Rapport sur la Situation de la Discrimination des Communautés DWD en Mauritanie.
Consultant : Aboubekrine Yehdhih EL JERA,
Doctorant en Droit Public
Chercheur, Enseignant vacataire à l’Université de Nouakchott
RÉSUMÉ ÉXÉCUTIF
Ce rapport dresse la situation donnée au sort des communautés discriminées par le travail et l’ascendance (Discrimination based on Work and Descent) et des opportunités de faire entendre la voix de la base pour alimenter les efforts de plaidoyer en faveur de l’éradication de ce phénomène à l’encontre de ces personnes victimes. Sur la pratique de l’esclavage basé sur l’ascendance par exemple, il est très difficile de déterminer le nombre de personnes victime de l’esclavage par ascendance en Mauritanie sur lequel on va se focaliser dans la recherche. On établira une cartographie des différentes discriminations et des résistances liées à l’esclavage dans la société Bidân, Haalpulaar, Soninké et Wolof de Mauritanie. Loin des dérives idéologiques et passionnelles qui agitent dans ce pays les débats sur le sujet, l’objectif ici est de tenter de restituer la diversité des situations sociales actuelles, afin de rendre compte des recompositions sociales et politiques en cours. Dans cette perspective, l’analyse des héritages de l’esclavage dans ces milieux vise moins à proposer un recensement des inégalités vécues qu’à interroger les processus de différenciation et d’émancipation sociale, afin de mieux saisir les enjeux actuels autour de la reproduction d’un ordre hiérarchique.
Le profil des communautés victimes de discrimination fondée sur le travail et l’ascendance (DWD) en Mauritanie se résume essentiellement aux esclaves, aux anciens esclaves et les groupés castés qui est favorisé par le silence souvent complice de certains intellectuels mauritaniens qui sont principalement issus du milieu de la chefferie traditionnelle. Ils sont en partie de la sphère politique, des milieux religieux, du commandement, de la justice, des organisations de la société civile (OSC) à faire du combat de complaisance, d’intérêt et non celui dit de conviction et de noblesse en ce qui concerne l’esclavage par ascendance et les groupes castés. Les complicités pour la perpétuation de ces pratiques néfastes sont nombreuses et sont observées, depuis certaines victimes éclairées jusqu’aux acteurs du milieu dit profiteur constitué des esclavagistes et des chefs traditionnels. Ces derniers s’appuient sur l’ignorance, l’isolement, la pauvreté et la peur fondée sur l’absence de confiance de soi des victimes d’une part, et les constructions erronées, mensongères, et autres formes des complots initiés localement par une minorité dominante que certains acteurs de la vie politique nationale soutiennent au nom d’une certaine harmonie des institutions de la république pour la perpétuation de la discrimination fondée sur le travail et l’ascendance à ces communautés d’autre part.
La grande masse victime de domination, d’exploitation, d’exclusion et d’autres formes de discrimination liées à l’esclavage par ascendance et au système des castes reste encore silencieuse. La situation est étrangement similaire au niveau des régions visitées (Nouakchott, Trarza et Brakna) qui ont été concernées par les entretiens de terrain – en ce qui concerne les deux formes d’esclavage à savoir la forme active où l’esclave pense et agit par ce qu’il reçoit du maître et la forme passive où les liens existent, demeurent influents selon les circonstances, mais parfois ne cohabitent pas ensemble. Les populations concernées par ces pratiques esclavagistes, qui se métamorphosent avec le nouveau contexte lié à l’intrusion sur le terrain de certaines ONG de défense des droits de l’homme non étatiques comme les Association SOS-Esclaves, IRA et la Fondation Sahel pour la Défense des Droits de l’Homme, restent insuffisantes. Elles sont victimes sur tous les plans de leur ascendance servile.
Les efforts de l’Etat sont encore très faibles pour les assister et les libérer de cette pauvreté généralisée. Il faut assurer une plus grande responsabilisation des acteurs étatiques et non étatiques pour les violations des droits des communautés victimes de discrimination fondée sur le travail et l’ascendance et de mettre en place des mesures pour lever les obstacles existants. L’États et les autres parties prenantes ont la responsabilité d’adopter des lois, des politiques et des programmes visant à fournir des mécanismes de protection collective aux communautés DWD en milieu urbain et rurale. Ces mesures et obligations spéciales doivent tenir compte des droits individuels et collectifs et être élaborées en consultation avec les communautés touchées. Rien que l’application effective des lois de 2007 et 2015qui criminalisent l’esclavage et une bonne communication sur les comportements et attitudes à changer de différents acteurs -esclaves et maîtres- seraient d’un impact positif pour les groupes d’origine servile et castés. Malgré ces abolitions et les estimations des sociologues, historiens et associations de droits de l’homme considèrent que l’esclavage héréditaire persiste au sein de la société mauritanienne : privation de libertés dès la naissance, maltraitances, trafics d’êtres humains et viols.
Aujourd’hui, et c’est urgent, que les besoins des communautés DWD doivent être compris et pris en compte à partir du cadre particulier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies et des instruments internationaux et régionaux en matière de droits de l’homme. Ces sources juridiques internationales reconnaissent les droits des communautés DWD à leurs terres, ressources naturelles et mode de vie traditionnels qui constituent la base de leur identité collective et de leur survie physique, économique et culturelle. La compréhension ci-dessus de la nature des droits des communautés DWD est nécessaire dans l’analyse des mesures nécessaires pour assurer l’accès aux services essentiels et à d’autres garanties en matière de droits de l’homme pour les personnes victimes vivant dans les zones urbaines rurales.
Je souhaite donc recevoir des contributions des personnes ressources, en répondant aux questions annexées qui éclaireront notre rapport qui est présenté et publié très prochainement. Nous demandons que l’État mauritanien et les entités gouvernementales(Délégation Générale à la Solidarité Nationale et à la Lutte Contre l’Exclusion «TAAZOUR» , le Commissariat aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et aux Relations à la Société Civile), les agences des Nations Unies en particulier le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, les acteurs de la société civile, les organisations humanitaires et de développement, les institutions nationales des droits de l’homme( Commission Nationale des Droits de l’Homme, l’Observatoire National des Droits de la Femme et de la Fille, le Mécanisme National de Prévention de la Torture) et d’autres parties prenantes contribuent à la mise en œuvre de mesures ou politiques pouvant être adoptées pour éliminer les obstacles existants auxquels sont confrontés les communautés victimes de discrimination fondée sur le travail et l’ascendance en Mauritanie.
INTRODUCTION
La République Islamique de Mauritanie traverse, depuis une dizaine d’années, une période de tension associée aux revendications d’égalité sociale des groupes serviles hassanophones du pays, le hassaniyya étant la variante arabe locale. De fait, le pays est connu dans le monde entier pour sa forte population de statut servile. Cette situation s’accompagne d’autres sources de tension, dont celle des contentieux entre les élites étatiques et les communautés africaines, halpular’en, soninké et wolof, en particulier après le dernier coup d’État de 2008 contre le premier président civil élu au suffrage universel[1]. De plus, les activités du groupe Al-Qaeda au Maghreb islamique [AQMI] et la guerre au Mali ont produit un flux de migration dans la partie orientale du pays.
Enfin, alors que les Mauritaniens sont environ de 3.537.3683 millions d’habitants (RGPH, 2013) sur une superficie de 1 030 000 km², dont 60% habite en ville, 42% de la population vit en situation de pauvreté et d’extrême pauvreté, et l’espérance de vie est de 63 ans (PNUD 2015). La Mauritanie est entre le Maghreb Arabe et l’Afrique noire : au Nord elle est bordée par le Sahara occidental, le Maroc et l’Algérie ; au Sud-est le Mali, au sud le Sénégal et à l’Ouest l’océan atlantique sur une façade maritime de plus de 700 km de côte. Les richesses naturelles du pays (pêche, mines) sont en effet mal redistribuées, le niveau éducatif est très bas, et la situation économique a empiré récemment par suite de la chute du cours du minerai de fer, à la fin 2014.
Dans ce contexte inquiétant, les groupes serviles hassanophones(Hratines), qui représentent au moins 50% de la population totale (Bhrane 1997, Cheikh 2001), sont particulièrement touchés par la crise politique et économique, et une partie d’entre eux s’est organisée dans le cadre d’associations de défense des droits civiques et humanitaires. Ces associations dénoncent la persistance de « l’esclavage » et demandent à l’État l’instauration d’une véritable égalité sociale.
Pour bien comprendre la situation des groupes serviles de la société bidân, il est nécessaire de reconnaître que tous les groupes ethniques du pays, hassanophones et négro-africains, reproduisent des hiérarchies statutaires qui séparent les personnes en deux groupes, ceux qui ont une généalogie d’hommes libres, et ceux qui ont des ancêtres soumis à ce que j’appelle, en suivant Georges Condominas (1998), les formes extrêmes de dépendance. La seconde proposition considère que le terme « esclavage » doit être employée seulement dans les cas des formes les plus extrêmes de dépendance des personnes, et non pas de manière générale ; j’avancerai ainsi que ce sont les relations de servilité qui prédominent et associent, comme par le passé, les anciens esclaves aux anciens maîtres devenus des protecteurs plus ou moins proches. En troisième lieu, on observe l’instrumentalisation de l’islam comme repère moral et éthique en ce qui concerne l’extrême dépendance, tant de la part de l’État que de la part des associations « anti-esclavagistes » (El Hor, SOS-esclaves et Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste, IRA). Enfin, les dirigeants de ces associations avancent qu’une nouvelle identité sociale et ethnique distingue les groupes serviles hassanophones (englobés sous le terme « hrâtin » (sg. hartâni)), des autres entités mauritaniennes, et pour lesquels ils revendiquent une culture distincte. Leur situation est considérée si préoccupante que certains annoncent une probable révolte des hrâtin à court terme.
La création d’institutions nationales censées apporter des solutions durables en matière de Droit de l’Homme et de justice sociale (Commissariat aux Droits de l’Homme, Commission Nationale des Droits de l’Homme, Agence Tadamoun, etc.) ne fut qu’un vain espoir. La loi Constitutionnelle Référendaire n° 2017-022 du 15 Août 2017 portant révision de certaines dispositions de la Constitution du 20 juillet 1991 et les instruments juridiques régionaux et internationaux n’ont pas permis d’être appliqués dans toute leur effectivité malgré les engagements formulés par l’État.
L’esclavage dans la région remonte à l’antiquité. Il a été aboli au XXe siècle, la première fois en 1905 par un décret des autorités coloniales françaises. La Constitution de la Mauritanie de 1961 proclame l’égalité entre les citoyens mais ne mentionne pas l’esclavage. L’esclavage, qui a été officiellement aboli par l’ordonnance n° 081-234 du 9 novembre 1981, après une enquête, « le gouvernement estime que l’esclavage en tant qu’institution n’existait plus en Mauritanie et que seules subsistaient certaines de ses séquelles au niveau des mentalités, et sa pénalisation en 2007.
Si sur la forme quelques légères avancées ont été notées, du point de vue du fond, l’État n’a pas affiché une volonté ferme de solder certains problèmes qui font écran à l’évolution des Droits de l’Homme en Mauritanie comme l’esclavage par ascendance, lié à l’hérédité, qui s’apparente à un système de castes, ses séquelles, les libertés publiques, le passif humanitaire (dont le processus de règlement définitif avait été enclenché le 10 novembre 2008, sur instruction de l’actuelle Président), le foncier, l’accès à la justice des femmes, etc.
Même si le gouvernement de la Mauritanie est signataire de presque tous les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme, la discrimination fondée sur l’esclavage, les séquelles de l’esclavage et les systèmes de caste existe toujours dans la société mauritanienne. Elle existe dans la plupart des tribus mauritaniennes mais est beaucoup plus prononcée chez les arabo-berbère, les Soninkés et les Haalpulaaren (dits Toucouleurs ou Peulhs) et moins chez les Wolofs. Dans le sud du pays, la discrimination fondée sur le travail et l’ascendance n’existe pas, mais dans le nord, elle est bien ancrée surtout au niveau du Trarza, du Brakna, les deux Hodh El Charghi et Hodh El Gharbi, et à l’Assaba. Des solutions rapides, consensuelles et durables doivent être trouvées.
La solution devant déboucher sur le règlement de la problématique par la production de preuves et de fournir une bonne compréhension des types et l’ampleur de la discrimination, voire de la violence, que subissent les communautés DWD et les principaux défis qu’ils rencontrent en Mauritanie.
