L’opposition hausse le ton : Vous avez dit élections ?

Le dépouillement des élections municipales, régionales et législatives de ce mois de Mai 2023 suscite de vives protestations. L’onde de choc touche non seulement les partis de l’opposition mais également ceux de la majorité présidentielle. Au fur et à mesure que la CENI publie, non sans retard, les résultats partiels, les vingt-cinq formations ayant pris part au scrutin découvrent l’ampleur de ce que certains qualifient même de « mascarade ».

Selon les chiffres qui circulent, le pouvoir s’acheminerait vers une majorité confortable à l’Assemblée nationale. Selon les résultats déjà annoncés par la CENI, l’INSAF aurait raflé plus de 80 sièges sur les 176 que compte notre Parlement à chambre unique. Les autres partis de la majorité en seraient à 36 et l’opposition 24. 36 autres feront l’objet du second tour prévu le 28 Mai prochain. Les taux de dépouillement ont atteint 99, 47 % pour les municipales, 99, 34 % pour les régionales, 97,14% pour les listes nationales mixtes et 96,32% pour la liste nationale des femmes et celle des jeunes.

Des résultats fortement contestés par la majorité des acteurs politiques. Presque tous affirment qu’en matière d’organisation des élections et de transparence, la Mauritanie a enregistré un « gros recul » par rapport aux précédents scrutins. Le désastre est énorme : au vu des résultats actuels, certains partis de l’opposition traditionnelle et de la majorité risquent fort de disparaître de l’arène politique, n’ayant pas réussi à totaliser le 1% exigé pour rester en vie. Leur proximité – « complaisance », aux yeux pour certains – envers le président Ghazwani suffirait-elle à justifier leur élimination ? Mais pourquoi n’ont-ils pas entendu les cris descendants de la montagne ?

Presque tous avaient salué l’accord signé avec le ministère de l’Intérieur en vue de préparer des élections consensuelles, quelques mois après l’arrêt par le gouvernement du processus de dialogue qui espérait trouver des solutions consensuelles à un certain nombre de questions d’intérêt national, dont l’organisation d’élections locales. Applaudissant l’accord, ils sont tous allés aux élections sans se préoccuper de sa mise en œuvre. Faute sans doute à ses contradictions internes et à la pluralité des agendas de ses membres, l’opposition s’est-elle encore une fois fait rouler dans la farine ? Seul l’AJD/MR d’Ibrahima Moctar Sarr avait boudé les concertations avec le ministère de l’Intérieur. Non officiellement reconnus, le RAG de Biram Dah Abeïd et les FPC de Samba Thiam n’y avaient pas été associés, quoique leur participation au processus de dialogue interrompu était jugée « nécessaire et indispensable », tant par le reste de l’opposition que par la majorité. Le ver était donc dans le fruit.

 

Ghazwani à la manœuvre

Face aux nombreuses protestations et tirs croisés contre la CENI et le ministère de l’Intérieur, le président de la République resté silencieux durant la campagne électorale tente de parer à un contentieux électoral qui pourrait se muer en « crise politique ». Un terme employé par les présidents des partis au lendemain de leur rencontre au Palais avec Ghazwani ; « à sa demande », se sont-ils empressés de préciser lors de leur conférence de presse, vendredi dernier 19 Mai. Rendant compte aux journalistes le contenu des conversations avec le Raïs, ils ont indiqué avoir dénoncé les manquements constatés au cours du scrutin et du dépouillement. Pour Ould Maouloud, Ould Daddah Ould Boulkheïr et Ould Abeïd, ce qui s’est passé « dépasse l’entendement » ; Messaoud ould Boulkheïr allant jusqu’à dire qu’il n’y avait pas eu d’élection ce 13 Mai.

Et tous de demander au Président d’assumer sa « responsabilité », pour éviter de plonger le pays dans la crise et l’instabilité. Lui qui se vantait d’avoir apaisé les rapports avec l’opposition et d’envisager la présidentielle de 2024 dans la sérénité ne devrait pas rester insensible aux « récriminations » des leaders de celle-là dont certains lui prêtaient le flanc depuis son arrivée au pouvoir. En tout cas, ils se déclarent unanimes à préparer une riposte.

