures prédispositions pour cet emploi. C’est ainsi que ce dernier avait été nommé le même jour, chef d’état-major national. 

Cette réaction digne et spontanée, on ne peut plus correcte, faite dans le bureau du chef de l’Etat et en présence du colonel Jibril, démontre à elle seule que cet excellent officier n’avait aucune ambition pour prendre le pouvoir par la force, et qu’il n’était animé d’aucun sentiment sectaire ou ségrégationniste quelconque. 

Au contraire, ce comportement montre toute la noblesse de l’homme, sa très grande vertu, son sens élevé de l’honneur, du devoir, de la fraternité, de l’amitié, et son respect absolu de la déontologie de l’officier. 

Aveuglé par le pouvoir, le président du CMSN avait oublié ce noble geste du 29 octobre 1985, et avait cherché en vain, à compromettre inutilement, son compagnon d’armes, dans cette désagréable aventure.

Ainsi, ce grand officier s’était trouvé en très mauvaise posture, devant une confrontation surréaliste, qu’on lui imposait avec de jeunes officiers dont la plupart pouvaient être ses enfants, et qui n’étaient liés à lui que par le respect dû à son rang, à son âge et à la considération réciproque, sentiments très appréciés en milieu poular. A l’issue de cette épreuve difficile, le colonel Anne était sorti grandi.

Le héros

Le lieutenant Bâ Seydi de la Marine Nationale condamné à mort, s’était particulièrement distingué par son orgueil, son courage et sa témérité depuis l’enquête préliminaire jusqu’au poteau d’exécution.

Pendant la phase instruction, lorsqu’il avait été confronté avec certains de ses subordonnés, il avait dit au juge d’instruction : « Monsieur le juge, mon honneur d’officier m’empêche d’accepter d’être contredit par mes subordonnés, c’est pourquoi je vous demande de considérer comme vrai tout ce qu’ils vous disent me concernant ». 
Après le verdict, il avait dit à ses avocats : « On avait aucune intention de massacrer qui que ce soit, mais on avait bien l’intention de prendre le pouvoir par la force. Et si c’était à refaire, je suis prêt à recommencer. » 
A quelques minutes de son exécution, on lui avait demandé, comme en pareille circonstance, s’il avait quelque chose à dire ou des souhaits à formuler. L’audacieux lieutenant a répondu sereinement à son avocat maître Mohamed Cheine Ould Mouhamadou, avant de regagner le poteau d’exécution: « Oui maître, j’ai deux commissions et un témoignage. 

La première commission concerne mes parents, ma mère et mon père. Ils sont venus de Boghé et ont beaucoup souffert en apprenant mon arrestation. Ils souffriront encore plus en apprenant mon exécution, je te demande d’aller les voir pour leur demander de me pardonner.

La deuxième commission concerne mon frère qui travaille dans une banque de la place, il faut le voir pour qu’il paye une dette de 7000 ouguiya à mon créancier, un boutiquier aux environs de l’hôpital national. Quant au témoignage je voudrais vous prendre à témoins. » Puis il prononça la chahada en arabe: «J’atteste qu’il n’y a qu’un seul Dieu et que Mohamed est son prophète. » 

L’avocat lui avait promis de payer lui-même cette dette et qu’il ferait sa commission pour ses parents immédiatement.

Attachés tous les trois sur les poteaux d’exécution, tenus en joue par trois tireurs à une distance de six mètres, les trois officiers attendaient dignement la fin de leur vie qui ne tenait plus qu’à un ordre du chef du peloton d’exécution. 

Puis vint le moment fatidique:  » Feu. » Les trois premiers coups partirent, le tireur chargé de tuer le lieutenant BA Seidi le blessa à la hanche, l’officier aurait dit, selon plusieurs témoins, à son bourreau : « Tu m’as blessé, lève le tir, vise très bien »Seidi BAH. Seidi BAH. Seidi BAH.

Par ce comportement exceptionnellement courageux, ce martyr originaire du Fouta, avait démontré qu’il existait en Mauritanie le 6 décembre 1987 àNouakchott, des hommes qui avaient, devant l’épreuve de la mort, autant de témérité que le martyr Saddam Hussein exécuté par pendaison le 30 décembre 2006 à Baghdad. Enfin, les trois officiers rendirent leur dernier souffle en implorant Allah au cri d’Allah Akbar, Allah Akbar, Allah Akbar.
LA ILAHA ILLA ALLAH MOHAMEDOUNE RASSOULOU ALLAH. 

Puisse ALLAH le tout puissant, accueillir nos martyrs dans son paradis. Puisse-t-il faire que la Mauritanie se réconcilie un jour avec ses enfants du Fouta, du Walo et du Guidimagha.

Source : Le Calame (Mauritanie)