Les Haratines ne sont Bidhane que incidement …

 

J’ai toujours été opposé à toute définition identitaire des Haratines, convaincu que l’identité n’est qu’une construction, un imaginaire linguistique qui ne reflète pas la réalité de ce qu’ils sont. La définition la plus juste et indéniable est que les Haratines sont les victimes d’un long passé d’esclavage et subissent aujourd’hui les effets des politiques économiques discriminatoires systématiques. Ils sont l’exemple le plus flagrant de l’échec de notre État nation.
C’est pourquoi je me sens poussé à réagir à l’article de mon ami Abass Braham sur la Haratinité. Dans son dernier article, il décrit les Haratines comme un état fluide et paradoxal sans ancrage réel. Pour lui, les Haratines sont tout sauf Haratines (Beydan Sanhaja Arabe) et cette fragmentation infinie des Haratines continue sans cesser jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à saisir. Dans ce cas, ils les résument à des êtres stériles et passifs.
Les Haratines n’apparaissent comme une essence et un état particulier que lorsqu’ils sont juxtaposés comme l’opposé des Beydani. Le souci d’Abass d’éviter l’essentialisme de droite l’a amené à confiner les Haratines dans une intersectionnalité identitaire infinie qui ne peut servir de base aujourd’hui à la construction d’une conscience réelle de ce qu’ils représentent. Cette approche identitaire est hautement embuchée. En plus de transformer les Haratines en une simple absurdité conceptuelle, elle les dépouille de toute question centrale et rompt leur lien avec toute réalité concrète. Ils flottent ainsi à la surface d’un idéal et d’une abstraction où il est impossible de saisir une quelconque racine matérielle.
Alors, face à quel Haratine sommes-nous lorsqu’ils ne sont pas les porteurs d’une question sociale spécifique ? Parler des Haratines de manière aussi romantique les prive de ce qui définit le plus leur Haratinité : l’injustice sociale et sa continuité. Cette injustice perd sa colère et sa tristesse sous l’ombre de ce relativisme identitaire. Et qu’est-ce que l’injustice lorsqu’elle perd sa colère ? L’injustice se définit que par la colère. Et lorsqu’il y a injustice, la tristesse seule ne suffit pas, quelle que soit la noblesse de cette tristesse.
C’est là une partie de mon problème avec ce qu’a écrit mon ami. Il accorde aux Haratines une tristesse historique passive. Les Haratines sont les militants contre les politiques d’appauvrissement. Ils sont les enfants de l’État nation, soumis à toutes sortes d’oppressions, d’appauvrissement, d’ignorance, de marginalisation et de violations de l’âme et du corps. Cette conscience de l’injustice est ce qui définit les Haratines, et c’est une conscience qui se condense à travers la lutte et la résistance ferme face à la violence étatique et à l’arrogance et à la brutalité exercées par les appareils de l’État sur leurs âmes et leurs corps.

MOHAMED JIBRIL
Le Calame