Notre rapport propose de préciser des recommandations pour inciter les décideurs politiques à assurer une inclusion et une participation significatives des communautés victimes de discrimination fondée sur le travail et l’ascendance dans les différentes procédures en particulier les victimes de l’esclavage par ascendance et du système des castes. L’esclavage a été pratiqué dans toutes les ethnies de Mauritanie et n’a pas encore complètement disparu. Cependant, au sein du groupe ethnique maure, il revêt des formes plus graves en raison de son ampleur, de sa base raciale et de ses manifestations socio-économiques et culturelles encore vivaces. C’est pourquoi le présent rapport se concentre sur les « communautés victimes de discrimination fondée sur l’ascendance ».
– Méthodologie
L’étude de recherche sera organisée autour des parties suivantes : démarrage de la mission, collecte des données secondaires et primaires qui va générer plus des données qualitatives que quantitatives et, servira à envisager des actions de plaidoyer qui augmenteront la visibilité des communautés DWD en Mauritanie (revue documentaire, rencontres individuelles et organisations de focus groups), rédaction du pré – rapport, finalisation et validation du rapport.
Comme toute recherche, la conduite de cette étude va commencer par une collecte d’informations disponibles et indispensables pour appréhender les problèmes principaux à résoudre. Les éléments d’informations à recueillir seront de différents types : la réalisation d’une étude contribuant à cartographier et à identifier la nature et les formes de discrimination, voire de violence, que vivent les communautés DWD; la prévalence de ces discriminations, touchant à leurs principales causes et conditions et aux principaux défis auxquels elles sont confrontées.
Pour rassembler ce type de données qualitatives, la documentation relative au sujet sera explorée de façon approfondie et complétée par des données spécifiques sur les perceptions et comportements des personnes ou groupe de personnes des communautés DWD. Certaines variables environnementales seront également analysées parce que ayant une répercussion sur les facteurs mentaux et comportementaux des communautés.
Après les analyses environnementales et comportementales préliminaires trafiquants, toute l’intelligibilité de l’étude consistera en la conception du contenu d’un plaidoyer faisant partie des livrables du projet.
Les recherches méthodologiques qui permettront de collecter toutes ces données vont s’appuyer sur différentes méthodes qui représentera la population cible à examiner en Mauritanie, analyse documentaire, interviews, entretiens, Focus groups.
Le travail se sera comme suit :
• entretiens auprès des institutions nationales (Parlement, Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), Mécanisme National de Prévention Contre la Torture(MNLT), représentants des ministères, Agence TAAZOUR et autres structures de l’État);
• entretiens auprès des autorités locales où une vingtaine de responsables administratifs et coutumiers, élus locaux, leaders religieux ont accepté d’échanger avec nous ;
• interview auprès des personnes ressources (Avocat, Président du Manifeste des Hratines, Président de SOS-Esclaves, Président de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme(AMDH) et Président de la Fondation Sahel) ;
• entretiens auprès de 10 victimes à Nouakchott au siège de l’Association SOS-Esclaves venant de l’Adrar(Atar), de Hodh El Charghi (Bassiknou et Néma).
Ces entretiens ont concerné quelques localités des régions visitées en Mauritanie. Il s’agit des régions de Nouakchott, du Trarza(Boutilimitt)et du Brakna dans les environs du Département de Boghé. Le consultant s’est rendu dans ces trois régions pour recueillir quelques informations auprès de certaines victimes mais aussi écouter les responsables administratifs locaux, les élus locaux, les chefs traditionnels et les leaders religieux (voir l’annexe n°2 portant sur la liste de certaines personnalités). La troisième région, Nouakchott est le siège des institutions nationales et autres organismes internationaux où les différents documents sont facilement disponibles et exploitables, mais aussi mener des entretiens auprès de certains responsables centraux.
Cela permet de confronter la pertinence de certains discours tenus sur le phénomène de l’esclavage par ascendance et le système des castes traditionnels dans les zones rurales mais aussi urbaines, et surtout de mieux apprécier les objectifs et les résultats de ce combat.
– Objectifs et résultats obtenus
Objectifs:
• Cartographier la nature, les formes, la prévalence des discriminations et les défis auxquels sont confrontées les communautés DWD en Afrique de l’Ouest;
• Identifier les cadres juridiques et politiques existants, quelles sont les lacunes et / ou les défis pour la prévention et l’élimination de la discrimination fondée sur le travail et l’ascendance dans les pays cibles;
• Identifier les principaux acteurs impliqués dans la lutte contre la DWD et les stratégies qu’ils utilisent pour faire avancer leur travail;
• Documenter l’impact social et économique de la discrimination sur les communautés DWD en Afrique de l’Ouest, y compris dans le contexte de la pandémie Covid-19;
• Contribuer, par le biais de recommandations, à la mobilisation du soutien des décideurs et des parties prenantes concernées pour une plus grande inclusion et participation des communautés DWD dans les processus de développement.
Résultats:
• Contribuer à accroître les données sur la nature, les formes, la prévalence des discriminations et les défis auxquels sont confrontées les communautés DWD en Afrique de l’Ouest;
• Contribuer à accroître la compréhension entre les décideurs et le public de la discrimination à laquelle sont confrontées les communautés DWD;
• Galvaniser un support accru pour une plus grande inclusion de DWD dans les processus de développement.
Chaque domaine d’attente renvoie à un ou plusieurs défi(s) qui précise(nt) le mandat du consultant, lui-même, déterminé par un contrat de collaboration extérieure. Avant de traiter ces différents domaines, il est bien intéressant de revenir sur un rappel historique de l’esclavage en Mauritanie.
I. L’ESCLAVAGE EN MAURITANIE − RAPPEL HISTORIQUE
La Mauritanie est composée de deux grands groupes culturels et ethnolinguistiques: les Arabo-Berbères communément appelés Maures, pour la plupart nomades et habitant principalement le nord du pays, et la population négro-africaine, composée des ethnies pulaar, soninké et wolof, en majorité sédentaire et habitant le sud et l’est du pays. Outre ces deux grands groupes, il existe une communauté de Haratines, appelés également Maures noirs, qui sont négro-africains par la couleur de leur peau, mais font partie intégrante du groupe ethnique maure, dont ils partagent la langue et la culture. L’islam est la religion officielle de la Mauritanie. L’arabe est la langue officielle, tandis que l’arabe hassaniyya, le pulaar, le soninké et le wolof ont le statut de langues nationales.
L’esclavage existe depuis des siècles dans toutes les communautés ethniques de Mauritanie. Il est profondément enraciné dans une structure sociale hiérarchisée. Les esclaves sont considérés comme des possessions et subissent des traitements dégradants. Ils travaillent pendant de longues heures et ne sont pas rémunérés pour leur travail. Ils dépendent totalement de leurs maîtres pour leur nourriture, leur habillement et leur logement. En retour, les maîtres se sentent liés à leurs esclaves par une relation d’ordre. Le nombre de personnes vivant en esclavage à l’heure actuelle en Mauritanie n’est pas connu par des chiffres officiels mais il concernerait environ 43 000 personnes soit 1,06 % de la population en 2016[2] (estimation des ONG sans études. On pense qu’il a diminué du fait des lois et programmes successivement mis en œuvre par la Mauritanie pour éliminer l’esclavage.
La Rapporteuse spéciale a constaté des divergences de vues concernant la persistance de l’esclavage en Mauritanie[3]. Certains nient catégoriquement l’existence de cette pratique et déclarent que subsistent seulement «des séquelles de l’esclavage». D’autres en nient l’existence dans leur communauté, mais montrent du doigt d’autres groupes ethniques en particulier les Beydanes. Enfin, d’autres affirment qu’il existe également dans les communautés négro-africaines telles que les communautés pulaar, soninké et wolof, mais s’apparente plutôt à un système de castes. Malgré ces divergences, la société mauritanienne, tous groupes ethniques confondus, est divisée en deux grands groupes statutaires, les groupes libres et les groupes serviles, avec des nuances très variées selon les niveaux de dépendance vis-à-vis des anciens maîtres devenus des patrons et/ou des protecteurs.
Avant d’aborder la société bidân, il convient de présenter rapidement la situation hiérarchique des sociétés africaines de Mauritanie, qui restent largement sous-étudiées [Voir le Tableau des Hiérarchies statutaires].
A. L’esclavage dans la société Halpular’en, Soninké et Wolof
La société négro-africaine est hautement stratifiée sur la base de critères raciaux et ethniques. Dans les communautés (Halpular’en, Soninké et Wolof s), les nobles et les hommes libres sont au sommet de la hiérarchie, suivis par les groupes appartenant aux «castes» (ordinairement des groupes professionnels et endogames tels que les tisserands, forgerons et les musiciens), les esclaves et leurs descendants occupant le dernier rang de l’échelle sociale. Les formes de servitudes ont également bien présentes dans les sociétés négro-africaines[4] de la vallée du fleuve Sénégal et plus largement sur l’ensemble du continent(Meillassoux, 1975 ; Miers et Kopytoff, 1977).
C’est en tentant d’éviter les biais du misérabilisme et du populisme, etde dépasser une lecture raciale de l’esclavage en Mauritanie, que je souhaiterais ici interroger les héritages de l’esclavage en milieu haalpulaar.
- L’esclavage dans la société Halpular’en
La présentation simultanée des différentes formes de discriminations auxquelles sont confrontés les descendants d’« esclaves » maccuße de la société haalpulaar, et des résistances qu’elles engendrent, aura pour objectif de mieux saisir les enjeux autour de la reproduction d’un ordre hiérarchique qui, à l’instar de nombreuses autres sociétés en Afrique de l’ouest, se répartit en trois ordres : les « nobles » rimße, les « groupes professionnels » neenyße et les « esclaves » maccuße6[5]. Loin de croire que les catégories sociales d’« esclave » et de « noble »[6] sont identiques d’une époque à une autre, l’objectif sera, au contraire, de montrer comment elles sont soumises à de perpétuelles renégociations et en quoi, elles sont toujours “l’effet de distinctions réciproques à l’intérieur de configurations historiques successives et imbriquées” (De Certeau, 1990 : 198). Partant de ce constat, la présentation de différentes scènes de discriminations et des résistances qui les accompagnent visera moins à s’en tenir à une simple description des situations inégalitaires, qu’à analyser les processus de différenciation sociale et d’émancipation, afin de rendre compte des recompositions sociales et politiques en cours. Dans cette perspective, il s’agira notamment de mesurer toute l’importance de l’enjeu du franchissement des frontières sociales aujourd’hui.
Les esclaves dans la société Halpular’en, en fonction de la situation économique de leurs maîtres, bénéficient de facto de l’égalité d’accès aux services de base tels que l’éducation, mais, s’agissant des cérémonies sociales − culte, mariages, enterrements −, les esclaves ²&doivent respecter les barrières de caste.
Chez toutes les communautés négro-africaines, l’esclavage y fut en effet une pratique constante, concernant des milliers de personnes, permettant aux élites de disposer d’une domesticité obéissante et efficace, et qui fut également à la source d’un immense commerce, très lucratif.
- L’esclavage dans la société Soninké
La typologie des Castes ou la hiérarchisation de la communauté soninké permettant de définir les castes sont classiques : chaque individu de par sa naissance même appartient à telle ou telle caste qui est celle dont fait déjà partie son père. Le mariage se fait à l’intérieur de la caste. Cette endogamie de caste ne comporte que quelque exception entre certaines castes d’artisans ; l’appartenance à une caste est liée traditionnellement à une certaine spécialisation professionnelle dont la caste a un quasi-monopole (par exemple le travail de métaux, travail de cuir…). En effet, dans la communauté soninké, l’élevage et l’agriculture ne sont pas des activités castées, c’est-à-dire qu’elles sont pratiquées par tous, quelle que soit la caste. Les castes peuvent être classées suivant leur hiérarchie au sein de la société soninké.Nous nous essayons de les résumer en trois grandes catégories sans revenir sur les détails :
1. En premier lieu, sans contestation possible viennent les Horos (singulier horé) qui forment une sorte de caste noble, composée en principe par les lettrés et les propagateurs de l’islam(les Imams). Cette caste est composée des (Debegoumous, Modinous, Mangous…), qui se marie entre eux et détient tout le pouvoir décisionnaire du village quel qu’il soit dans la région de Guidimakha, sans associer les autres sages et les autres honorabilités des autres castes du village ; elle règne sans partage depuis la fin de l’empire du Ghana, vers le 10 et 11ème siècle. Elle était la classe dominante pendant très longtemps en termes de savoir et de richesses. A l’ère d’aujourd’hui, les tendances ont changé, on trouve dans chaque caste des savants religieux, des intellectuels modernes et des grands patrons. Mais l’ordre établi depuis des siècles reste toujours plus ou moins inchangé. Le changement est en cours avec l’arrivée de la nouvelle génération consciente et sage, mais aussi avec l’évolution de la société, car le monde est devenu un village planétaire. Oui, certaines mentalités commencent à bouger dans tous les côtés.
