Trois questions à Mohameden Ould Elbou, ancien directeur de l’Enseignement fondamental et membre du comité de suivi du Manifeste des Haratines: ‘’Nous assisterons, impuissants, à la dislocation à petit feu de la Mauritanie’’!
Le Calame : Dans un peu plus d’un mois, ce sera l’an I du lancement du Manifeste dont vous êtes membre du comité de suivi. Où en est-on, par rapport aux objectifs du document ?
Mohameden Ould Elbou : Le Manifeste constitue, pour ses promoteurs, un cri du cœur, un appel adressé à tous les segments de la société, afin que le problème de l’esclavage et la question Haratine soient pris en charge, par tous, avec plus de sérieux, pour la garantie d’une meilleure cohésion sociale. C’est un document qui a été conçu, par un groupe important de l’élite haratine, dans le cadre d’une large concertation avec des personnalités éprises de justice, issues de toutes les composantes du peuple, qui l’ont enrichi à travers des points de vue constructifs. Après sa publication solennelle, en présence des organisations de la société civile, des érudits et des partis politiques, il a été procédé à la mise sur place d’un comité de suivi de plus de soixante personnes, issues de toutes les composantes nationales, qui s’est déjà réuni pour élaborer des stratégies et des plans d’action en vue d’une vaste campagne de sensibilisation auprès des autorités, des partis politiques et de la société civile et porter le message dans tous les coins et recoins du pays. Les promoteurs du manifeste estiment que l’implication de tous les Mauritaniens est la seule garantie de son succès. Ce que nous regrettons, c’est qu’après la publication de ce document qui constitue une nouvelle vision, traitant le problème dans toute sa dimension, nous n’avons pas reçu aucun feed-back, ni de la part des autorités qui l’ont royalement ignoré, ni de celle de plusieurs formations politiques. Nous sommes centristes : ni du côté de ceux qui nient l’existence de l’esclavage, moins encore du côté de ceux qui appellent à l’extrémisme. Il n’y a pas eu le sursaut attendu. Cependant, on n’est pas découragé. On va continuer cette œuvre nationale, dans un contexte marqué par la menace de la désunion nationale et l’absence de réponses, claires, aux problèmes posés.
La fondation de l’agence Tadamoun et la nouvelle plateforme, en vingt-neuf points, pour lutter contre les séquelles de l’esclavage, qu’est-ce que cela vous inspire ?
– La fondation de Tadamoun aurait dû, à mon avis, avoir fait l’objet d’une large concertation nationale des experts, des personnalités qualifiées, des oulémas, des érudits, des organisations de la société civile et des partis politiques. Cela aurait permis d’élaborer une feuille de route sur les problèmes liés à l’esclavage, penser des stratégies et identifier des actions et des activités, claires, dans tous les domaines. Essentiellement, par exemple, dans celui de l’éducation qui constitue un levier qui garantit la promotion, à travers l’école, des couches défavorisées. Or, comme vous savez, notre système éducatif est léthargique. Les riches envoient leurs enfants dans les écoles d’excellence et laissent, aux pauvres, les écoles publiques délabrées. Fonder une agence avant d’en définir la mission, c’est un peu comme mettre la charrue avant les bœufs. L’esclavage et ses séquelles sont des phénomènes de société qui ont des implications multidimensionnelles qui ne se règlent pas à coup de décrets. Dès la fondation de Tadamoun, nous avions des appréhensions sur la possibilité de son instrumentalisation politique, surtout à la veille des élections. Depuis, on a rien vu de concret. Pas de vision claire. De mon point de vue, elle est largement en deçà des attentes et des espoirs placés en elle.
Quant à la plate-forme, je n’y vois rien de nouveau. La loi obligeant l’envoi des enfants à l’école date de 2001. Juste des textes qui existaient et ne sont toujours pas appliqués. La plate-forme ne garantit pas, non plus, leur application. On continue à instrumentaliser politiquement une question si importante. Mais, comme disait Clemenceau, la guerre est trop grave pour la confier à des militaires. Il faut le courage de prendre le taureau par les cornes, en reconnaissant, officiellement, que l’esclavage existe.
A votre avis, comment va la Mauritanie ?
– La situation nationale se caractérise par une crise multidimensionnelle. D’abord, une impasse politique. Nous ne sommes pas dans une démocratie apaisée. Entre le pouvoir et l’opposition, c’est un dialogue de sourds. Crise politique permanente. Le pouvoir a organisé des élections non consensuelles qui n’ont été ni justes ni transparentes et n’ont pas permis de voir le bout du tunnel. L’élection présidentielle qui se profile risque de se passer dans les mêmes conditions, puisque les autorités ne semblent pas prêtes à faire la moindre concession. Economiquement, il y a une grande dégradation du pouvoir d’achat, une véritable paupérisation, les prix grimpent, inexorablement ; le chômage augmente, surtout chez les jeunes diplômés. Socialement, l’unité nationale est menacée dans ses fondements, la question de l’esclavage et de l’exclusion des Haratines n’est pas convenablement prise en charge, le passif humanitaire a été mal réglé, la transgression de nos valeurs islamiques est devenue monnaie courante. Toutes choses qui traduisent l’existence d’une véritable et profonde crise morale. A partir de là, tout le monde doit prendre conscience des dangers qui guettent le pays. Nous devons tous accepter de nous mettre autour de la table, pour traiter, de manière sérieuse, nos problèmes nationaux, afin de leur trouver des solutions appropriées. Autrement, nous assisterons, impuissants, à la dislocation, à petit feu, de la Mauritanie.
Propos recueillis par Sneiba
19 MARS 2014
ÉCRIT PAR LE CALAME