À Akjoujt, on était les privilégiés du siècle: nous avons eu l’exceptionnelle chance de voir, dans une obscurité totale, un ciel étoilé, aux environs de 9 heures 12mn du matin. J’étais à côté de l’imam de la ville qui priait devant sa mosquée, suppliant la bénédiction divine pour empêcher l’événement, jugé par lui comme une manifestation de la sorcellerie. Quand il sentit l’obscurité le submerger, il rentra en catastrophe dans sa mosquée, cette fois-ci pour prier et solliciter Dieu de lui ramener le jour en plein jour !
Crise de stratégie au sein du régime
Devant la recrudescence des luttes politiques, l’aile supposée éclairée du régime, tenta d’ouvrir une brèche dans le système musclé de Ould Mohamed Saleh. Dans un discours, en réaction à un article fleuve du mensuel français Le Monde Diplomatique dénonçant la répression en Mauritanie, le jeune ministre de l’information, Ahmed Ould Sidi Baba, tenta de faire baisser la tension. Il voulut envisager, bien que timidement, une forme d’ouverture en direction des jeunes. En catastrophe, Ahmed Ould Mohamed Saleh, son homologue de l’intérieur, n’était pas de cet avis. Il tint un meeting au cours duquel il n’avait cessé de vilipender le mouvement MND et de le présenter à l’opinion comme la pire des choses que pouvait connaître le pays. « Ce mouvement », indiqua-t-il, « envisage de tout détruire et après on verra, disent ses dirigeants », selon Ould Mohamed Saleh. Il annonça tout un dispositif d’une campagne systématique de répression.
La prison de Beyla ou la Bastille de Mauritanie
Dans ce cadre, les locaux de l’ancienne préfecture de Beyla au Ksar, furent transformés en prison politique, une sorte de Bastille. La préfecture fut transférée à Ouad Naga. Les autorités administratives de l’intérieur furent chargées de surveiller la situation chez eux, de procéder à l’arrestation de toute personne qui manifesterait la moindre sympathie pour les Kadihines.
La réplique du tic au tac
Le mouvement, à son tour, décida de répliquer du tic au tac. Une étude et une stratégie, visant à mettre en échec l’offensive de Ould Mohamed Saleh, seront adoptées. La tactique consistait à maintenir sur tout le territoire national un climat de lutte et de harcèlement permanent des autorités, aussi bien locales que nationales. Malgré la répression féroce, le mouvement ne cessait de s’étendre. Un poète populaire avait exprimé ainsi la détermination de notre lutte: « notre lutte, par vagues successives, sous l’effet de la répression aveugle, ne cesse de se développer».
Les ambassadeurs de la bonne parole
De nombreux jeunes dont particulièrement deux jeunes poular, Mamadou Sy et Djigo Moussa, en vrais ambassadeurs itinérants, se donnèrent pour mission de sillonner périodiquement le pays pour diffuser gratuitement et volontairement les bonnes nouvelles du mouvement.
La lutte armée envisagée
En juillet de la même année, sous l’influence d’une aile du parti (PKM), une tactique de lutte armée fut même envisagée. Une instruction fut ventilée à toutes les représentations du mouvement donnant ordre de commencer à réunir les moyens indispensables pour l’exécution de cette tactique, y compris les armes et les munitions. Arrêter la publication et la diffusion de «Sayhat Elmadhloum » (le cri de l’opprimé), voilà l’objectif premier fixé par le ministre de l’Intérieur à ses services de police et de la gendarmerie. La réplique du mouvement fut de tout faire pour maintenir la présence partout de Sayhat Elmadhloum dans la forme et dans le délai. Ce que nous avons réussi. Apparemment les autorités n’étaient pas au courant de l’existence de l’organe interne du PKM, « Le Militant », paraissant sous forme de mensuel.
On se mit aussitôt à prendre toutes nos dispositions pour l’exécution à la lettre de la tactique de juillet.