2. Ensuite, viennent les castes proprement artisanales (les Gnakhamalanous), singulier Gnakhamala que je préfère les regrouper dans la même enseigne : ce sont les forgerons, griots, les pécheurs, les tisserands et les bijoutiers ; spécialisés dans le travail des métaux, du coton, du cuir, de la musique, de la pirogue, du bois…Cette caste se marie aussi entre eux, selon la tradition soninké. En quelque sorte la caste Gnakhamalanous, est plus proche de la première caste Horos. Les gnakhamalanous, sont souvent considérés comme des portes paroles de la première caste. Et, exceptionnellement ils se marient avec eux, mais avec un très grand embarras et dans certaines circonstances de la vie communautaire. Traditionnellement, dans le milieu soninké, les Gnakhamalanous, sont aussi appelés des agents diplomatiques, qui sont censés de régler les conflits amiablement au sein de la communauté soninké grâce à leur monopole du verbe soninké. Mais avec l’évolution de la société, cette fonction est désormais pratiquée par n’importe quelle personne douée des raisons, des sagesses et des qualités humaines. Cette caste, si j’ose dire est le trait d’union entre la caste horos et celle des Komos.
3. Au niveau le plus bas de la pyramide sociale soninké, on trouve les esclaves, les Komos (singulier Komé). Traditionnellement, ce sont de serviteurs, attachés chacun à un maitre bien déterminé et qui sont transmis par héritage absolument comme les biens meubles, les troupeaux et les champs. Ces esclaves, sont transmis de père maitre au fils sans condition. Cette caste est le dernier échelon de l’échelle sociale soninké, caractérisé par son patronyme, son travail de servitude auprès de leur maitre. Les esclaves, à leur tour sont condamnés de se marier entre eux et généralement on les retrouve tous regrouper dans un quartier (comokani) au sein du village. Jadis, l’esclaves ou descendant d’esclave n’avait pas droit à la parole aux réunions du village encore moins pas un mot seul pour la gestion des affaires communautaires. Ils sont fixés à leur statut Komé, quelle que soit leur intelligence, leur sagesse et leur honorabilité. Ils sont nés komos et vont mourir komos, selon la philosophie soninké. Ce sont d’exécuteurs des ordres venants de la première caste. Par ailleurs, encore une fois, avec l’émancipation de la société et l’arrivée d’une nouvelle génération (descendants d’esclaves) efficiente, les choses changent lentement mais surement. Mais pas une chose aisée de changer les mentalités dans un milieu comme celui de soninkara. Une communauté communautariste et inégalitaire.[7]
En effet, cette hiérarchie sociale soninké, on la retrouve chez toutes les communautés humaines, en Europe, en Asie, aux Etats-Unis et en Afrique. En revanche, en occident ce modèle de société est complément révolu, car non seulement c’est une violation de droits humains, mais aussi c’est un système qui freine le progrès humain. Il a fallu attendre la révolution française de 1789, pour passer la monarchie à la République. Avec la déclaration française de droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la déclaration universelle de droits de l’homme du 10 décembre 1945, les citoyens sont tous nés égaux en droit et en devoir. En effet, cette stratification sociale est certainement présente dans la société africaine et presque dans toutes les communautés. Par exemple chez les toucouleurs, en premier lieu viennent les torobés (Torodo), ensuite les rimbés (Dimo) ainsi de suite. Chez la société maure, viennent en premier lieu, les guerriers, ensuite les marabouts, ensuite les tributaires etc…
Bien que d’un statut social différent[8], ces derniers, de par leur dépendance, ont créé une sorte d’identité de sort, qui se traduit dans le paysage politique actuel par l’existence de deux camps, deux parties : les hooro et les autres. En milieu les esclaves(les komo)ne sont pas autorisés à occuper le premier rang dans les mosquées et ne peuvent pas être enterrés dans les mêmes cimetières que leurs maîtres.
- L’esclavage dans la société Wolof
En milieu Wolof, les héritages de la discrimination fondée sur la caste continuent d’exister, en particulier dans la sphère sociopolitique. Bien qu’elle ne soit pas aussi profonde et visible qu’au cours des dernières décennies, la discrimination inter-caste existe toujours. Par exemple, l’un des observateurs des systèmes sociaux et politiques a affirmé que, « De nos jours, même si, ce n’est pas un problème de grande envergure en Mauritanie, il est impossible de voir un forgeron ‘teugg’ se marie avec un griot ‘guewel. Les teuggs disent que les guewels ne sont pas de nobles puisqu’ils étaient les serviteurs du roi, les transmetteurs de la parole de la classe monarchique et continuaient à être les serviteurs des chefs religieux et des hommes politiques.
Par contre, les guewels pensent que se marier avec les teuggs ferme toutes les portes de la réussite et de la chance’[9].
La société Wolof est divisée en catégories sociales distinctes et rigides. Ce système de castes, qui est souvent un sujet tabou, correspond le plus souvent aux catégories socio-professionnelles qui sont divisées en deux groupes principaux :
- Les geer – ou nobles – sont perçus comme le groupe supérieur. Il leur est interdit d’exercer des métiers manuels sous peine d’être déchus socialement. Mais ils peuvent être marabouts, pêcheurs, éleveurs ou agriculteurs. Les marabouts sont donc hors du système des castes.
- les neeno ou nyeenyo (ceux qui appartiennent à une caste en opposition au geer qui se considèrent comme non castés) constituent la caste inférieure sous-divisée en deux ensembles :
- les artisans manuels, que l’on appelle jeff-lekk, qui rassemblent les castes des teugg (forgerons), Ude (cordonniers), lawbé (bûcherons, ébénistes) et maabo (tisserands).
- les artisans de la parole : les griots ou gewël. Ils sont chanteurs, musiciens, laudateurs.
- les neeno ou nyeenyo (ceux qui appartiennent à une caste en opposition au geer qui se considèrent comme non castés) constituent la caste inférieure sous-divisée en deux ensembles :
Un enfant appartiendra obligatoirement à la caste de son père, même si sa profession n’a plus rien à voir avec celle de ses ancêtres.
Par ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, le Mauritanie n’a jamais élu de président casté. La traduction exclut effectivement les castés du domaine politique ou guerrier[10]
L’esclavage dans la communauté négro-africaine est moins souvent mentionné parce qu’il y prend la forme d’une stratification sociale. Il est également plus difficile de l’identifier, car il est présent au sein d’un groupe racial homogène, à la différence de l’esclavage au sein de la communauté maure.
B. L’esclavage dans la société maure
La société mauritanienne est caractérisée par une structure extrêmement hiérarchisée, dans laquelle les Maures blancs, ou Beïdanes(Arabo-Berbères) constituent une élite qui contrôle l’économie et la plupart des rouages de l’appareil d’État, notamment le Gouvernement, l’armée et la police. Historiquement, ils ont attaqué, réduit en esclavage et assimilé des groupes ethniques noirs sédentaires installés le long du fleuve Sénégal. L’esclavage y fut en effet une pratique constante, concernant des milliers de personnes, permettant aux élites de disposer d’une domesticité obéissante et efficace, et qui fut également à la source d’un immense commerce, très lucratif.
Aujourd’hui, ces populations assimilées sont aussi dénommées Maures noirs. À la suite de la loi de 1905 abolissant l’esclavage en Mauritanie, les Maures noirs ont été progressivement affranchis et ont été communément appelés les Haratines − terme qui vient du mot arabe signifiant liberté – car ils sont perçus par le reste de la société comme étant des esclaves affranchis. Les Haratines continuent d’être victimes de discrimination sociale, de marginalisation et vivent dans des conditions d’exclusion et de pauvreté extrêmes en raison de leur appartenance à une «caste servile». C’est surtout à propos de ce groupe ethnique que l’on parle d’esclavage de nos jours en Mauritanie. Dans de nombreux cas, les Haratines, même affranchis, continuent de servir leurs maîtres parce qu’ils leur sont attachés par des liens économiques, culturels et psychologiques et qu’ils n’entrevoient aucune autre option viable. Qu’ils soient affranchis ou encore asservis (Abid), les Maures noirs sont appelés Haratines. Les populations noires font, quant à elles, face à une très forte discrimination et parmi ces groupes minoritaires, les Harratines, ou Maures noirs, constituent la communauté la plus marginalisée. Une partie d’entre eux est maintenue en esclavage aujourd’hui.
Figure 1 :A la recherche de l’eau au Brakna dans les Dar El Barka
Dans ce vaste pays essentiellement désertique, il est extrêmement difficile aux esclaves de s’enfuir et d’abandonner leurs «familles». Les Haratines qui fuient leurs maîtres vont vivre dans des adwabas, des campements de descendants d’esclaves, ou dans des bidonvilles à l’extérieur des grandes villes. Les anciens esclaves deviennent ainsi les membres les plus pauvres de la communauté: ils n’ont guère accès aux services de base tels que l’éducation et leurs possibilités d’emploi sont limitées. Ils occupent fréquemment des emplois de service et autres emplois subalternes dans les centres urbains. Dans certains cas, d’anciennes femmes esclaves travaillent dans les zones urbaines comme domestiques chez des parents de leurs anciens maîtres ou comme prostituées. Dans d’autres cas, des femmes esclaves affranchies établissent des petits commerces en vendant des articles tels que le couscous ou la menthe; quant aux hommes, ils travaillent comme portefaix ou gardiens de nuit.
Le fait que les anciens esclaves négro-africains et haratines n’ont pas accès aux services de base et à des moyens d’existence différents contribue à propager l’idée qu’ils demeurent des êtres inférieurs et qu’ils seront toujours des esclaves et subissent les effets des formes contemporaines de l’esclavage.
II. Les Formes contemporaines de l’esclavage en Mauritanie
A. La réalité contemporaine
La plupart des responsables rencontrés ont admis que l’esclavage existait toujours, mais seulement dans des zones rurales et reculées. Ces responsables ont souvent évoqué les aspects psychologique et physique de l’esclavage. Ils ont reconnu la nécessité d’aller au-delà de la promulgation de lois contre l’esclavage en faisant des campagnes de sensibilisation pour connaître ces lois et en s’attaquant au problème de la pauvreté, qui affecte tant les maîtres que les esclaves.
D’autres responsables ont nié l’existence de l’esclavage, déclarant que, sur le plan juridique, la Mauritanie avait aboli et incriminé l’esclavage, lequel n’existait donc plus en tant qu’institution. Ces responsables ont parlé de séquelles ou de vestiges de l’esclavage qui résultaient de la pauvreté.
Après avoir analysé les entretiens menés avec des victimes de l’esclavage résidant à Atar et Rosso ou originaires de Nema, les consultants estiment que les situations qui les ont été décrites comportent les éléments clefs qui définissent l’esclavage[11]. Les victimes ont décrit des situations dans lesquelles elles étaient complètement à la merci de leur propriétaire, en raison des menaces physiques et/ou psychologiques qu’elles subissaient; elles ne pouvaient prendre aucune décision ayant trait à leur vie de manière indépendante et sans la permission de leur maître; elles étaient traitées comme des objets – par exemple, des filles étaient données en cadeau de noces; elles étaient privées de liberté de mouvement, et elles étaient forcées de travailler pendant de longues heures pour une rémunération minime, voire sans aucune rémunération. En outre, les victimes se voyaient refuser le droit d’hériter. Ces victimes avaient échappé à l’esclavage et parlaient des proches qu’elles avaient laissés derrière elles et qui vivaient toujours en esclavage. Les consultants ont par conséquent conclu que de facto l’esclavage existait encore dans certaines parties reculées de la Mauritanie.
