Haratines : Identité, Démarcation et Conscience Politique – Une interpellation à Lô Gourmo Abdoul

Depuis l’irruption du débat sur l’identité haratine dans l’espace public numérique, la position de l’intellectuel de renom, le professeur Lô Gourmo Abdoul est systématiquement instrumentalisée comme caution morale et intellectuelle, opportunément mise à profit pour appuyer la rhétorique vacillante d’un ordre néo-esclavagiste qui ne démord pas de sa volonté de se perpétuer.
Il semble que le professeur Lô Gourmo se soit laissé entraîner, volontairement ou par souci d’exigence intellectuelle, dans une manœuvre de détournement du débat, d’un imperatif de démarcation politique des Haratines, on ne peut plus légitime, vers l’amplification d’une question d’identité, par son introduction sous le prisme d’un artifice académique pour le moins fantaisiste et contrariant.
il est heureux de constater, dans sa dernière intervention » les haratines sont la Mauritanie « 

qu’il soit descendu –pour une fois — des hauteurs de sa tour d’ivoire académique, mis en veilleuses ses redoutables démonstrations d’ordre sociologique, anthropologique et ethnologique, pour ainsi ouvrir la voie à un débat plus horizontal, qui permet, à nous autres — apprentis intellectuels et politiciens amateurs __ de partager avec lui nos appréhensions— mais aussi d’exprimer notre malaise face à ce qui s’apparente à une tentative d’imposer une forme de dictature intellectuelle, à coups d’affirmations tranchées et de postulats intangibles, visant à discrediter une dynamique jugée vouée à l’echec et à délégitimer des aspirations jugées utopiques.

Qu’il nous permette dès lors de lui souligner que, l’enjeu majeur du débat, réside dans la volonté affirmée de consacrer une démarcation politique assumée, garantissant aux Haratines une participation pleine, visible, équitable et substantielle dans la conduite des affaires de l’État. Naturellement, cette dynamique ne saurait se concrétiser sans une véritable autonomie sociale et une souveraineté de conscience, seules capables de libérer les Haratines des chaînes invisibles du conformisme néo-esclavagiste.
Le discours combatif, support indispensable de cette dynamique, conjugué à l’évolution des mentalités sociologiques qu’elle implique, contribuera — au-delà de l’héritage identitaire, qu’il soit esclavagiste ou commun — à définir les contours d’une identité haratine militante, désormais incontournable.
En focalisant subtilement le débat sur une demande d’identité haratine, somme toute légitime, il semble se complaire de cette orientation réductrice que lui ont voulu ceux pour qui, l’identité arabe de la Mauritanie et la « bidhanité » des Haratines constituent des leviers stratégiques de domination, de confiscation et de perpétuation de l’ordre social établi.
Ce recadrage s’avère d’autant plus nécessaire que Monsieur Lô Gourmo persiste dans ses affirmations tranchées telles que : « les Haratines sont des Maures noirs, des Suudaan » ou encore « les Haratines sont la Mauritanie », des formules qui méritent d’être interrogées dans leur portée et leurs implications.
La première affirmation a le mérite d’offrir l’opportunité d’attirer l’attention de Monsieur Lô Gourmo sur deux observations essentielles. La première concerne le terme « Suudaan » qui, bien qu’il paraisse le plus approprié, demeure paradoxalement peu utilisé. Ce rejet implicite de ce terme s’explique par le fait qu’il est souvent perçu comme un euphémisme du mot « esclaves », qu’il contribue à invisibiliser les attaches néo-esclavagistes encore persistantes, et qu’il comporte le risque d’une confusion identitaire, qui légitimerait aux Haratines de s’auto-identifier aux Négro-mauritaniens, du fait de la référence explicite à la couleur noire contenue dans cette dénomination;
la seconde remarque tient au fait que l’expression est doublement erronée sur le plan linguistique, notamment en hassaniya. En effet, « Maure blanc » se traduit par « Bidhani ebyadh », une redondance inutile puisque le terme « Bidhani » contient déjà la notion de blancheur. Quant à « Maure noir », sa traduction correcte serait « Bidhani ekhal », c’est-à-dire un Maure à la fois noir et blanc, formulation qui illustre toute l’ambiguïté identitaire que cette appellation véhicule.

