La lutte contre la corruption: vieille recette de nos pouvoirs militaires
Après le succès du retrait de la Mauritanie du conflit du Sahara Occidental, les autorités militaires du pays s’étaient attelées aux tâches internes. Une lutte déclarée fut engagée contre la corruption et l’absentéisme, notamment dans l’administration publique. Le président Ould Haidalla se distingua par sa méthode de visites inopinées.
Le moniteur contractuel ou l’infirmier breveté, perdu dans un coin reculé de la brousse, n’était pas à l’abri d’une inspection inopinée de Ould Haidalla en personne.
Un cas typique d’esclavage
On raconte qu’une fois il descendit dans la moughataa de Rkiz au cours d’une visite pareille. Il tint aussitôt un meeting en présence du hakem et de ses chefs de services. La parole était totalement libre et sans aucune forme de discrimination. Une pauvre femme, relativement âgée, de condition esclave demanda la parole. On la lui accorda. Elle raconta que, suite à une grave maladie, elle vint de perdre son propre mari, le père de ses enfants. Quelques jours après son décès, des gens prétextant qu’ils étaient ses maîtres sont venus chez elle. Aussitôt ils raflèrent tout ce qu’il lui appartenait, y compris les seules têtes de bovins, d’ovins et de caprins en leur possession. Haidalla, la gorge serrée, laissant échapper quelques larmes, l’interrompit.
Il s’adressa au cadi de la Moughataa, assis près de lui. Il lui demanda s’il était au courant de cette affaire. Celui-ci, la peur au ventre, acquiesça timidement. Haidalla appela le commandant de brigade. Sans tarder, celui-ci se pressa et s’approcha de lui. Il lui intima d’agir immédiatement. «Tu t’arranges tout de suite pour récupérer rapidement tous les biens de cette pauvre dame pour les lui restituer intégralement », ordonna Ould Haidalla.
Une lutte efficace contre la sécheresse
Aussi sous le gouvernement Ould Haidalla la lutte contre les effets néfastes de la sécheresse bénéficia d’un intérêt tout particulier. Depuis presque deux décennies, l’ensemble des pays de la zone souffraient d’une sécheresse impitoyable. La pluie devenait rare. Les points d’eau s’étaient asséchés. Les pâturages disparurent. Le cheptel fut décimé. Faute d’eau, l’agriculture cessa d’exister.
Situation dont les effets négatifs affectèrent de plein fouet toutes les activités commerciales. Pour leur survie, désormais, l’ensemble des populations du pays furent assujetties à l’aide internationale d’une façon quasi exclusive. Deux facteurs essentiels avaient particulièrement contribué au succès de la lutte de la Mauritanie contre les effets néfastes de la sécheresse. Il s’agissait en premier lieu de la personnalité d’un homme. En effet, Mohamed Khouna Ould Haidalla, le président de la junte militaire qui présidait alors aux destinées du pays, était doté d’une personnalité d’une exceptionnelle efficacité. Il imposa à tous sa propre intégrité politique et morale.
Une organisation politique magique
Quelqu’un, je ne sais qui (ne serait-il pas feu Baba Miské ?), d’une extrême intelligence, lui découvrit une forme d’organisation politique d’une rare originalité: « les Structures d’Educations de Masses (SEM) », une forme d’organisation à rapprocher de « la démocratie directe » pratiquée dans certaines cités de la Grèce Antique.
Les SEM, un cadre d’embrigadement de tous. Personne ne pouvait les refuser. Comme elles étaient organisées autour de la distribution de l’aide internationale, seule source de vie pour tous, en ce moment, les gens se bousculaient pour y adhérer. Un autre avantage, non moins important, donna aux SEM une irrésistible attirance. Il s’agissait de l’espèce d’indépendance qu’elles donnaient aux citoyens de condition modeste, notamment les esclaves et anciens esclaves, connus globalement sous le nom de Haratines. Avec les SEM, ceux-ci jouissaient pour la première fois d’une forme de représentativité certaine. Dans leurs villages, appelés Adawabas, et leurs divers regroupements, ils élisaient librement leurs propres représentants. Ils cessaient désormais d’être représentés par leur maîtres ou leurs anciens maîtres. Leur liaison avec la tribu fut rompue de fait.