Dans les zones rurales, des hommes, des femmes, des garçonnets et des fillettes continuent de vivre en esclavage. Il n’est pas rare que des esclaves qui s’enfuient retournent vivre chez leurs maîtres parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de subsistance. Les anciens esclaves dans les zones rurales rencontrent des difficultés pour acquérir des terres et que certains sont obligés de donner un pourcentage de leur production à leurs anciens maîtres. Par conséquent, bien qu’ils soient «affranchis», d’anciens esclaves continuent d’être traités comme des esclaves. Les discriminations matrimoniales se résument principalement à la non-réciprocité des alliances entre les « nobles » rimße et les « esclaves » maccuße. Celle-ci se traduit par la possibilité pour les premiers de prendre des femmes chez les seconds, alors que l’inverse est en principe impossible en raison de l’interdiction d’alliances hypogamiques faites aux femmes nobles [12].
Les anciens esclaves des zones rurales qui s’enfuient de chez leurs maîtres ou qui sont «affranchis» continuent d’être asservis en milieu urbain. Ces anciens esclaves retombent en esclavage en raison de la discrimination, du manque d’éducation ou de formation professionnelle et du manque de moyens leur permettant de trouver un autre mode de subsistance.
Figure 2: Autre mode de subsistance ; vente de l’eau
Il y a d’autres pratiques analogues à l’esclavage telles que les mariages précoces et forcés, le servage, les pires formes de travail des enfants (notamment enfants contraints à la mendicité), la traite des personnes et la servitude domestique, qui touchent les hommes, les femmes, les garçons et les fillettes.
Ces formes d’esclavage concernent les anciens esclaves ainsi que des personnes qui n’ont, historiquement, jamais été asservies, les personnes de castes. Toutefois, les consultants ont relevé que, dans, la majorité de nos entretiens, lorsqu’ils soulevaient ces questions, nombreux étaient ceux quine considéraient pas de telles violations des droits de l’homme comme des formes contemporaines d’esclavage.
B. Les discriminations sexospécifiques de l’esclavage en Mauritanie
Les femmes sont les plus vulnérables, car elles subissent une triple discrimination: en tant que femmes, en tant que mères et en tant qu’esclaves. Elles sont considérées parleurs maîtres avant tout comme de la main-d’œuvre puis comme productrices de main-d’œuvre.
Les esclaves de sexe féminin qui vivent au domicile de leurs maîtres sont rarement autorisées à s’éloigner du campement de leur maître. Leur journée de travail commence généralement avant le lever du soleil pour s’achever après son coucher. Elles doivent prendre soin des enfants du maître, aller chercher l’eau, ramasser du bois pour le feu, piler le mil, déplacer des tentes faites de lourdes peaux d’animaux et effectuer d’autres tâches domestiques. Les femmes esclaves sont fréquemment battues et parfois violées parleurs maîtres, qui les considèrent comme leur propriété. Leurs enfants sont également considérés comme appartenant au maître et, de même que les autres esclaves, peuvent être loués ou prêtés ou donnés en cadeau de noces. En se séparant des enfants d’une femme esclave, ou d’un autre membre de sa famille, le maître est en mesure d’exercer un contrôle plus étroit sur la femme esclave. Celle-ci est en effet moins susceptible de désobéir ou de chercher à s’échapper quand elle ne sait pas où ses enfants sont et que seul son maître a cette information. Ni un père esclave ni une mère esclave n’ont de droits sur leurs enfants.
En milieu pulaar, les« esclaves » ont en effet la pénible charge avec les membres des groupes professionnels d’effectuer toute une série de travaux : apporter du bois, puiser l’eau, égorger les bêtes, piler le mil, cuisiner, étaler les nattes, servir, débarrasser, balayer, laver les plats…. Ces spécialisations dans des tâches dégradantes rappellent les réflexions de M. Douglas (1992) sur la notion de souillure’, lorsqu’elle indiquait qu’elle est une puissante ressource politique, dans la mesure où elle contribue à la constitution d’un ordre symbolique, procédant par des exclusions et des inclusions[13].
Quand une esclave se marie, le maître peut faire main basse sur sa dot. En outre, un maître peut autoriser un mariage, mais refuser d’«affranchir» l’esclave, s’assurant ainsi que, du fait de ce mariage, l’époux et les futurs enfants de la femme esclave travailleront pour lui ou pour sa famille. Le maître peut également contraindre des esclaves mariés à se séparer ou à divorcer. Dans ce cas de figure, c’est généralement l’esclave de sexe masculin qui est contraint de partir, souvent après avoir subi une série de menaces verbales et physiques. Cet esclave est en effet vu comme une menace pour le foyer du maître, car on craint qu’il n’incite au départ les «possessions» du maître (la femme esclave et ses enfants).
Un mari et père esclave est seulement reconnu si le maître a consenti au mariage, ce qui est rarement le cas. Nombreux sont les esclaves qui ne connaissent pas leur père ou leur grand-père.
Des noms génériques qui ne sont pas les noms de leurs parents biologiques sont ordinairement donnés aux enfants à leur naissance.
Les hommes, femmes et enfants esclaves se voient dénier leur droit à une vie de famille, ce qui est en violation directe des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la Mauritanie a adhéré[14].
Les consultants ont rencontré des femmes et des filles qui avaient fui l’esclavage dans les zones rurales et avaient été séparées de force de leurs familles en raison de l’esclavage. Ces femmes avaient passé leur vie à chercher leur mère ou leurs enfants.
Dans certains cas, les filles retrouvaient leurs mères et étaient en mesure de les sauver de l’esclavage. Mais il arrivait aussi que les filles retrouvent leurs mères et leurs frères et sœurs et que ceux-ci refusent de quitter leurs maîtres, en raison de leurs croyances religieuses ou parce qu’ils ne voyaient pas d’autre solution possible, financièrement parlant.
C. Les enfants victimes de l’esclavage
La loi mauritanienne prévoit que les enfants à partir de l’âge de 14 ans peuvent travailler dans le secteur non agricole; les enfants âgés de moins de 13 ans ne peuvent travailler dans le secteur agricole que si le Ministre du travail accorde une permission en raison des conditions locales. Toutefois, les consultants ont été informés que des enfants âgés de moins de 13 ans travaillaient dans tous les secteurs d’activité.
Il y a deux manières pour un enfant de devenir un esclave en Mauritanie de nos jours: par la naissance ou s’il est donné en cadeau. Le droit de ces enfants de naître libres est violé et leurs droits fondamentaux à une identité, une famille et une enfance sont bafoués. Tout esclave en Mauritanie a aussi connu une enfance asservie. Les enfants grandissent sans connaître leurs parents ou leurs frères et sœurs. Leurs maîtres, qui sont leurs proches socialement, leur tiennent lieu de famille, ce qui rend encore plus difficile pour les enfants asservis de s’échapper. Dans les cas où un maître reconnaît les enfants qu’il a eus d’une esclave, les enfants sont généralement séparés de leur mère.
À la campagne, les enfants asservis prennent généralement soin du bétail, s’occupent des cultures vivrières, exécutent des tâches domestiques et autres tâches importantes en appui aux activités de leur maître.
Les enfants vivant dans des conditions analogues à l’esclavage dans les zones urbaines travaillent souvent comme domestiques. Les enfants employés comme domestiques non seulement travaillent de longues heures pour assurer leur subsistance mais sont particulièrement exposés aux sévices sexuels ou autres violences physiques[15].
Le travail imposé aux enfants, souvent pénible et dangereux, altère leur santé pour la vie, les prive d’instruction et les empêche de jouir normalement de leurs premières années.
En ce qui concerne le phénomène des talibés (élèves des écoles religieuses ou disciples d’une secte religieuse ou d’un maître religieux spécifiques), qui sont contraints par des marabouts à mendier dans les rues au profit financier de ces derniers, il est largement admis que ces enfants ne sont pas mauritaniens et viennent du Sénégal ou du Mali.
L’utilisation des enfants aux fins de mendicité est une forme d’esclavage[16]. Le Gouvernement travaille avec les religieux pour mettre un terme à cette pratique.
Toutefois, dans les nombreuses conversations que les consultants ont eues à travers le pays surtout avec le Président Boubacar Messaoud, Président de SOS-Esclaves, nous confient que beaucoup ne considéraient pas la mendicité comme une forme d’esclavage.
Figure 3: Entretien avec le doyen Boubacar sur les problèmes des enfants serviles
Les mariages précoces forcés, dont certains impliquaient des fillettes victimes de la traite aux fins de mariages forcés dans d’autres pays.
Cette pratique contrevient directement à l’article 2 de la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage, qui interdit les mariages précoces forcés.
D. L’esclavage et les personnes âgées
Les consultants ont été informés que les esclaves âgés sont censés continuer de travailler. Leurs enfants restent parfois avec eux, comme esclaves, parce qu’ils ne veulent pas quitter leurs parents − généralement leur mère − car alors il n’y aurait plus personne pour prendre soin d’eux. On a rencontré le cas d’une ancienne esclave qui est retournée chez son maître pour y chercher sa mère âgée, qui était atteinte de cécité passagère. Celle-ci a refusé de partir avec sa fille parce qu’elle avait été esclave pendant tant d’années qu’elle ne pouvait imaginer une autre vie possible, étant âgée et en mauvaise santé. Elle croyait également que quitter son maître aurait pour conséquence une punition de nature religieuse. À la deuxième tentative, sa mère a quitté son maître.
Cette femme a depuis recouvré la santé et la vue grâce à l’aide d’une organisation non gouvernementale (ONG) en particulier SOS-Esclaves.
E. L’esclavage et la religion
En islam, la société civile est régie par la Loi islamique issue du Coran et de la Sunna du Prophète ; il semble que le Coran tolère l’esclavage, tout en imposant aux maîtres des restrictions importantes. L’interprétation, toutefois, peut être différente selon que l’on s’en tienne à la lettre ou que l’on cherche à prendre en compte les circonstances historiques de production du texte. Il est certain que le Coran mentionne le fait d’affranchir un esclave comme une bonne action, permettant par exemple d’expier un péché. Quoi qu’il en soit, la pratique de l’esclavage dans les sociétés musulmanes du VIIe au XVIe siècle ne fait aucun doute. Leur fonction première est celle de travailleur, aussi bien aux champs que pour la construction des bâtiments (ce dès les années 680), ainsi que dans les mines de sel du Sahara ou dans les mines d’or du Soudan. Ces esclaves sont particulièrement seuls, coupés de tout lien social ou familial – les femmes sont interdites de mariage et se voient confisquer leurs enfants en cas de grossesse, tandis que les hommes sont castrés – et leur condition est honteuse ; d’ailleurs, parmi les esclaves libérés par les administrations coloniales à la fin du XIXe siècle, très peu retourneront dans leur pays d’origine par peur de l’opinion. Ce sont tous des étrangers, venus souvent de très loin. Comme tous les esclaves, ils sont exclus des fonctions religieuses et ne sont pas reconnus aptes à témoigner en justice. Si l’esclavage est très peu réglementé dans les tous premiers temps de l’Islam, avec la formation progressive de la Loi islamique à partir des préceptes coraniques, plusieurs règles s’imposent, notamment l’interdiction de la maltraitance ; toutefois, la peine encourue pour offense à un esclave est moitié moins forte qu’en cas d’offense à un homme libre. L’infériorité des esclaves est donc institutionnalisée.
La société en Mauritanie s’inspire de la loi islamique pour fonder les persistantes des discriminations religieuses. Pendant des années, on a répété aux esclaves que, s’ils faisaient ce que le maître leur disait de faire, ils iraient au paradis, mais que, s’ils se détournaient de leur maître, ils renonçaient au paradis. Il s’agit là d’un puissant mécanisme de contrôle qui enseigne à ceux qui sont asservis d’obéir aux ordres et d’accepter leur sort, sous peine d’être oubliés par leur Dieu. Sans accès à l’éducation ou à d’autres moyens de subsistance, nombreux sont ceux à croire qu’ils sont esclaves par la volonté de Dieu.
Lors de nos rencontres avec des théologiens et des chefs religieux, on a été informé que les maîtres se fondaient sur une interprétation erronée de la religion pour maintenir les esclaves dans un état de subordination. En outre, les chefs religieux ont rapporté que certains de leurs homologues citaient des passages du Coran pour justifier l’existence et la persistance de l’esclavage.