 

Plan de riposte

En attendant la suite des démarches avec les parties prenantes, les partis de l’opposition exigent la réunion rapide du comité de suivi du précédent accord avec le ministère de l’Intérieur, en présence detous les partis concernés et de la CENI. Il s’agira d’évaluer la situation et la mise en œuvre dudit accord. L’opposition veut de surcroît mettre en place un pool d’avocats pour constituer un dossier en vue de recours éventuels. Ces spécialistes vont lister précisément les manquements constatés pour les plaider devant la CENI, voire toute juridiction appropriée.

Elle réclame l’annulation des résultats et la reprise du scrutin à Nouakchott, Boutilimitt et partout où des manquements sont attestés. Un geste symbolique qui suffirait à certains partis, tandis que d’autres plaident pour une reprise intégrale des élections sur toute l’étendue du territoire. Autre décision de l’opposition, l’organisation d’un grand meeting de protestation rejetant les résultats. Une manière de de renouer avec la rue, quelque peu oubliée depuis le départ d’Ould Abdel Aziz. En dépit de la flambée récurrente des prix, la précarité, le chômage des jeunes et la marginalisation de certaines couches de la population, l’opposition traditionnelle a en effet brillé par son silence et son absence sur le terrain. Rendue aphone par l’arrivée de Ghazwani – ce qui explique peut-être ses résultats catastrophiques – elle pourra, à défaut de peser à l’Assemblée nationale, tester sa popularité. Simple coup de semonce ou véritable détermination à mettre fin au statu quo politique perceptible depuis 2019 ?

 

Une majorité elle aussi contestatrice

La contestation des résultats avait commencé du côté de l’INSAF le jour même du scrutin. Elle s’est ensuite étendue aux autres partis de la majorité présidentielle soutenant Ould Ghazwani. Tous dénonçant de nombreuses irrégularités, avant de demander au président de la République de prendre ses responsabilités pour les corriger. De fait, les relations au sein de la majorité s’étaient manifestement tendues depuis la mémorable tournée du Premier ministre qui menaçait les transfuges de l’INSAF partis se faire investir par d’autres partis au risque de provoquer la défaite de celui-ci. Une sortie très mal accueillie au sein de la majorité présidentielle qui laissait présager ce qu’on vient de constater : l’excès de zèle des cadres et militants du parti du pouvoir.

Redoutant ladite défaite, ils ont outrageusement pesé sur les résultats du scrutin, non seulement en important et déportant des électeurs mais aussi en achetant des voix. Les faits étaient visibles à la veille et au jour du scrutin jusque devant les centres de vote. Ce faisant, ils ont contribué à ternir l’image de la démocratie mauritanienne et la volonté même du président Ghazwani d’organiser des élections consensuelles et crédibles. Quel gâchis !

 

Possible compromis ?

La question à laquelle se posent les Mauritaniens est de savoir ce que le président de la République pourrait maintenant faire. Sa réponse aux présidents des partis qui ont répondu à son invitation au Palais ne rassure que très peu. À en croire ces derniers, il serait disposé à accompagner tout compromis trouvé avec la CENI. Comprenne qui pourra… Car que peut proposer une CENI considérée, par Biram Dah Abeïd et certainement beaucoup d’autres, comme une annexe du ministère de l’Intérieur ? Est-elle en mesure d’accomplir le geste symbolique que réclament certains, à savoir l’annulation des résultats de Nouakchott et Boutilimitt ? Le fait qu’un de ses employés ait reconnu des « manipulations » à Nouakchott et reconnaisse la nécessité de vérifier plusieurs résultats serait-il un pas vers cette éventualité ?

Un tel geste n’en serait pas moins lourd de conséquences. S’il peut contribuer à désamorcer la crise perceptible depuis quelques jours, il risque en même temps diviser plus encore les rangs de l’opposition, partagée entre les partisans de ce compromis minimal et ceux d’une reprise totale du scrutin. L’autre défi de taille pour les partis qui n’ont pu ou su s’entendre avant les élections est de parvenir à battre la mobilisation des citoyens déroutés, depuis trois ans, par le silence de certains et la complaisance d’autres. Bref, notre démocratie bat de l’aile…

Dalay Lam

Le 24/05/2023
Source : Le Calame