En 1979, à Boutilimitt, un ancien garde, du nom de Isselmou Ould Barti, me raconta l’histoire d’une passionnante traversée de cette piste Nouakchott-Boutilimitt. Au moment où je saisis ce passage en 2014, son frère cadet m’apprend qu’il était encore en vie et heureusement bien portant. Il serait maintenant décédé, paix à son âme. Il dit qu’en 1951, il était en service à Boutilimitt. Un interprète mauritanien, dont j’ai oublié le nom, le convoqua dans son bureau. Il l’informa qu’il l’avait choisi pour une mission particulièrement difficile, voire périlleuse. L’interprète lui expliqua que le commandant français de Boutilimitt lui demandait de se rendre immédiatement à Nouakchott pour lui ramener des colis venant de France et comportant des produits sensibles à la chaleur comme les fruits et le poisson. Ould Barti accepta, mais posa comme condition que l’interprète lui prêta son propre chameau, jugé le plus apte pour effectuer le déplacement. Ce chameau possédait un flair aigu qui lui permettait de détecter son chemin retour même en pleine obscurité. Cette condition remplie, il quitta pour Nouakchott. Je ne me rappelle pas les détails de son voyage pour Nouakchott.
Les trois dunes
D’ailleurs, le plus intéressant, c’était son retour. Après avoir reçu les colis, Ould Barti les fixa sur le dos de son chameau. Vers le crépuscule, il passa devant une tente située sur une dune à l’est de l’aérodrome de Nouakchott, le futur aéroport, encore avant son dernier déménagement. Il garda le chameau debout devant la tente, sa bride attachée à un arbre « Aderssaya », le temps de prendre un verre de thé, avec un groupe de personnes sous la tente. Le chameau tira sa bride de dessus de l’arbre et fit quelques pas dans la direction de sa piste. Ould Barti se leva et sauta dessus pour reprendre son chemin du retour. Ould Barti me raconta l’histoire pour me démontrer l’existence de 3 dunes, considérées plus grandes que toutes les autres entre Nouakchott et Boutilimitt. Il situa la première au niveau du marché actuel dit Marché Ould Elhassène à Bouhdida, sur le tronçon de la route de l’Espoir, la dune, appelée dans le temps « Eleib Elvaa » ou « la dune des serpents », là exactement où j’habite actuellement au sud du marché en question, là aussi où j’ai failli être terrassé par les serpents la nuit de mon aventure venant de Boutilimitt. La deuxième grande dune, Ould Barti la situait au milieu du trajet, alors qu’en fait elle se trouvait à 50km de Boutilimitt, au puits du nom de (N’Doumri). Ould Barti raconte qu’il avait continué son chemin jusqu’à ce qu’il ne put plus supporter la chaleur de sa selle, chaleur due à l’effet du frottement. À une heure tardive de la nuit, il décida de se reposer sur une dune qu’il avait jugée comme étant la deuxième grande dune du trajet. Il se reposait assis, tenant à la main la bride de son chameau, replié sur ses jambes à côté de lui. Il avait choisi cette position pour ne pas sombrer dans un profond sommeil. À chaque fois, que son
corps balançait pour tomber sur le sable ; il le redressa et continuait ainsi à dormir assis.
Une fois, au cours de l’un de ses balancements de corps, il ouvrit les yeux sur une lueur, une sorte de lumière presque imperceptible. Soupçonnant que c’était la lumière de l’ampoule placée sur la résidence du commandant de Boutilimitt, situé sur la 3e grande dune, il se mit alors débout avant de remonter sur son chameau pour continuer son chemin à vive allure. Aux environs de 10 à 11 heures du matin, il arrive devant les bureaux du commandant, il rentra à l’intérieur du bâtiment. Quand l’interprète l’aperçut, il l’interpella: « Tu es là encore ! Il faut partir avant que le matériel du commandant ne soit abîmé ! » Ould Barti rétorqua à l’interprète: « le matériel du commandant est déjà là devant les bureaux, il faut le décharger avant qu’il ne s’abîme ». À cette occasion, Ould Barti fut décoré pour cet exploit.
La grande dune de Boutilimitt était appelée « Taaba », c’est-à-dire « qui provoque une fatigue extrême ». On raconte qu’au temps colonial, au moment de la construction des bureaux administratifs, dans le cadre des travaux forcés, les prisonniers étaient obligés de transporter le banco et d’autres matériaux de construction de la plaine (Gowd) jusqu’au sommet de la dune. Ce qui se révéla exténuant. Depuis lors, on usait de l’expression « Tallaatni Taaba », signifiant « Tu m’as fait monter Taaba, pour exprimer la pénibilité d’une tâche.
(à suivre)
Le 24/04/2024
Par Ahmed Salem O/ El Mokhtar
(dit Cheddad)
Source : Le Calame