En Milieu pulaar, l’argument religieux est parfois utilisé par les « nobles » rimße pour justifier le refus de donner leurs filles ou leurs sœurs aux « esclaves »maccuße. Ces derniers sont en effet souvent perçus comme des personnes ayant une faible éducation religieuse. Cette vision renvoie en partie au statut originel des esclaves qui devait en principe ne concerner que les « infidèles »[17]. C’est de ce profil originel que leur vient également leur réputation de pratiquer la sorcellerie, réputation qui était particulièrement forte chez les esclaves d’origine bambara.[18]
Selon les règles de l’Islam, la femme servile est en effet une« concubine » taara et une épouse potentielle pour les nobles[19]. Ces alliances, relativement fréquentes, assuraient aux femmes une évolution de leur statut, car en mettant au monde des enfants reconnus par leurs maîtres, elles étaient automatiquement affranchies (affranchissement par le ventre).Outre les liens affectifs réels qui pouvaient exister entre les personnes, lechoix d’épouser une esclave renvoyait souvent aux stéréotypes « positifs »[20]sur la fécondité de la femme servile : « Sexuellement, les relations avec une esclave sont dites être bénéfiques[21] ».
F. L’esclavage et la discrimination
Un autre de leurs rôles principaux est celui de serviteur ou domestique, aussi bien chez les élites politiques et commerciales qu’à la cour même du calife ou du sultan : les Mamelouks, esclaves d’origine circassienne employés dans la garde personnelle du sultan d’Égypte sous la dynastie ayyoubide, en sont un exemple, mais ils reprennent une tradition déjà ancienne. Les esclaves peuvent en effet être aussi employés dans les armées, comme des mercenaires forcés. Enfin, il existe ce qu’on pourrait appeler des esclaves de haut rang, qui occupent des fonctions importantes au sein de l’État. À l’époque ottomane, notamment, une partie de la cour du sultan est constituée d’esclaves (eunuques) ou d’affranchis qui le conseillent et remplissent des tâches administratives d’importance. Dès le califat umayyade, toutefois, des esclaves étaient utilisés pour le secrétariat, la greffe ou l’administration. Au sein même de la classe sociale que constituent les esclaves, la diversité est donc de mise et les positions sociales sont fortement différenciées, selon une hiérarchie qui va du mineur au conseiller d’État, en passant par le soldat et le valet ; mais les esclaves « privilégiés » sont rares, et aucune dynastie ne peut se mettre en place puisque les esclaves ne peuvent avoir de descendance. Il arrive toutefois que certaines femmes esclaves, cloîtrées dans les harems des puissants, se voient accorder la préférence du maître et vivent une vie paisible, notamment si elles sont instruites ; mais leur infériorité statutaire et leur devoir d’obéissance et de soumission demeurent inchangés. En ce qui concerne le racisme et la discrimination, l’article premier de la Constitution mauritanienne garantit à tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe ou de condition sociale, l’égalité devant la loi et interdit l’incitation aux actes de discrimination raciale et ethnique; il contient des dispositions pénalisant toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale ainsi que tous actes de violence ou provocation dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique. La Constitution garantit également, en son article 15, le droit à la propriété et à l’héritage à tous les citoyens sans aucune distinction. L’article 395 du Code du travail établit l’égalité d’accès à l’emploi et interdit toute discrimination, distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, l’ascendance nationale, la couleur, le sexe, la religion, les opinions politiques ou l’origine sociale.
La pratique de l’esclavage est illégale, mais l’esclavage en Mauritanie repose en partie sur des attitudes discriminatoires profondément enracinées. Dans la société mauritanienne, fortement stratifiée et fondée sur l’appartenance à des castes, même les anciens esclaves ou descendants d’anciens esclaves continuent de vivre avec le stigmate de leur «classe servile» et sont ostracisés. Du fait des pratiques discriminatoires, les anciens esclaves sont bien souvent relégués dans les emplois manuels ou de service dans les zones urbaines. Quand ils s’élèvent au-dessus de leur condition, les anciens esclaves continuent de se heurter à la discrimination. On a pris connaissance d’une situation où un membre de la communauté soninké appartenant à une caste inférieure a été nommé Ministre mais sa propre communauté a refusé de le reconnaître. Cela montre que, même lorsque le Gouvernement a eu recours à la discrimination positive, les bénéficiaires ont rencontré des difficultés car certaines communautés ont refusé d’abandonner leurs vieilles idées traditionnelles concernant l’esclavage fondé sur la caste. Même lorsqu’elle est nommée à un poste important, la personne n’est pas respectée.
Des siècles durant, les hooro (sing. hoore) étaient les seuls à avoir voix au chapitre dans les affaires de la société Soninkée. Ils dirigèrent et dirigent encore les affaires religieuses : ils prennent la direction des prières, veillent à l’instruction religieuse des enfants, officient aux mariages et à l’imposition des prénoms[22], toxoorandu (sing. toxoorande). Ils occupaient les fonctions politiques : chefferie des villages, médiation avec l’administration coloniale.Les ñaxamalo (sing. ñaxamala) et les komo (sing. Komé), quant à eux, étaient confinés dans un rôle subalterne, de dépendance à presque tous les niveaux.
Bien que d’un statut social différent[23], ces derniers, de par leur dépendance, ont créé une sorte d’identité de sort, qui se traduit dans le paysage politique actuel par l’existence de deux camps, deux parties : les hooro et les autres. La dichotomie entre lesdites identités n’est ni fortuite ni abusive. La société soninkée a toujours abrité deux camps : l’un avait tous les pouvoirs et l’autre un statut de « seconde zone ». Mais l’usage des taxinomies locales, toujours bien vivantes, permet de couper court à tout amalgame. Aussi les termes vernaculaires seront-ils les pivots de ce travail, tant leurs équivalences en français peuvent parfois gauchir la réalité[24] et tromper plus d’une personne non avertie sur les sociétés africaines, en général, et sur la société soninkée en particulier.
Socialement, les individus continuent d’être stigmatisés et ostracisés parce qu’ils sont esclaves ou anciens esclaves, ce qui a un impact profond sur leur psychisme. Les consultants ont pris connaissance de cas où des Maures blancs font activement obstacle au développement de Haratines; par exemple, des Maures blancs ont refusé de payer des maçons haratines et ont préféré payer plus cher des étrangers − en l’occurrence des Gambiens. Le consultant a également été informée qu’un groupe de Haratines, qui avaient reçu de l’argent du Programme alimentaire mondial, avaient été empêchés de forer des puits par des Maures blancs qui leur ont volé leur équipement et ont contesté leur droit d’occuper les terres.
Le problème des castes dans la société wolof, les ñoole sont des courtisans, serviteurs et bouffons. Selon Yoro Jaw, ils constituent un groupe à part et marginal : «entre les Diambours et les Gnegno, il existe une caste intermédiaire spéciale les Gnolé à qui tout mariage est interdit tant avec les premiers qu’avec les seconds». Les jaam groupe social servile qui est divisé en jaami-buur (captifs des familles princières garmi) et en jaami-badoolo (captifs des familles particulières). Cette présentation même schématique permet de tirer certaines conclusions. La première est que si nous considérons le critère unique de la bipartition sociale le travail manuel les géér sont défini négativement et les ñeeño d’une manière positive ; le premier groupe ne présente donc aucun contenu fonctionnel dans sa définition. Deuxièmement nous pouvons affirmer que le groupe social n 3 est dans le même cas et le n 4 est défini sur un critère autre que la spécialisation professionnelle. Ce critère est politique en tant qu’il se réfère au pouvoir qui divise la société selon un clivage gor / jaam (hommes libres / captifs) ; dans le dernier groupe s’introduit une nuance fondée sur la proximité ou non avec les détenteurs du pouvoir : buur (ceux qui participent au pouvoir) badoolo (ceux qui en sont exclus). C’est dire que par rapport au pouvoir politique les groupes sont ordonnés hiérarchiquement ; par rapport au système social ils sont distribués d’une manière positive ou négative sur la base de la division sociale du travail.[25]
Les consultants ont entendu les témoignages d’anciens esclaves qui ont fait état de la discrimination qu’ils subissent en matière d’accès à la justice, d’égalité des chances dans l’emploi et d’accès aux services de base tels que l’éducation.
G. L’esclavage et la terre
1. Législation foncière
Le 25 juin 2003, le Gouvernement a adopté la loi no 025/2003 portant répression de la traite des personnes, qui prévoit pour les auteurs de telles infractions des sanctions pénales pouvant aller jusqu’aux travaux forcés à perpétuité.
L’article 15 de la Constitution mauritanienne garantit le droit de propriété. En 1983, soucieux de mettre en valeur des terres pour la production agricole, le Gouvernement a promulgué la loi sur la réforme agraire, qui garantit la propriété foncière privée. Toutefois, cette loi énonce également que le Gouvernement peut exproprier des citoyens, moyennant indemnisation, en vue de répondre aux «besoins de développement économique et social» plus larges de la collectivité. Les communautés qui, en conformité avec leurs coutumes, sont opposées à la propriété et à la vente individuelles des terres, doivent créer des coopératives et se faire enregistrer officiellement en tant qu’associations. Dans les zones rurales, l’expropriation de facto perpétrée par des agents puissants disposant d’appuis parmi les hauts responsables est monnaie courante. Des conflits entre les Haratines et les maîtres-Maures blancs ont également éclaté dans les zones rurales lorsque les premiers ont revendiqué la propriété de terres en faisant valoir que c’étaient eux qui les cultivaient[26].
Aux termes de la loi, le Gouvernement peut accorder des titres de propriété pour des terres non exploitées, notamment les jachères, à quiconque s’engage à les bonifier et possède les ressources nécessaires pour ce faire. Par suite, des Maures blancs ont acquis des terres, situées le long du fleuve Sénégal, qui appartenait traditionnellement aux communautés négro-africaines. Cette situation est en partie à l’origine des tensions de la fin des années 80 entre les responsables de l’État et les communautés de la région du fleuve Sénégal, patrie des ethnies pulaar, soninké et wolof. Ces tensions ont finalement abouti entre 1989 et 1991 au massacre, orchestré par l’État, et à l’expulsion vers le Mali et le Sénégal, de milliers de citoyens négro-africains. En outre, les terres abandonnées par les Négro-Africains en fuite ont été données à des Haratines, ce qui a accentué les tensions entre les deux groupes lorsque les Négro-Africains sont rentrés[27].
2. Constatations sur l’organisation foncière
Traditionnellement, la terre appartenait aux aînés de la communauté ou aux nobles qui étaient les maîtres (dans les communautés maures blanches et négro-africaines, il s’agissait de ceux qui n’appartenaient pas à la caste des esclaves). La propriété foncière se transmettait d’une génération à l’autre. Les esclaves cultivaient des parcelles de terrain, mais n’en étaient jamais propriétaires. Cette situation relevait du servage[28]. Les esclaves devenaient des serfs en ce qu’ils partageaient avec leurs maîtres tous profits qu’ils tiraient de la terre, cédant ainsi à leurs maîtres une part de leur production.
De nos jours, les maîtres, même s’ils vivent en ville, possèdent toujours les titres de propriété des terres cultivées par les esclaves. Des cas de servage ont été constatés: d’anciens esclaves haratines cultivaient des parcelles de terre depuis des années mais s’en voyaient refuser la propriété juridique, alors que la même parcelle était volontiers cédée à des Maures blancs qui n’investissaient pas dans la terre. Ces derniers obligeaient alors les anciens esclaves haratines à leur verser une redevance ou les expulsaient de leurs terres. À cet égard, on a rencontré un groupe d’anciens esclaves haratines réduits au servage, connu sous le nom d’Organisation de sauniers d’Idjil, qui ont extrait du sel durant de nombreuses années. Ils paient une taxe aux autorités locales pour exploiter la terre, ainsi qu’une taxe à leur maître. Ils ont déposé plusieurs plaintes contre les demandes de paiement de leur maître, mais en vain. En outre, on leur a refusé la propriété juridique du terrain.
On a été informée que des maîtres expulsaient les esclaves de leurs terres s’ils ne votaient pas pour le candidat choisi par leur maître. Ces esclaves se sentaient par conséquent également privés de leurs droits de vote.
Les esclaves qui s’enfuient ou sont affranchis migrent vers les centres urbains où ils vivent dans des bidonvilles, la plupart du temps sans aucun titre de propriété officielle. Il importe d’aborder la question du régime foncier dans les zones rurales et urbaines.
Des solutions doivent être trouvées aux questions de propriété foncière, en particulier les rapports fonciers entre maîtres et anciens esclaves, car faute de quoi elles seront probablement cause de conflits. Pourtant le Décret n° 2000-089 du 17 juillet 2000 abrogeant et remplaçant le Décret n° 90.020 du 31 janvier 1990 portant application de l’ordonnance 83.127 du 5 juin 1983 portant Réorganisation Foncière et Domaniale. Dans son Chapitre 2 prévoit des organes de gestion domaniale en zone rural au niveau des articles 15, 16 et 17 que je cite :
Article 15– La gestion des terres domaniales en zone rurale doit impliquer les autorités administratives compétentes, les élus locaux et les représentants de la société civile et des organisations socioprofessionnelles à vocation rurale.
Article 16- Les organes de gestion domaniale en zone rurale comprennent :
– un Comité International des Affaires Foncières,
– un Comité National de Suivi de la Réorganisation Foncière,
– deux Commissions Nationales chargées respectivement de l’arbitrage des conflits fonciers collectifs, et de l’étude préalable des demandes de concessions rurales relevant de la compétence du Ministre des Finances ou du Conseil des Ministres,
– une Commission Foncière de Wilaya,
– une Commission Foncière de Moughataa.
Article 17– La composition et les compétences du comité interministériel des affaires foncières demeurent fixées par le décret n° 89-123 du 14 septembre 1989.
Partant de cette législation foncière, Il existe dans toutes les régions, une commission de distribution des terres. Cette commission est composée du préfet de région, du maire, des conseillers municipaux, d’experts techniques et de dirigeants de la communauté. Il est essentiel que les commissions foncières soient représentatives des différents groupes présents dans la communauté[29].
H. L’esclavage et l’héritage
Lorsque les esclaves meurent, leurs biens peuvent être revendiqués par le maître oula famille du maître. Un esclave ou les enfants d’un ancien esclave ne jouissent pas du droit d’hériter de leurs parents. Cette situation perpétue le cercle vicieux de l’esclavage, dans la mesure où l’héritage pourrait servir de base matérielle à l’esclave pour acheter sa liberté ou celle de ses enfants.
La Rapporteuse spéciale a eu connaissance d’une affaire de succession en suspens depuis 2003. Malgré les jugements rendus en faveur de la famille de l’ancien esclave, l’homme prétendant être le maître de l’ancien esclave avait refusé de se conformer aux décisions des tribunaux. On pense que le jugement n’a pas été appliqué en raison des liens du maître avec les autorités locales. art. 1, al. b de la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage.
C’est un esclavagisme par ascendance, lié à l’hérédité, qui s’apparente à un système de castes. Dans toutes les régions, des communautés entières sont victimes de violations de leurs droits. Depuis près d’un an, des « esclaves » ont décidé de s’élever contre l’ordre établi. Victimes d’agressions physiques, de tortures ou de confiscations de biens, ils mènent une campagne de dénonciation auprès des Autorités.
III. Cadre normatif et institutionnel
A. Le cadre juridique international et régional
1. Le cadre juridique international anti-esclavage en Mauritanie
La Mauritanie est partie aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ci-après:
- Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
- Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants,
- Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,
- Convention relative aux droits de l’enfant
- Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants
- Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
La Mauritanie a émis des réserves, fondées sur la charia islamique, au Pacte relatif aux droits civils et politiques, à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à la Convention relative aux droits de l’enfant.
Aux fins de ce rapport, il importe aussi de noter que la Mauritanie est partie à la Convention relative au statut des réfugiés.
La Mauritanie est également partie aux instruments internationaux ci-après qui interdisent expressément les formes contemporaines d’esclavage:
- Convention relative à l’esclavage de 1926 et Protocole amendant la Convention relative à l’esclavage,
- Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956,
- Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,
- Convention no 138 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi,
- Convention no 182 de l’OIT concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination
- et la Convention no 29 de l’OIT concernant le travail forcé ou obligatoire.
2. Le cadre juridique régional anti-esclavage en Mauritanie
La Mauritanie a ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui interdit expressément l’esclavage dans son article 5,leProtocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sur les droits des femmes en Afrique, et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. À la suite d’une mission effectuée en Mauritanie en juin 1996, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a «noté qu’il était encore possible de trouver des personnes considérées comme des esclaves dans certaines parties du pays»[31].
La Commission a déclaré qu’il était de la responsabilité de la Mauritanie d’assurer l’application effective de sa législation nationale abolissant l’esclavage[32], et donc de faire respecter la liberté des citoyens, de mener des enquêtes et d’engager des poursuites judiciaires contre les auteurs des violations de la législation nationale.
Entre 1986 et 1992, la Commission a reçu des communications émanant de groupes de défense des droits de l’homme qui affirmaient que l’esclavage et d’autres pratiques apparentées perduraient en Mauritanie. En mai 2000, la Commission a recommandé, entre autres, au Gouvernement mauritanien de «faire une évaluation de la situation de telles pratiques dans le pays en vue d’identifier avec précision les causes profondes de leur survivance et de mettre en place une stratégie tendant à leur éradication totale et définitive» et «de prendre des mesures administratives adéquates pour l’application effective de l’ordonnance no 81-234 du 9 novembre 1981, portant abolition de l’esclavage en Mauritanie» ainsi que la loi 2015-031 du 10 septembre 2015 incriminant l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes.
B. Le cadre juridique et institutionnel national
1. Application de la législation nationale anti-esclavage en Mauritanie
Au cours du dernier siècle, l’esclavage en Mauritanie a été aboli, en théorie, par la voie législative à trois reprises. Il le fut la première fois en 1905, par le biais d’un décret colonial qui prévoyait l’application à la Mauritanie de la loi française votée en 1848abolissant l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Cette abolition a été réaffirmée, lors de l’indépendance, par la Constitution de 1961, qui intégrait les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En 1980, suite à l’indignation générale suscitée par la vente de M’barka, une Maure noire asservie, dans la localité d’Atar, le Président Haidallah avait annoncé dans une déclaration l’abolition de l’esclavage. Cette déclaration est devenue par la suite l’ordonnance N° 081-234 du 9 novembre 1981.
L’ordonnance N° 081-234 du 9 novembre 1981 portant abolition de l’esclavage constituait une mesure extrêmement importante, mais elle comportait plusieurs inconvénients. Elle donnait de l’esclavage une définition trop vague, ignorant ainsi le sort de nombreuses personnes réduites à un état de quasi-esclavage. Pour que l’ordonnance se traduise dans les faits, elle aurait dû être accompagnée par des mesures effectives s’attaquant aux racines du problème, en particulier en offrant aux esclaves des alternatives possibles et en leur enseignant leurs droits − faute de quoi, les esclaves affranchis et leurs descendants retourneraient chez leurs maîtres. En outre, l’article premier de l’ordonnance a définitivement aboli l’esclavage sur le territoire national, mais n’a pas imposé de sanction pénale pour cette pratique. L’article 2 énonçait que, en conformité avec la loi islamique, une indemnisation pour l’abolition de l’esclavage serait versée aux personnes y ayant droit, c’est-à-dire aux propriétaires d’esclaves. Les détails du plan d’indemnisation seraient arrêtés par une commission nationale composée d’oulémas (docteurs de la loi musulmans),d’économistes et d’administrateurs. Aucun décret d’application n’a été adopté, ce qui a rendu la loi pratiquement inopérante. Avant la déclaration de 1980, il y avait eu désaccord sur la question de savoir s’il fallait se contenter de rendre obligatoire l’affranchissement des esclaves ou si celui-ci devrait s’accompagner de mesures de dédommagement au bénéfice de la personne à l’origine de l’esclavage. Il semble qu’aucune proposition visant à instaurer des mesures de compensation en faveur des victimes n’ait été faite, et rien n’indique que la commission n’ait jamais été formée[33].
L’adoption, le 3 septembre 2007, de la loi portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes a constitué une étape cruciale dans l’approche de cette question en Mauritanie. Le Premier Ministre, présentant le projet de loi, l’a décrit comme «un tournant décisif visant à éliminer toutes les tares héritées du passé, à promouvoir une culture d’égalité, de tolérance et de citoyenneté et à mettre en place des conditions favorisant le progrès et l’émancipation de tous les Mauritaniens». Cette position contraste avec l’attitude de déni manifestée par le passé au sommet de l’État[34].
La loi, en son article 2, définit l’esclavage comme «l’exercice des pouvoirs de propriété ou certains d’entre eux sur une ou plusieurs personnes» et interdit, en son article 3, «toute discrimination, sous quelque forme que ce soit, à l’encontre d’une personne prétendue esclave». Le crime d’esclavage, commis par «quiconque réduit autrui en esclavage ou incite à aliéner sa liberté ou sa dignité ou celle d’une personne à sa charge ou sous sa tutelle, pour être réduite en esclave» est puni par une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans et une amende représentant de 2 000 à 4 000 dollars des États-Unis environ[35].
Le texte codifie également les «infractions liées à l’esclavage», qui sont sanctionnées par des peines allant de six mois à deux ans d’emprisonnement et par une amende représentant entre 200 et 840 dollars. Ces infractions incluent l’appropriation de biens, de produits ou de gains provenant du travail d’un esclave; le préjudice causé à l’intégrité physique d’un esclave ou le refus de laisser un enfant d’esclave accéder à l’éducation[36].
La loi prévoit une assistance et une indemnisation financière pour les personnes affranchies de l’esclavage ou des pratiques esclavagistes et incrimine des pratiques telles que l’exploitation sexuelle des femmes esclaves par leurs maîtres ainsi que le fait de justifier l’esclavage. En outre, lorsqu’une pratique analogue à l’esclavage a fait l’objet d’un signalement aux autorités, notamment les gouverneurs, les préfets, les chefs locaux et les agents des forces de police, et que ces personnes n’y donnent pas suite, elles sont passibles de peines d’emprisonnement et d’une amende (art. 12). Le Ministre de l’intérieur a donné instruction à ces autorités de faire appliquer la loi et le Ministre de la justice a ordonné aux procureurs d’enquêter sur toute allégation d’esclavage signalée[37].Les associations des droits de l’homme sont habilitées à dénoncer les atteintes à cette loi et à aider les victimes. Ces dernières sont exemptées des frais de procédure(art. 15).
Conformément aux modifications de la Constitution qui ont érigé l’esclavage en crime contre l’humanité et à la feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, adoptée par le Conseil des ministres le 6 mars 2014, l’adoption en septembre 2015 d’une nouvelle loi (no 2015–031), portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes consolide les orientations du gouvernement et abroge la législation no 2007/48 de 2007 sur le même sujet.
La nouvelle loi est une étape positive, dans ses 26 articles, elle fait de l’esclavage un crime contre l’humanité et transfère l’acte d’esclavage du rang de « délit » à celui de « crime », ce qui alourdit les peines d’emprisonnement entre 10 et 20 ans pour refléter le nouveau statut de «crime ». Elle fournit des définitions plus précises de l’esclavage, notamment le « placement », qui inclut des situations où une femme est promise en mariage à un homme ou donné à un autre homme au décès de son mari, la « servitude » et la « servitude sous contrat ». Peut-être plus important encore, la nouvelle loi permet aux organisations des droits de l’homme légalement enregistrées en Mauritanie depuis cinq ans de représenter des victimes devant les tribunaux. Cette disposition est particulièrement importante dans les cas où les victimes peuvent être réticentes à déposer plainte en raison d’une dépendance psychologique ou économique envers leurs maîtres. Cette importante réforme a été accompagnée par la mise en place de trois juridictions spéciales pour connaître des infractions relatives aux pratiques esclavagistes qui couvrent l’ensemble du pays, avec, pour l’ensemble du pays et pour les cinq dernières années, l’ouverture de 40 procédures portant sur le travail forcé. Certains de ces cas ont déjà connu leur dénouement à travers deux condamnations, d’autres ont fini par bénéficier de non-lieu, tandis que le reste est en cours de jugement. Le rôle des juges est précisé et impose que tous les droits des victimes soient protégés, même en cas d’opposition au jugement ou d’appel.
Dans le domaine judiciaire, de nouvelles institutions ont vu le jour : trois cours criminelles spécialisées dans la lutte contre l’esclavage et les pratiques esclavagistes, trois tribunaux de Moughataa, les pôles (parquet et instruction) spécialisés dans la lutte contre la corruption, la cour criminelle spécialisée dans la lutte contre la corruption et l’Office de Gestion des Biens Gelés, Saisis et Confisqués et de Recouvrement des Avoirs Criminels (OGRAC).