Un maquis en préparation
Armés, quotidiennement, en plus d’un bidon de 20 litres d’eau potable, de matériaux susceptibles d’aider à creuser des planques souterraines pour la cache d’éventuelles armes et munitions, on se rendit à une heure tardive de la nuit dans la chaine de montagnes au nord-est de la ville d’Akjoujt. On passa la journée à creuser nos planques dans la perspective de commencer à chercher à subtiliser de l’armement auprès des casernes de la ville, ainsi que les produits de consommation courante. Une formation militaire fut programmée pour les militants et sympathisants.
Au plan idéologique, nos cadres et la plupart de nos militants ont déjà subi une formation militaire assez poussée. Ils étudiaient dans ses moindres détails, les diverses formes de luttes armées pratiquées par les principales révolutions du 20e siècle. Il ne leur manquait que la mise en pratique de ce qu’ils savaient déjà. Les tactiques et la conduite à tenir dans des situations de flux ou de reflux, d’offensive ou de défensive, la guerre de position, la guerre de mouvement et de harcèlement, la guerre des partisans…voilà quelques exemples des titres de leçons enseignées dans nos structures.
Former un militant taillé dans le roc
D’ailleurs, notre lutte politique quotidienne s’inspirait, dans bien des aspects, des théories militaires apprises dans nos cercles d’étude. Garder l’initiative sur le terrain par un harcèlement continu de l’adversaire, mépriser celui-ci stratégiquement tout en tenant pleinement compte au plan tactique, voilà quelques-uns des principes fondamentaux, fondements de notre conduite politique. Le tout dans le but de former un militant exemplaire, un militant taillé dans le roc, un vrai « Bayard, le soldat sans peur et sans reproche ».
Des entrainements, d’abord aux confrontations physiques, pour défendre nos militants lors des manifestions de rue, étaient organisés régulièrement, en pleine nuit au bord de la mer. Souvent des filles y prenaient part.
Faire face à la répression aveugle
Des centaines de personnes furent arrêtées et incarcérées à la prison de Beyla par les autorités. Il fut décidé d’incorporer de force, dans l’armée, les éléments étudiants les plus en vue. Les Moussa Fall, Sy Assmiou, Kane Ndiawar, Hassen dit Petit Hassène firent partie des étudiants concernés.
Certains furent arrêtés, sauvagement torturés puis exilés après à l’intérieur du pays, pour avoir refusé de collaborer avec « leurs supérieurs ». Un avion d’Air Mauritanie, un DC3, s’écrasa à son retour de Zoueiratt après avoir débarqué des étudiants incorporés dans une caserne militaire à Zoueiratt, mettant fin à la vie de ses occupants, uniquement les membres de l’équipage. Parmi les détenus de Beyla, des dizaines d’entre eux n’avaient jamais entendu parler des Kadihines avant leur incarcération. Ils sortiront de là grands sympathisants et militants du parti.
Transformer la prison en école
Certains, rentrés illettrés en prison, en sortirent complètement alphabétisés. À l’époque l’alphabétisation accompagnait toutes actions. D’autres victimes d’injustices dans leur vie privée ou professionnelle, n’hésitèrent pas à adhérer aux idéaux défendus par le mouvement pour devenir après de grands militants et dirigeants.
Feu Sid’Ahmed Ould Ndeilla, un ancien gendarme, en guise de punition, fut torturé presque à mort par ses supérieurs. Dénonçant son cas, l’organe du MND, Sayhatt Elmathloum, lui consacra tout un article, sous le titre: « Victime de l’arbitraire ». Réformé en civil, il deviendra un brillant militant du mouvement politique et syndical. En 1995, terrassé par une crise d’asthme, il rendra l’âme sur un lit de l’hôpital national faute d’oxygène.
La lutte s’exporte
À l’extérieur, à Dakar au Sénégal, précisément, une cellule du MND, menée par les camarades Ahmedou Ould Abdelkader et Sid Elmoctar dit Cheikhatou, se solidarisa avec Ekhliva, un parent de statut esclave, emprisonné suite à une plainte de ses anciens maîtres qui voulaient, bénéficiant de la complicité d’un diplomate mauritanien, arracher sa boutique. Le poète Ahmedou sera arrêté, ligoté et expulsé par avion en Mauritanie pour rejoindre les prisonniers de Beyla. Feu Ekhliva deviendra un grand militant du mouvement MND jusqu’à son décès il y’a une dizaine d’années.
