Le 1er Octobre 2024, un décret signé du président Ghazouani décidait d’opérer un changement à la direction du cabinet du Premier ministère : madame Aïche Vall Vergès, descendante d’une famille de l’Assaba dont la lignée remonte à l’aristocratie française, était « remerciée » pour ses fonctions. Je dis « remerciée » parce qu’il est difficile de croire qu’elle puisse en être « relevée », c’est-à-dire, en jargon administratif consacré, « limogée ». Qui est derrière cette décision inattendue ? Le président de la République ou le tout nouveau Premier ministre ?
Difficile en tous cas pour moi de croire qu’une telle décision ait été prise par Ould Ghazouani, un président généralement « inoffensif » et rarement cité derrière les changements de fonctions opérés dans la sphère du Palais ou celle de la Primature. Difficile surtout à croire parce qu’Aïche Vall Vergès n‘est pas n’importe qui. Ni sur le plan professionnel, ni sur le plan politique. Master en gestion de politique économique du prestigieux Centre d’études et de recherche sur le développement international de Clermont-Ferrand (France) et de surcroît seconde de sa promotion, c’est une des femmes mauritaniennes les plus bardées de diplômes. Et, au-delà même de ses compétences professionnelles et académiques, elle affiche un profil d’honnêteté et d’intégrité morales qu’on retrouve rarement dans le panel des personnalités publiques renommées de chez nous. Sur le plan politique, elle est très respectée des jeunes, des intellectuels et dans les quartiers à forte densité de votants.
Ould Diay, une menace sur les compétences ?
Depuis 2019, date à laquelle Aïche Vall entra dans la sphère de la responsabilité publique et jusqu’à son « remerciement », le parcours de cette femme consciencieuse, responsable et très compétente n’a jamais été entaché – même pas une seule fois – par des problèmes liés de près ou de loin à des malversations, à la gabegie, la corruption ou la mauvaise gouvernance. Comment donc expliquer cette décision inattendue prise au sommet du pouvoir ? Guerre des clans au niveau régional ? Ou au sein de l’INSAV dont elle occupa, en 2018, le prestigieux poste de présidente du réseau des femmes-leaders ? Vengeance de certains de ses ennemis ? Règlement de compte politique ? Rien de tout cela ? Pour certains analystes politiques, il fallait pourtant bien s’attendre à de telles surprises : Ould Diay « le prédateur » est intelligemment en train de marquer les limites de son territoire, en plaçant autour de lui des hommes taillés à la mesure de son autorité très contestée et de ses ambitions politiques.
Peut-on donc penser que cette décision signée par le président de la République déclenche une sirène d’alarme annonçant le début d’une vaste offensive lancée par Ould Diay pour mener des opérations de « neutralisation » ciblées au sommet de la Primature et dans sa « banlieue » que constituent les départements ministériels ? Quoiqu’il en soit, beaucoup de mauritaniens parient sur une durée notable de vie d’Ould Diay à la Primature, en ce qu’il paraît bien être une sorte de char Abraham de l’armée américaine, fonçant, une fois lancé dans une bataille, en détruisant sur son passage tout ce qui pourrait présenter le moindre obstacle ou danger pour sa progression.
Une décision à haut risque ?
« Mal-aimé » du cercle restreint des autorités de l’INSAV, Ould Diay est en effet celui que beaucoup de proches du pouvoir évitent. Capable de tout, inflexible, imprévisible, il est peut-être le seul homme politique de notre pays capable de jouer à la « Gestapo » au service de qui il veut apprivoiser. Mais j’ai comme l’impression, moi, que la décision prise de remercier « poliment » madame Aïche Vall est plutôt un signal adressé indirectement à d’autres dont le régime « 2024/2025 » version améliorée veut se « débarrasser ». Avec cependant une question en suspens : si c’était le cas, pourquoi maintenant et pas avant ?
En ce cas de figure, Ould Diay ne serait donc, pour beaucoup de ses alliés politiques, qu’un « trouble-fête » dont la mission semblerait être de tamiser le tas de pilleurs, détourneurs et corrompus, histoire de séparer le bon grain de l’ivraie. Je me demande alors si la décision de se « débarrasser » de madame Vergès, qui ne peut évidemment pas être classée dans cette catégorie, n’est pas une erreur fatale commise par Ould Diay désormais en danger d’en payer tôt ou tard le prix. Parce que, Moctar le sait bien, Aïche Vall Vergès – cinquante-neuf ans cette année – pèse au moins le poids d’une météorite…
Maître en sciences économiques, ancienne ministre des Affaires sociales de l’enfance et de la famille, elle posera sans nul doute, dans les jours à venir, une équation qui risque d’être fort difficile à résoudre pour les aiguilleurs des hautes fonctions de la présidence de la République. Son départ de la Primature constitue un évident gasp dans le bon fonctionnement d’une administration qu’elle avait gérée avec compétence et dévouement dans l’intérêt du pays. Et une énigme politique qui suscitera certainement beaucoup de curiosité…
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant