« Que l’une des parties décide d’inviter, unilatéralement à ce qu’elle appelle « dialogue simple » ou « concertation », relève plus de la provocation que de la concertation ou du dialogue »
Le Calame : En dépit du refus des deux pôles de l’opposition (FNDU et CUPAD), le pouvoir a organisé du 7 au 14 Septembre, des journées de concertations, préludes à un dialogue national. Comprenez-vous pourquoi a-t-il unilatéralement rompu le processus engagé, depuis des mois, avec l’opposition ?
Mohamed El Moustapha ould Bedredine : L’observation attentive des dialogues précédents permet de comprendre le sens de l’abandon ou de la renonciation à poursuivre le dialogue avec le Forum.
Les dialogues passés, y compris celui de Dakar, ont évolué de deux façons : la première est un dialogue continu, jusqu’à l’aboutissement d’accords. Mais leurs résultats ne rencontrent pas de terrain favorable d’application. Exemples : les accords de Dakar et ceux conclus avec la CAP.
La deuxième évolution se signale par une rupture du dialogue, au cours des discussions, afin que le pouvoir mette en œuvre son agenda unilatéral. Exemple : les concertations, lors des élections municipales, législatives, en 2013, et présidentielle, en 2014. Et la même chose s’est produite pour le dialogue dont on parle maintenant.
D’habitude, le régime conçoit, pour toutes les élections, un agenda unilatéral (irréversible, au fond) dont il invite l’opposition à discuter. Ensuite, il renonce à la concertation en cours et, même après la signature sur les résultats des accords, applique son agenda prémédité.
– Pouvez-vous expliquer, aux Mauritaniens, pourquoi l’opposition refuse de prendre part à de « simples journées de concertations nationales », comme l’avance le pouvoir ?
– Lorsque le pouvoir a rompu le dialogue de façon unilatérale, sans aucune explication claire, un climat empreint de défiance s’est à nouveau imposé, comme il le fut avant, à cause des échecs répétés des dialogues précédents.
Aujourd’hui, l’invitation aux concertations annoncées par une seule partie complique encore la situation, suscitant plus de mécontentements, non seulement au sein du Forum, mais, aussi, de celui de la CUPAD et d’AJD/MR également.
En réalité, toutes les parties de l’opposition réclament un dialogue et non une concertation. Le dialogue mobilise deux parties : le pouvoir et l’opposition. Et pour ce faire, les deux parties doivent se mettre d’accord, d’abord, sur les conditions du dialogue : objectif défini, ordre du jour, lieu de concertation, temps (durée), délégations des deux parties (effectif et profils).
Que l’une des parties décide d’inviter, unilatéralement à ce qu’elle appelle « dialogue simple » ou « concertation », suite au refus de l’opposition, relève plus de la provocation, que de la concertation ou du dialogue. C’est pourquoi toutes les composantes de l’opposition ont décidé de le boycotter, de le rejeter en bloc.
C’est un précédent dangereux dans l’histoire du pouvoir. Les fois passées, il a toujours réussi à tirer vers lui une partie de l’opposition dans ces « fameux » dialogues. Aujourd’hui, toutes les parties de l’opposition ont vécu des expériences, individuelles ou collectives, qui les ont convaincues du manque de sérieux du pouvoir, à respecter les engagements pris lors des dialogues passés.
– Que peuvent attendre les Mauritaniens de ces journées ?
– Un document de propagande a été diffusé, ces jours-ci, et dont une copie sera ajoutée aux archives du parti au pouvoir. L’UPR est plein de ce genre de papiers, dont l’usage s’arrête à la simple lecture. Pire, ces journées de concertation ont fortement affecté les espoirs des Mauritaniens, quant aux possibilités de parvenir à une entente des forces politiques, pour sortir le pays de la crise où il se débat, suites aux politiques déficientes du pouvoir en place.
– Dans un communiqué publié lors de son point de presse, vendredi dernier, le Forum a annoncé que l’opposition se dresserait contre toute tentative de modification de la Constitution, notamment sur la durée des mandats ou la nature du régime. Redoutez-vous de telles initiatives du pouvoir ? Le cas échéant, que pourrait faire l’opposition pour l’en empêcher ?
– Le régime est en train de se débattre dans plusieurs crises. Cependant, ce qui le préoccupe le plus, c’est le sort du président Mohamed ould Abdel Aziz, après la fin de son mandat actuel. La Constitution ne lui permet pas d’en contracter un troisième. Et il est le premier à savoir qu’il laisse, derrière lui, de douteux et frelatés dossiers, relatifs à sa gestion.
Le serment qu’il a prêté lui impose de quitter le pouvoir, dès la fin de son second mandat. Mais le fait de réfléchir à son avenir personnel peut bien lui inspirer d’autres idées, pour se préparer un successeur de confiance. Ce scénario a été déjà expérimenté, mais sans succès, avec Ely ould Mohamed Vall et Sidi ould Cheikh Abdallahi. La deuxième possibilité porte sur la modification, à la burkinabée, de la Constitution : il en sait les risques…
Mais il peut, aussi, réfléchir de façon conséquente et poser son problème dans le cadre général de l’alternance au pouvoir, dans le pays. Dès lors, le véritable dialogue devient la voie incontournable, à prendre avec l’opposition engagée à tracer la voie consensuelle, assurant une alternance souple et pacifique, orientée sur la ligne du développement et de la bonne gouvernance, garantissant pour tous les Mauritaniens (y compris lui-même et ses semblables), la sérénité de leur avenir et celui de leurs enfants.
A contrario, la logique des journées de concertation relève de l’agenda unilatéral, pour traiter les crises que je viens de citer. Cet agenda n’aboutira qu’à une modification de quelques articles de la Constitution relatifs aux mandats ou à imposer un successeur de « confiance », pour l’avenir du Président et sa famille. Voici, en fait, la situation à laquelle l’opposition va faire face, de toutes ses forces. Et l’opposition ne sera pas seule dans cet élan.
Le peuple mauritanien n’a pas donné un écho favorable aux intentions du Président. Au contraire, ses projets ont été ignorés par les citoyens, lors de ses dernières tournées à l’intérieur du pays Et l’opinion internationale est aussi réfractaire à ces manœuvres…
– Avec la demande de report de la CUPAD, pour la tenue des journées de concertations et son refus d’y participer, peut-on s’attendre à un rapprochement entre FNDU et la CUPAD ? Des démarches auraient-elles été prises en ce sens ?
– Ce rapprochement existe bel et bien ; pas seulement entre la CUPAD et le Forum mais entre toutes les composantes de l’opposition, étant donné que tout le monde a boycotté ces concertations. De façon spécifique, les initiatives de rapprochement entre les pôles de l’opposition sont en cours à des niveaux informels.
Propos recueillis par Dalay Lam