Une nouvelle loi durcit la répression de l’esclavage. Mais les autorités semblent toujours peu enclines à éradiquer cette pratique répandue. Et préfèrent souvent l’ignorer. « En Mauritanie, ce sont les abolitionnistes qui sont en prison, pas les esclavagistes ! »
Secrétaire aux relations extérieures de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Balla Touré était supposé se réjouir de voir son combat contre l’esclavage consacré par l’adoption, mi-août, d’une nouvelle loi affirmant le caractère imprescriptible de cette pratique, désormais considérée comme un crime contre l’humanité.
Mais, comme la plupart des militants mobilisés sur cette question, il ne se fait aucune illusion : « C’est une bonne chose de durcir les peines encourues, mais encore faudrait-il appliquer la loi, tempête Balla Touré. Or les autorités sont en plein déni face à la persistance des pratiques esclavagistes. »
Les abolitionnistes visés
De fait, le président Mohamed Ould Abdelaziz a une tout autre grille de lecture que les organisations de la société civile telles l’IRA ou SOS Esclaves. « L’esclavage n’existe plus dans le pays. Seules subsistent des séquelles de ce phénomène, que nous faisons tout pour traiter », déclarait-il en mai.
Au passage, le chef de l’État décochait une flèche empoisonnée aux abolitionnistes, les accusant de faire de leur cause « un fonds de commerce ». « Les mécanismes de lutte contre l’esclavage ne manquent pas, mais les procédures restent dans les tiroirs », témoigne Aminetou Mint El Moctar, la présidente de l’Association des femmes chefs de famille (AFCF), qui juge que « les esclavagistes bénéficient d’une totale impunité ».
Les abolitionnistes constatent qu’au cours des dernières années une seule condamnation pour esclavage a été prononcée par les tribunaux mauritaniens. Et l’homme a écopé de deux ans de prison seulement, alors que la peine plancher était théoriquement de cinq ans. Il a en outre bénéficié d’une remise en liberté au bout de quatre mois.
À l’inverse, le représentant emblématique de la cause abolitionniste, Biram Ould Dah Ould Abeid, président de l’IRA et candidat malheureux à la dernière présidentielle, est incarcéré depuis novembre 2014 pour avoir lancé une campagne de sensibilisation à l’esclavage foncier dans le sud du pays. Condamné à deux ans de prison, son jugement a été confirmé en appel le 20 août.
Certes, la nouvelle loi représente un jalon important dans la succession de textes réprimant l’esclavage en Mauritanie, mais sa mise en application se heurte à l’enracinement profond de cette pratique d’un autre âge au sein de la société maure.
Car si les différentes communautés mauritaniennes, beïdanes comme négro-africaines, ont en commun une subdivision en castes qui tend à priver les plus basses d’une citoyenneté pleine et entière, les Maures se distinguent par le « degré » auquel ils ont poussé l’institutionnalisation de cette pratique générale, « comme on le constate à propos des Haratines, vaste population d’esclaves maures [noirs] « libérés » et de leur descendance », analyse la sociologue Amel Daddah.
Histoire de l’anti-esclavagisme dans le pays
En 1905, un décret des autorités coloniales françaises avait pourtant aboli l’esclavage. Mais, à l’indépendance, ce texte n’a pas été intégré au dispositif juridique, la Constitution de 1961 se contentant d’évoquer l’égalité entre les citoyens.
Vingt ans plus tard, sous le régime du militaire Mohamed Khouna Ould Haidalla, une ordonnance l’abolissait officiellement dans le contexte d’une vaste refonte des textes fondamentaux consécutive à l’adoption de la charia.
À l’époque déjà, une commission concluait que l’esclavage en tant qu’institution n’existait plus en Mauritanie et que seules subsistaient certaines « séquelles » dans les mentalités, en raison notamment du faible développement économique et de la pauvreté. Une logique qui, d’après Balla Touré, est toujours au cœur de la problématique : « L’esclavage a d’abord une fonction économique, qu’il s’agisse de s’assurer les services d’une domestique ou d’une main-d’œuvre gratuite pour faire paître ou abreuver le bétail. »
Ce n’est qu’en 2007 que le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi fera adopter la première loi réprimant l’esclavage. Texte qui vient d’être révisé à l’initiative de son successeur, Mohamed Ould Abdelaziz, afin de le rendre plus exhaustif et répressif.
Dernier scandale : 200 à 300 jeunes Mauritaniennes ont été séquestrées en Arabie Saoudite
La nouvelle loi : innovations et limites
Entre autres innovations, la nouvelle loi double les peines maximales encourues par les esclavagistes, lesquelles passent de dix à vingt ans d’emprisonnement. Elle criminalise par ailleurs onze formes distinctes d’esclavage – dont le mariage forcé.
La loi permet en outre aux ONG reconnues de se constituer partie civile. Dans son exposé devant les députés, Brahim Ould Daddah, le ministre de la Justice, a fait valoir que « le pays traverse une phase cruciale qui requiert l’éradication de toutes les pratiques répréhensibles du passé ».
« Cette loi est avant tout destinée à la communauté internationale », estime, sceptique, Aminetou Mint El Moctar. Voir accoler régulièrement l’étiquette de pays esclavagiste à la Mauritanie est en effet de nature à perturber la stature diplomatique acquise par son président.
En 2014, l’ONG Walk Free classait la Mauritanie en première position mondiale par le taux d’esclavage – qu’elle estimait à 4 % de la population, soit plus de 150 000 personnes. « Ce n’est pas un hasard si cette loi a été adoptée peu avant l’examen périodique universel du pays par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, prévu en novembre 2015 », ironise Balla Touré.
Derniers scandales d’esclavage
Procès d’intention ou analyse lucide ? Le scandale qui a éclaté à Nouakchott début juillet sera l’occasion de tester les nobles intentions affichées par les autorités : 200 à 300 jeunes Mauritaniennes – essentiellement haratines – parties en Arabie saoudite pour y trouver un emploi auraient en fait été séquestrées par de riches Saoudiens qui leur auraient infligé divers sévices, notamment sexuels, sans qu’elles touchent bien sûr la moindre rémunération. Au cœur de ce trafic, une simple mère de famille mauritanienne parvenue à obtenir passeports et visas sans difficulté.
« Il y a forcément un réseau ou des personnalités influentes derrière elle », analyse Aminetou Mint El Moctar, qui épaule les familles, dont une vingtaine ont porté plainte à Nouakchott. Le parquet a saisi la police judiciaire pour obtenir un complément d’enquête. Mais malgré les témoignages circonstanciés déjà recueillis et la gravité des faits allégués, l’organisatrice de cette traite n’a pas encore été inquiétée.
Beaucoup de lois, peu de résultats
Malgré les critiques dont il fait l’objet de la part des associations abolitionnistes, le président Abdelaziz n’a pas chômé pour étoffer le dispositif de lutte contre l’esclavage et ses séquelles. Inscrite dans la Constitution depuis 2012, l’assimilation de l’esclavage à un crime contre l’humanité figure désormais dans la loi.
Créée par décret en 2013, l’Agence nationale Tadamoun pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, l’insertion et la lutte contre la pauvreté vise notamment l’amélioration des conditions de vie des anciens esclaves. L’année suivante, le régime a également adopté une feuille de route pour éradiquer les formes contemporaines d’esclavage.
Les dispositions qu’elle contient, recommandées quatre ans plus tôt par Gulnara Shahinian, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage, doivent le combattre par une approche multisectorielle, au travers des domaines juridiques, économiques et sociaux. En revanche, la Cour spéciale pour crime d’esclavage, dont la création avait été annoncée fin 2013, demeure une coquille vide. Ses magistrats n’ont pas été nommés et elle n’a jamais siégé.
Source : Jeune Afrique