S’apesantir sur ces combinaisons lingustiques en hassaniya peut sembler ennuyeux , mais vaut bien la peine pour dévoiler la subtilité de l’enjeu identitaire des Haratines: au sein de la communauté maure globale ils sont haratines pour marquer leur statut social, pour l’extérieur ils sont bidhanes noirs pour enraciner l’idée de leur appropriation. C’est dire que même dans les dénominations, l’idée de contenir les haratines est encore présente. Comme quoi le droit de « s’auto-dénommer » comme celui de  » s’auto-identifier » s’imposent en l’occurrence comme des nécessités d’autonomisation et partant d’émancipation.

S’agissant de son affirmation selon laquelle « les Haratines sont la Mauritanie », et au regard de ses précédentes prises de position sur ce débat, celle-ci résonne davantage comme une flatterie convenue — de celles par lesquelles on cherche trop souvent à exploiter la crédulité des Haratines — à l’instar de cette formule hypocrite, selon laquelle ils se compléteraient avec leurs anciens maîtres comme le blanc et le noir de l’œil. Toutefois, compte tenu de l’indépendance intellectuelle de Lô Gourmo, de sa clairvoyance et de sa maturité politique, on peut raisonnablement espérer que cette formule traduit une vision d’avenir porteuse, à laquelle la conscience militante haratine ne pourrait que pleinement s’identifier. À condition toutefois qu’ils parviennent à ce niveau de fiabilité, grâce à l’épanouissement et à l’émancipation nécessaires pour assumer ce rôle en pleine conscience, avec lucidité et souveraineté. Pour atteindre cet objectif, nul choix ne serait plus judicieux que celui du non-alignemen constitutionnel et politique des Haratines et de leur émancipation du carcan néo-esclavagiste, condition essentielle à la désarticulation des structures sociales archaïques et rétrogrades, et à l’ouverture d’un horizon nouveau fondé sur la citoyenneté pleine et entière, et sur l’engagement résolu en faveur du progrès.
Au demeurant, l’on ne saurait manquer de saisir l’opportunité offerte par ce débat pour souligner toute la complexité de la problématique haratine, et interpeller le professeur Lô Gourmo sur le rôle constructif et éclairé qu’il est en mesure de jouer dans la voie de sa résolution. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre sa propension à prescrire aux Haratines une définition de leur identité, en leur indiquant ce qu’ils sont ou devraient être, plutôt que de reconnaître à cette communauté le droit de se définir par elle-même. Ce faisant, il importe de rappeler que les Haratines sont les victimes d’une injustice historique, et que leur cause mérite d’être traitée avec bienveillance, appui et encadrement — plutôt qu’à travers une rigueur intellectuelle qui refuse de les assumer en tant que tels, et dont les relents de rivalités politiques sont à peine dissimulés. Tels un patient conscient de sa propre souffrance, les Haratines sont les seuls à pouvoir indiquer l’origine de leur douleur, et à déterminer, en connaissance de cause, la posture à adopter pour y remédier.
Faire fi des aspirations portées par leur conscience militante relève une fois de plus d’une imprévoyance politique, d’une méprise de l’evolution socio-politique du pays et d’une fuite en avant face aux impératifs de transition politque et sociale, aux conséquences imprévisibles.
Monsieur Lô Gourmo Abdoul, les Haratines ne sauraient désormais être identifiés qu’à travers ce qui les affranchit du joug du néo-esclavagisme systémique — et ce n’est certainement pas d’être étiquetés comme “Maures noirs”.
Monsieur Lô Gourmo, l’expression « Maures noirs » est une séquelle de l’esclavage qui sous entend un deficit de dignité, de liberté, de souveraineté et d’autonomie. Si le rapport de force l’imposait par le passé il est aujourd’hui blessant de demander aux Haratines de s’y identifier!
Je ne serais guère surpris que vous m’ objectiez l’insoutenabilité scientifique de cette position au regard des sciences sociales. Soit. L’histoire, elle, imposera son rejet pour de bon — et nul doute qu’elle finira par donner raison à la conscience militante haratine, comme elle l’a déjà fait jadis pour le mouvement El Hor.

Le 12 Septembre 2025
MOHAMED DAOUD IMIGINE