D’autres textes ont été adoptés afin de compléter cette nouvelle loi: la loi no 2015-033 du 10 septembre 2015, relative à la lutte contre la torture qui abroge et remplace la loi no 2013/011 du 23 janvier 2013, portant répression des crimes d’esclavage et de torture en tant que crimes contre l’humanité; la loi no 2015-034 du 10 septembre 2015 instituant un Mécanisme national de prévention de la torture (MNP); et la loi no 2015-030 du 10 septembre 2015 portant aide judiciaire.
Adoptée en 2003, la loi 025/2003 portant répression de la traite des personnes incrimine l’enrôlement, le transport et le transfert de personnes par la force ou sous la menace à des fins d’exploitation sexuelle ou économique en particulier des femmes et des enfants et les informations disponibles sur les flux de la traite en Mauritanie. La lutte contre la traite des êtres humains nécessite une approche globale qui est envisagée par la loi N° 2020-017 relative à la prévention et la répression de la traite des personnes et la protection des victimes ainsi qu’un engagement multipartite et des solutions innovantes.
En ce qui concerne le racisme et la discrimination, l’article premier de la Constitution mauritanienne garantit à tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe ou de condition sociale, l’égalité devant la loi et interdit l’incitation aux actes de discrimination raciale et ethnique; il contient des dispositions pénalisant toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale ainsi que tous actes de violence ou provocation dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique.
La Constitution garantit également, en son article 15, le droit à la propriété et à l’héritage à tous les citoyens sans aucune distinction. L’article 395 du Code du travail établit l’égalité d’accès à l’emploi et interdit toute discrimination, distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, l’ascendance nationale, la couleur, le sexe, la religion, les opinions politiques ou l’origine sociale.
2. Le cadre institutionnel national
Le cadre institutionnel des droits de l’homme a connu plusieurs évolutions qui ont porté sur la réforme des principales institutions de l’Etat, comme le Commissariat aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et aux relations avec la société civile, le Haut Conseil de la Fatwa et des Recours Gracieux, la Commission Nationale des Droits de l’Homme(CNDH), du Mécanisme National de Prévention de la Torture(MNP) et de la Délégation Générale à la solidarité nationale et à la lutte contre l’exclusion « TAAZOUR ».
A. Le Commissariat aux droits de l’homme, à l’action humanitaire et aux relations avec la société civile
Depuis sa création, le Commissariat aux droits de l’homme, à l’action humanitaire et aux relations avec la société civile est dirigé par un commissaire et a vocation à traiter les séquelles de l’esclavage. Dans le cadre de son action de Promotion et de Protection des Droits de l’Homme, le Gouvernement a renforcé le cadre institutionnel existant, à travers la révision constitutionnelle de 2012, qui a permis d’ériger l’esclavage et la torture en crimes contre l’humanité et reconnaître la diversité linguistique et culturelle du pays.
Le Commissariat a établi le Programme pour l’éradication des séquelles de l’esclavage (PESE) pour remédier aux séquelles de l’esclavage, mais ce programme ne s’attaque pas aux formes actuelles de l’esclavage en Mauritanie. En outre, il est axé uniquement sur les aspects liés à la pauvreté et ne prend pas en compte des facteurs tels que la discrimination, ce qui offrirait pourtant la possibilité de changer les attitudes et les croyances des anciens esclaves et des maîtres en lançant une campagne soutenue de sensibilisation.
De surcroît, le Gouvernement ne dispose pas de données précises sur la nature et l’incidence de l’esclavage en Mauritanie, d’où la difficulté d’adopter en la matière des mesures appropriées.
La nécessité s’impose donc de traiter le problème des pratiques esclavagistes en Mauritanie selon une approche plus globale, en menant des actions qui s’inscrivent dans la durée qui s’attachent à identifier les anciens esclaves ainsi qu’à leur fournir d’autres moyens de subsistance et des services de base tels que l’accès à l’eau, à la santé et à l’éducation.
Le PESE met en œuvre son plan d’action à travers :
- Suivi de la mise en œuvre du Plan d’action de la Feuille de Route pour l’éradication des formes contemporaines de l’esclavage ;
- Organisation de campagnes de sensibilisation au profit des leaders de la Société Civile et des médias sur la législation anti-esclavagiste ;
- Formation de réseaux et d’associations de presse sur la lutte contre les formes contemporaines de l’esclavage ;
- Sensibilisation des personnes affectées par les séquelles de l’esclavage sur leurs droits ;
- Diffusion d’émissions débat sur l’illégitimité des pratiques esclavagistes ;
- Adoption d’une stratégie de communication sur l’éradication des séquelles de l’esclavage.
B. Le Haut Conseil de la Fatwa et des Recours Gracieux
Né de la fusion de l’institution du Médiateur de la République, du Haut Conseil Islamique et du Conseil de la fatwa et des recours gracieux, le Haut Conseil de la Fatwa et des Recours Gracieux a pour mission d’émettre des fatwas et de régler, par la médiation, les litiges entre les citoyens et l’administration.
C. La Délégation Générale à la Solidarité Nationale et à la lutte contre l’exclusion (TAAZOUR)
TAAZOUR a pour missions principales :
- D’assurer l’intégration des couches défavorisées dans le processus de développement,
- De coordonner la mise en œuvre de la stratégie nationale de protection sociale, d’identifier, concevoir, mettre en œuvre et suivre les programmes de solidarité et d’inclusion sociale
- Et d’assurer leur accès aux services de base et à la propriété foncière dans les zones de pauvreté.
La Délégation Générale TAAZOUR contribue significativement à l’amélioration des conditions socioéconomiques des populations défavorisées à travers ces cinq programmes et leurs domaines d’actions. TAAZOUR conduit une démarche globale, intégrée de lutte contre la pauvreté autour de cinq axes stratégiques :
- Faciliter l’accès aux services de base
- Développer la promotion et l’inclusion économiques
- Améliorer le cadre de vie
- Renforcer l’efficacité des filets sociaux et l’amélioration du pouvoir d’achat.
- Assurer la sécurité alimentaire et la défense du pouvoir d’achat.
Outre les programmes de Cash Tekavoul et EMEL, la lutte contre les discriminations et la réalisation de l’égalité citoyenne sont assurées à travers trois programmes phares :
- Programme CHEYLA en faveur de la modernisation des communes et Adwabas ;
- Programme DARI pour la construction de 10.000 habitats sociaux ;
- Programme ELBARAKA pour les activités économiques, AGR, entrepreneuriat et micro finances.
En vue d’optimiser l’autonomisation et la participation active des femmes, un programme de création de micros entreprises féminines au profit des 6000 femmes a été mis en place en vue d’assurer la visibilité des compétences féminines, pour une meilleure représentativité des femmes dans les instances de prise de décision.
Le Gouvernement a pris en charge les cotisations à l’assurance maladie pour 2000 personnes handicapées, leur permettant d’accéder à des soins de santé de qualité.
Il a également mis en place un programme d’insertion économique en faveur de 5300 personnes handicapées dont 3800 à Nouakchott et 1500 à l’intérieur du pays.
Le Gouvernement a adopté en 2019 la stratégie nationale de promotion d’emploi faisant de l’emploi des jeunes un axe prioritaire.
D. Le Mécanisme National de Prévention de la Torture (MNP)
Institution indépendante conformément à l’OPCAT, le MNP a pour mission de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de privation de liberté.
A cet effet, il effectue des visites régulières, programmées ou inopinées, dans ces lieux. Mis en place en 2015, son mandat a été renouvelé en 2020.
E. La Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH)
La CNDH, une institution consultative indépendante et autonome à composition plurielle, est chargée du conseil, de l’observation, de l’alerte, de la médiation et de l’évaluation en matière de respect des droits de l’Homme.
Elle donne avis sur les questions se rapportant à la promotion et à la protection des droits de l’Homme et au respect des libertés Individuelles et collectives.
Le nouveau statut d’institution constitutionnelle renforce l’ancrage et l’indépendance de la CNDH au sein du cadre institutionnel mauritanien, et prend en compte les critères de professionnalisme, de compétence et de pluralisme de ses membres, conformément aux recommandations du Sous-comité d’Accréditation des Institutions Nationales des Droits de l’Homme et aux exigences des Principes de Paris.
IV. L’impact de la pandémie de COVID-19 dans la vie des DWD en Mauritanie
Nous sommes convaincus que nous devons faire de cette période un tournant pour les communautés minoritaires dans la société mauritanienne.L’impact disproportionné de la COVID-19 sur les communautés ethniques minoritaires que nous avons constaté avec effroi le nombre de personnes et de groupes marginalisés et victimes de discrimination fondée sur l’ascendance en particulier les personnes issues de minorités ethniques et les ex-esclaves qui ont été victimes de la COVID-19.
Pour faire face aux nouveaux défis économiques et sociaux et de la pandémie de la Covid-19, le Gouvernement a dû réviser ses priorités. Trois grands programmes ont été initiés et mis en œuvre : le Programme Prioritaire N°1, le Programme, Pastoral Spécial et le Plan de solidarité nationale et de riposte à la pandémie.
Un ensemble d’actions cohérentes à impact immédiat et significatif sur le bien-être des populations ont été initiées sous la forme d’un Programme Prioritaire. Ce programme, qui vise l’augmentation du pouvoir d’achat, l’accès aux services de base et la création d’emplois, a bénéficié à près de 2.000.000 de personnes et a créé plus de 6000 emplois, occasionnels ou permanents, pour un coût total dépassant 4,1 milliards d’ouguiyas.
Le Programme Pastoral Spécial a été mis en place pour aider les éleveurs à faire face au déficit pluviométrique de l’hivernage 2019. Financé à hauteur d’un milliard d’Ouguiyas, ce programme a constitué une réponse rapide et efficace aux besoins essentiels et urgents de centaines de milliers d’éleveurs.
Dès l’apparition de la Covid-19, le Gouvernement a rapidement pris les mesures qui s’imposent. Ainsi, un plan de riposte a été mis en place dès le 25 mars 2020, comportant les mesures phares suivantes :
- Mise en œuvre de mesures préventives par la fermeture des frontières, couvre-feu et confinement ;
- Lancement des campagnes de sensibilisation sur l’ensemble du territoire national ;
- Création d’un fonds de solidarité nationale ;
- Acquisition d’équipements et de médicaments ;
- Appui financier et alimentaire direct à des dizaines de milliers de familles pauvres ;
- Suppression des taxes et droits de douanes sur les produits essentiels, ainsi que les taxes municipales sur les produits de pêche artisanale ;
- Prise en charge des factures d’eau et d’électricité pour les ménages pauvres et en milieu rural ;
- Organisation de rapatriement des ressortissants bloqués à l’étranger ;
- Déploiement de 88 équipes sanitaires d’intervention rapides ;
- Mise en place de trois centres de dépistage à Nouakchott et de deux laboratoires spécialisés dans le diagnostic de la COVID-19 ;
- Mise en place de 2 centres spécialisés en prise en charge des cas critiques ;Mise en place d’un centre d’isolement avec une capacité de 1120 lits.
Le plan de riposte et la gestion de la crise sanitaire ont permis de limiter considérablement l’impact de la pandémie sur l’économie et les finances publiques surtout chez les groupes discriminés par le travail et ascendance.
Enfin, pour conclure, les consultants ont vivement déploré l’absence de la volonté politique des pouvoirs publics bien qu’il y a des avancées significatives sur le juridique pour éradiquer la discrimination basée sur le travail et l’ascendance en Mauritanie.
V. Conclusions et Recommandation
Suite à l’étude sur les DWD en Mauritanie et les es informations recueillies, on recommande que les mesures voulues doivent être prises pour inciter les décideurs politiques à assurer une inclusion et une participation significatives des personnes victimes de discrimination fondée sur le travail et l’ascendance en Mauritanie dans les différentes procédures. Les poursuites à l’égard des auteurs du crime contre les communautés DWD en particulier les esclaves et les personnes victimes de la hiérarchisation des castes sont peu engagées et les sanctions pénales prises sont légères qui n’ont eu que peu ou pas d’effet dissuasif.
Nous recommandons ce qui suit :
- appliquer strictement la loi 031 de 2015 contre l’esclavage pour garantir que les responsables de pratiques esclavagistes, font effectivement l’objet d’enquêtes, qu’ils sont poursuivis, sanctionnés et purgent une peine proportionnée au crime commis;
- renforcer l’inspection du travail et les autres mécanismes d’application de la loi afin de combattre l’imposition du travail forcé, toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes et des filles.