Partout les responsables des SEM étaient démocratiquement élus par les populations concernées, réunies en assemblée générale en présence d’une délégation officielle. Ce qui dérangeait énormément dans les communautés conservatrices. Au début, la force de l’habitude oblige, certains chefs traditionnels furent facilement élus comme gestionnaires de l’aide. Mais, par la suite, gare à tous ceux qui s’adonnaient à la triche dans la distribution des vivres. Ce qui expliquait, en grande partie, l’impopularité dont eut à souffrir le président Haidalla dans de tels milieux. Ses détracteurs l’accusaient de détourner l’aide internationale au bénéfice de ses cousins sahraouis. Je n’avais aucun moyen de vérifier la véracité de cette grave accusation.
Tout ce que je sais est que, d’une part, les populations sahraouies, très peu nombreuses, profitant de la place centrale de l’Algérie de Boumediene dans le monde, bénéficiaient d’un soutien à la fois matériel et moral qui dépassait largement celui dont jouissait la Mauritanie de l’époque. D’autre part, la transparence et le contrôle strict des donateurs internationaux (pays, organismes et institutions), exigés dans la distribution de l’aide internationale ne laissaient que peu de marge pour de semblables malversations.
Jusqu’à nos jours l’aide internationale dont bénéficient les camps des réfugiés sahraouis continue à alimenter les marchés intérieurs mauritaniens. De nombreux commerçants nationaux, importateurs de produits alimentaires, se plaignent assez souvent de l’impact négatif de ce trafic incessant jugé déloyal à travers les frontières nord du pays.
Un paradoxe inexpliqué
Aussi Mohamed Khouna Ould Haidalla fut connu pourtant comme l’homme de l’application rigoureuse de la Chariaa. Il fut célèbre également comme étant le chef d’Etat le plus pieux de l’histoire de la République Islamique. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, il est bizarrement le chef d’Etat Mauritanien le plus haï de la part d’une bonne partie de nos « bons musulmans ».
Plus tard, Sidi Mohamed Oud Cheikh Abdellahi, chef d’Etat pendant une courte période du milieu de la décennie 2000-2010, aussi pieux que Haidalla, souffrira du même déficit d’impopularité dans les milieux les plus maraboutiques. Une réalité inexpliquée: nos chefs d’Etat les plus acceptés au sein des groupes sociaux traditionnels, surtout maraboutiques, étaient ceux dont on doutait le plus de leur foi religieuse: « les consommateurs d’alcool !… », Chuchotaient discrètement certains, « soucieux » sur la pureté de leur foi.
Aux yeux d’une certaine opinion, le premier péché de Ould Haidalla n’était rien d’autre que son exploit historique: le retrait de la Mauritanie du bourbier sahraoui, le conflit du Sahara occidental.
Deux mesures qui dérangent
Deux autres faits d’armes, d’un courage rare, vont creuser le fossé entre ce « berger né » et une bonne partie des populations qu’il croyait servir. Les ordonnances sur la loi foncière et l’abolition de l’esclavage auront l’effet de « la mère de tous les péchés ».
L’impact de ces deux mesures va ébranler les fondements de la société traditionnelle. Malgré des insuffisances relevées par-ci par-là, ces deux ordonnances, ayant force de loi étaient complémentaires dans leur essence. Elles donneront plus de force et de légitimité aux nouveaux regroupements au sein des SEM, la nouvelle entité politique au service d’abord des plus faibles.
Selon les meilleurs interprètes du livre saint, le Coran, concernant l’esclavage, Dieu avait procédé par démarche progressive dans son interdiction. Tous s’accordaient que les textes coraniques, dans leur approche, cherchaient à rendre en fait impossible la possession légale d’un esclave. Le contexte mauritanien du début des années 80 était loin de faciliter l’exécution d’un décret ou d’une loi abolissant l’esclavage dans son intégralité et distribuant les terres agricoles d’une façon totalement égalitaire.
Ce qui pourrait expliquer la démarche pragmatique des autorités de l’époque, consistant à agir fermement mais avec prudence. Afin de mieux informer l’opinion sur les nouvelles options, disons-le, progressistes du régime Haidalla, Radio-Mauritanie fut mise à contribution. Des émissions d’information et de formation furent spécialement conçues à cet effet. A l’époque la radio était le media le plus indiqué pour ça. Même dans les régions rurales les plus reculées, chaque foyer possédait au moins un poste radio.
(À suivre)