Des cadres techniques exemplaires
Pour les intimider, les fonctionnaires, proches du mouvement, furent à chaque fois menacés, intimidés et souvent mutés arbitrairement. Malgré tout cela, ils cédèrent rarement à ce type de chantages. Sans parler des grands dirigeants syndicaux, constamment interpellés, nous avions d’autres fonctionnaires comme Isselmou Ould Abdelkader (greffier), Dah Ould Abdeljelil (greffier), feu Ahmed O Khoubah (professeur), Maloukif O. Elhassène (ingénieur), Demine Ould Ney (enseignant), feu Bah Ould Himdeitt (notaire), feu Mohamed Ould Abdi (professeur) et bien d’autres, comme feu Vadel Ould Dah, économiste (décédé vendredi dernier), à titre d’exemples, qui ont su résister jusqu’au bout aux pressions de l’Administration.
L’indomptable Demine
Le nommé Demine fut arrêté une fois à Tidjikja et soumis aux tortures les plus atroces. Il lui arrive de perdre connaissance. Ses tortionnaires le ranimaient, quand ils se rendaient compte qu’il avait repris connaissance, ils se mirent à l’interroger de nouveau.« Maintenant nous savons ce que tu représentes réellement ici ! », lui indiquaient-ils. « Qu’est-ce que je représente donc selon vous ? » rétorquait-il. « Tu es en mesure de nous informer sur tout puisque nous avons appris de sources bien informées que tu es le président du MND à Tidjikja», lui répondaient-ils. Demine s’assit majestueusement, leur donnant l’impression de vouloir collaborer. « Eh vas-y racontes ! », ordonnèrent-ils. Il leur rappelle qu’il n’a rien à leur raconter. « Et pourquoi tu t’assoies si pompeusement ? » demandèrent-ils. « Parce que vous m’avez appris que je suis le Président du MND », leur répliqua-t-il.
Les autorités avaient souvent les yeux braqués sur les personnalités, cadres administratifs, sympathisants du mouvement, comme les professeurs et les ingénieurs. Considérant leur niveau académique, elles jugeaient qu’elles étaient les plus aptes à diriger le mouvement. Alors que pour la plupart, ces cadres supérieurs étaient à peine de simples sympathisants. Selon un numéro du mensuel interne au parti Le Militant, une fois, sur quelques 400 détenus à Beyla, on comptait à peine 5 membres du parti PKM.
Les trois montées de Ely Ould Boubout
Ely Ould Boubout, l’une de ses personnalités, un professeur de Maths, connu pour son franc-parler et son sens élevé de l’humour, répondant une fois à un parent qui lui avait demandé s’il était vrai qu’il était devenu communiste: « Echkem ! », répondit-il. « Echkem », une exclamation exprimant un certain étonnement, mêlé d’ironie. « Je me tracasse pour devenir un simple sympathisant démocrate sans y parvenir », rétorqua Ould Boubout. Il dit une autre fois qu’il était surpris par trois montées: la montée des prix en premier lieu. Il fit remarquer que les prix des denrées de première nécessité doublent ou parfois triplent en si peu de temps. La deuxième montée, selon lui, est celle de la répression.
Il indique qu’il arrive qu’il quitte une famille tard dans la nuit. Quand il revient le lendemain, très tôt le matin, il trouve la maison saccagée et ses habitants raflés en pleine nuit et incarcérés quelque part, souvent dans un lieu tenu secret. La troisième et dernière montée de Ould Boubout fut celle de la prise de conscience parmi la jeunesse. Il avait constaté qu’il lui arrivait de recevoir chez lui un jeune adolescent venant du fond des régions rurales. Brusquement ce dernier disparut. Il le cherchait partout et n’arrivait pas à le retrouver. Il se résigne, croyant qu’il ne le verrait jamais. Un beau jour, le voilà qui réapparait. Il lui demanda où il était tout ce temps-là. « Faisant fi de ma question », indique Ould Boubout. « Il me regarda droit dans les yeux pour me rétorquer: je suis revenu pour vous éveiller ! », Conclua-t-il.
(À suivre)
Source : Le Calame