- veiller à ce que les poursuites engagées auprès des tribunaux spéciaux pour des crimes d’esclavage soient traitées dans les délais requis, et à ce que les magistrats appliquent des lois dans tout le pays, soitformé à l’identification des actes commis et à leur renvoi, et l’organisation des campagnes de sensibilisation sur les condamnations encourues.
- Mettre pleinement en œuvre la feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, en apportant un soutien complet aux victimes et en engageant des poursuites contre les auteurs de tels actes. Cela devrait comprendre:
- un renforcement des capacités des autorités en matière de poursuites et d’administration du système judiciaire quant à l’esclavage;
- des programmes de prévention de l’esclavage en appuyant l’éducation des enfants victimes d’esclavage par ascendance ;
- des programmes visant spécifiquement à permettre aux survivants des DWD de réintégrer la société;
- des programmes de sensibilisation et de vulgarisation des textes règlementaires de lutte contre lesDWD ;
- Faciliter l’intégration sociale et économique complète des personnes victimes de discrimination fondée sur le travail et l’ascendance, celles soumises à l’esclavage dans la société et du système des castes , y compris les Haratine et d’autres groupes marginalisés ayant été soumis à des pratiques assimilées à l’esclavage, et garantir qu’elles ont accès aux services et aux ressources.
- Agence nationale TAAZOUR qui s’attache de manière volontariste et pragmatique à sortir un maximum de ménages vulnérables de la pauvreté par une action globale, cohérente et suivie et maximisant l’impact de son intervention doit orienter ses programmes en mettant particulièrement l’accent sur les communautés DWD victimes de d’exclusion pour les appuyer à travers ces différents programmes sociaux(Projet d’appui au système de filets sociaux, Programmes Tekavoul, Programme Cheyla, Programme Albarka, Programme Dari, et Programme Emel).
- Elaborer et mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation en direction du grand public, des victimes d’esclavage, de la police, et des autorités administratives, judiciaires et religieuses pour s’approprier du problème des communautés DWD.
- Effectuer un recensement pour avoir des données précises sur la nature, les formes et la prévalence des communautés DWD en particulier celles relatives à nos spécifiés : l’esclavage par ascendance, l’héritage du système des castes dans la société en Mauritanie, comme l’a recommandé la commission d’experts en 2016, et établir des procédures de contrôle et d’évaluation des efforts déployés pour mettre fin à cette pratique.
La fondation Sahel qui est un membre du Réseau africain contre la discrimination fondée sur le travail et l’ascendance et les formes contemporaines d’esclavage a fait les recommandations suite à ses activités de routine pour l’appui dans sa lutte contre l’esclavage et les autres formes de discriminations, dans les domaines suivants:
- Appui à l’éducation pour la construction d’école dans les villages adwabas et dans les zones prioritaires d’éducation habitées par les anciens esclaves.
- Formations des femmes vulnérables victimes de l’esclavage dans villageoises adwabas la gestion administrative et financière, et la création d’AGRs.
- Identification des enfants déscolarisés et out-school pour leur réinsertion dans les écoles
- Recensement des cas d’esclavage et le traitement cas par cas.
- Ouverture des centres d’écoute dans tous les départements pour venir au secours des victimes de l’esclavage et les autres discriminations fondées sur le travail et l’ascendance.
- Organiser une campagne de sensibilisation et d’éveil sur les lois incriminant l’esclavage pour combattre les discriminations fondée sur l’esclavage par ascendance.
- Combattre les mariages précoces en insérant les filles dans les écoles et en sensibilisant leurs familles l’importance de l’éducation parentale.
A cet égard, on recommande au gouvernement de solliciter l’appui technique et financier du Bureau du Haut-Commissariat des Droits d l’Homme en Mauritanie qui a pour mandat de protéger et de promouvoir les droits des CDWD pour contribuer au développement et à la croissance des programmes à travers la coordination de ses actions et la mise en œuvre des activités avec le Commissariat aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire, aux Relations avec la Société Civile en Mauritanie. Nous recommandons également au gouvernement de donner des instructions pour mettre en œuvres ces recommandations, en particulier celles concernant la protection et la promotion des droits des communautés DWD.
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Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causeset leurs conséquences, Mme Gulnara Shahinian, A/HRC/15/20/Add.2, 24 août 2010.
Quand les identités sociales s’affrontent, la coexistence : Devient difficile au foutatoro : Les Soninkés face aux mutations du xxe siècle, Cheikhna Wagué, Éditions de la Sorbonne| « Hypothèses », 2007/1 10 | pages 215 à 226
LesformesextrêmesdedépendancedanslasociétéhassanophonedeMauritanieetlesrevendicationsd’égalitésociale.L’idéologiedupuretdel’impur, Mariella Villasante Cervello1 Instituto de democracia y derechos humanos (IDEHPUCP), Limaet Centre Jacques Berque, Rabat
Le problème des castes dans la société wolof : Mamadou Diouf Assistant, Département d’Histoire Faculté des Lettres & Sciences Humaines, Dakar Paru sous le titre : «Essai sur l’histoire du Saalum». 1 Revue sénégalaise d’Histoire, 1981
[1] Après une première phase de gouvernement indépendant, entre 1960 et 1978, sous la présidence de Mokhtar Ould Daddah, le pays est passé sous l’autorité des militaires. Le colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya a marqué de son empreinte l’histoire récente du pays (1984-2008). Durant son mandat, le pays bascula dans le racisme d’État, les persécutions et les massacres des Noirs accusés de « mettre la patrie en danger ». Les associations de victimes considèrent que, lors des purges qui s’ensuivirent, 1 760 militaires Noirs furent tués par le gouvernement de Taya, que 60 000 à120 000 Noirs, notamment Halpular’en, furent expulsés du pays vers le Mali et le Sénégal, et que 476 villages furent détruits (Villasante 2003a, 2007d, 2014a : 513-561 ; Ndiaye 2012). Le pays est gouverné actuellement par le général Mohamed Ould Abdel Aziz, qui fit un coup d’État en 2008, puis se fit élire en 2009, et réélire en juin 2014 (Villasante 2014c, Chronique politique de Mauritanie, décembre 2014).
[2] (En) « Mauritania », sur Global Slavery Index, 2016 (consulté le20 novembre 2017).
[3]Mme Gulnara Shahinian, lors de sa mission officielle effectuée en Mauritanie du 24 octobre au4 novembre 2009.
[4]Terme communément employé en Mauritanie pour désigner les populations wolof, haalpulaar et soninké de la vallée du Sénégal. Rappelons également que ces populations – tout en ayant été victimes de razzias dans leur histoire – ont participé au commerce transsaharien en fournissant parfois des esclaves aux Maures (Curtin, 1975 ; Webb 1995 ; Bonte, 1998).
[5]Ces ordres sont eux-mêmes subdivisés en plusieurs catégories sociales.
[6]L’emploi des termes «esclave » et « noble » renvoie ici à un usage local et à un statut social
[7]BA – Boubou, Doctorant – chercheur à Paris, Membre de l’Association Française de l’Histoire du Droit à Paris (AFHD)
[8]Contrairement aux komo, les ñaxamalo ne sont pas des gens de condition servile. Ils constituent le corps socioprofessionnel de la société. Ils ont leurs propres komo. Leur savoir-faire (forge, bijouterie, cordonnerie, etc.) et leur rôle de médiation sociale lors des événements heureux (mariages, imposition des prénoms, etc.) ou malheureux (décès, etc.) leur donnent une place plus ou moins importante dans la société. À ce titre, ils jouissent, malgré leur statut inférieur, d’un certain respect de la part des hooro.
[9]IDSN is an international lobby and advocacy network, which is working for the elimination of caste-based discrimination and other forms of discrimination based on work and descent. For more information, visitwww.idsn.org
[10]Gilles Holder, « Tal Tamari, Les castes de l’Afrique occidentale. Artisans et musiciens endogames », Homme, vol. 39, no 152, 1999, p. 234–237 (lire en ligne [archive], consulté le 30 décembre 2018)
[11]L’esclavage est défini à l’article premier de la Convention relative à l’esclavage de 1926 comme «l’état ou la condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux»
[12]Si le préjugé biologique explique en partie l’interdit matrimonial, ce dernier renforce à son tour la vision essentialiste que les nobles peuvent avoir des esclaves. Le contrôle des alliances vient, en effet, conforter le préjugé biologique en créant la certitude que l’on est en présence de deux groupes distincts.
[13] Olivier Leservoisier : les héritages de l’esclavage dans la société haalpulaar de Mauritanie, page 251.
[14]Art. 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; art. 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; par. 1 et 2 de l’article 18, par. 1 de l’article 27 et par. 1 de l’article 29 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples; art. 16 de la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes; et art. 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
[15]Fiche d’information No.14 – Formes contemporaines d’esclavage
[16]Voir la Convention de l’OIT no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination.
[17]Cependant, nombre de commentateurs lors des périodes d’islamisation eurent à dénoncerle cas de musulmans enrôlés de force. Le célèbre juriste Ahmed Bâba de Tombouctoudénonçait ainsi, au début du XVIIe siècle, les abus de la traite qui ne faisait pas de distinctionentre païens et musulmans (Zouber, 1977).
[18]Cette réputation se retrouve classiquement dans les sociétés musulmanes vis-à-vis despopulations serviles. Dans le cas de la société maure, voir Ould Cheikh (1993) et OuldKhalifa (1998).
[19]Le Coran sourate IV. 25.
[20]Plusieurs images « positives » sur les esclaves, comme celles de confident, de protecteur, oula croyance en la fécondité des femmes serviles, restent fortement ancrées dans les esprits et contribuent, à leur tour, à renforcer la vision essentialiste sur les esclaves.
[21]Entretien avec B. L, Nouakchott, le 16/12/03. Ces stéréotypes sont également en vigueur dans la société maure (Bonte, 1998) et chez les Peuls du Sénégal oriental (N’Gaide, 1999).
[22]Nombreux sont ceux qui emploient sans réserve le terme « baptême » en place de l’expression « imposition du prénom », toxooran de. Eu égard à sa connotation chrétienne et sur le conseil de feu Ousmane Moussa Diagana, en juin 1998, j’ai décidé de ne plus l’employer, entre autres, dans mes travaux.
[23]Cheikhna Wagué, Doctorant du CEMAƒ, il prépare une thèse de doctorat sous la direction de Pierre Boilley sur Les communautés soninkées du FoutaToro (Mauritanie, Sénégal) du XVIIIe siècle à nos jours. Peuplements et stratégies identitaires.
[24]À titre d’indication, dans la littérature coloniale, hoore (plur hooro) signifie « noble »,ñaxamala (plur. ñaxamalo) « casté» et kome (plur. komo) « esclave » ou « captif ».
[25]Le problème des castes dans la société wolof Mamadou Diouf Assistant, Département d’Histoire Faculté des Lettres & Sciences Humaines, Dakar Paru sous le titre : «Essai sur l’histoire du Saalum». 1 Revue sénégalaised’Histoire, 1981
[26]Cf. Cédric Jourdé in «Country report − Mauritania: Countries at the Crossroads 2007» (Washington, Freedom House, 2007).
[27]Ibid
[28] Le servage est la condition de quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition − cf.
[29]Journal Officiel de la République Islamique de Mauritanie n° 984 Date de promulgation : 17.07.2000 date de publication : 15.10.2000, Décret n° 2000.089
[30]Rapport sur les formes contemporaines de l’esclavage-2020
[31]Malawi African Association et al. c. Mauritanie, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, communications nos 54/91, 61/91, 98/93, 164/97 à 196/97 et 210/98 (2000).
[32]Ordonnance no 081-234 du 9 novembre 1981
[33]Amnesty International, Mauritanie: un avenir sans esclavage? (Londres, 2002), p. 7.
[34]Ainsi, en septembre 2001, un représentant du Gouvernement mauritanien déclarait au Comité des droits de l’enfant que «la société mauritanienne n’avait jamais connu la servitude, l’exclusion ou la discrimination … et que, par conséquent, il ne pouvait y subsister de vestiges de ces pratiques»(CRC/C/SR.724, par. 22).
[35]Voir la loi no 2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant lespratiques esclavagistes.
[36]Ibid.
[37]Ibid.