Le président français se rend en Afrique centrale pour une tournée de quatre jours, durant laquelle il visitera quatre pays, sur fond de rejet de la France.
La visite aurait pu être une respiration bienvenue. Quelques jours de dépaysement total et de climat équatorial pour oublier les tracas parisiens et les grèves contre la réforme des retraites. Mais en ce moment, pour Emmanuel Macron, le terrain paraît encore plus miné en Afrique que dans un cortège de la CGT. Expulsée du Mali et de Centrafrique, sur le reculoir partout ailleurs, notamment au Burkina, la France se retrouve plus que jamais contestée sur le continent. La contagion contre l’Hexagone menace de s’étendre au Tchad et au Niger, tandis que les puissances impérialistes, de la Russie à la Chine en passant par la Turquie, gagnent en présence et en influence. Rarement, les relations entre l’Afrique et la France n’ont paru si tourmentées.
C’est dans ce contexte instable que le président entame une tournée officielle dans quatre pays d’Afrique centrale qu’il n’avait jamais visités jusqu’alors, à partir de mercredi jusqu’à dimanche. Pour son second mandat, le locataire de l’Élysée souhaite mettre « l’accent tonique » sur cette zone stratégique du continent. Le chef de l’État se rendra dans certains pays symboles de la Françafrique, le Gabon des Bongo et le Congo de Sassou-Nguesso, un message difficile à accepter pour les sociétés civiles africaines qu’il affectionne. Un passage par la République démocratique du Congo et l’Angola est également au programme. La présidence a choisi de mettre en avant des thématiques consensuelles comme la défense de l’environnement avec le One Forest Summit qui se réunit pour la première fois à Libreville, conformément à ce qui avait été annoncé lors de la COP27. La formation à l’agriculture, la francophonie, la mémoire et la culture seront les autres fils rouges de ce déplacement.
Depuis le discours de Ouagadougou en 2017, Emmanuel Macron cherche le bon ton pour impulser un nouveau partenariat avec l’Afrique. Devant les étudiants de la capitale du Burkina Faso, le jeune président fraîchement investi et désireux d’imposer sa marque avait déclaré : « il n’y a plus de politique africaine de la France ». Des mots « toujours d’actualité », a-t-il expliqué lundi 27 février lors d’un discours à l’Élysée, « mais plus suffisants face aux bouleversements et aux transformations profondes que nous avons vécus ces dernières années ».
Cette prise de parole déclenchée quelques jours avant la visite a surpris à Paris comme en Afrique. Pourquoi ne pas s’adresser directement aux Africains sur leur sol ? Pour plus de « solennité », répond Emmanuel Macron. Pas de tirades lyriques et enflammées ni d’emphases, mais plutôt la volonté de poser un cadre, de donner à voir une « posture plus claire de modestie, d’écoute et d’ambition ». Faire profil bas, en somme, sachant que dans ce contexte si inflammable, chaque mot peut provoquer un incident diplomatique ou dégrader encore un peu plus l’image de la France sur le continent. Vantant une « terre d’optimisme et de volontarisme », celui qui fut stagiaire à l’ambassade de France au Nigeria durant ses études à l’ENA a plaidé pour « une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable » et à ne plus considérer le continent africain comme un « pré carré » français ou comme un « terrain de compétition » entre puissances en visant à plusieurs reprises les milices russes de Wagner, ce « groupe de mercenaires criminels ». « Comme toujours avec Emmanuel Macron, les paroles sont bien dites, l’orientation est bonne. Mais il faut juger dans les actes », commente un acteur du dossier présent lors du discours du président.
Le chef de l’État est resté très évasif sur le sujet qui fâche, la question sécuritaire et militaire, considérant toutefois que la France n’avait plus à se comporter comme le gendarme de l’Afrique. « Il y a une déception à l’égard de la France. Et il y a une déception parce qu’on a peut-être trop laissé croire que nous étions seuls à régler en totalité la question du terrorisme », a-t-il évalué. L’heure est désormais à la « coconstruction », à la réduction des effectifs français au profit des armées nationales et à la transformation des bases. La « stratégie de surexposition » doit progressivement s’effacer au profit d’une « stratégie de second rideau », telle que mise en place notamment au Niger, argue-t-on à l’Élysée. Emmanuel Macron n’a ni évoqué l’échec de l’opération Barkhane ni détaillé les moyens alloués au déploiement de ce nouveau partenariat militaire. « Il a dit que les opérations extérieures, c’est fini. La France ne peut plus être en première ligne, elle est désormais “en appui”. Car Emmanuel Macron a compris que la France faisant le gendarme pendant que les autres font du business, c’est un mauvais deal pour Paris », décrypte Antoine Glaser, journaliste et écrivain, spécialiste de l’Afrique, auteur du livre Le Piège africain de Macron – Du continent à l’Hexagone, avec Pascal Airault.
Françafrique, franc CFA…
Reste une question : la France a-t-elle encore les moyens de faire subsister un soft power en Afrique ? Réaffirmant qu’il n’éprouvait « aucune nostalgie » de la Françafrique, Emmanuel Macron doit encore donner à voir les contours du nouveau système qu’il entend promouvoir, sur les deux continents. « Nous réussirons ce nouveau partenariat si nous assumons la part d’africanité de la France », a-t-il considéré, appelant à « renforcer l’envie d’Afrique en France ». Le président a rappelé qu’il était prêt symboliquement à la fin du franc CFA. Une bonne chose, selon le philosophe et écrivain Achille Mbembe, auteur d’un rapport en 2021 sur la refondation des rapports entre l’Afrique et la France. « Emmanuel Macron est au milieu du gué. Il vit la fin d’un système agonisant qui refuse en quelque sorte de mourir – la Françafrique –, sans avoir encore atteint l’autre rivage. L’une des raisons, c’est la faiblesse des forces africaines elles-mêmes », expose celui qui vient de publier La Communauté terrestre, qui regrette une « défaite intellectuelle, morale et politique » de la France en Afrique. « Le président propose un dialogue alors que les Africains se rebiffent, parce qu’ils ont peur d’être manipulés ! Ils pensent que le président n’est pas sincère, mais sans donner d’alternative. Préfèrent-ils les coups d’État militaires ? La violence djihadiste ? Les troisièmes mandats, les successions de père en fils ? »
Ce voyage en Afrique centrale ne suffira sans doute pas à inverser la tendance. Peu reconnu pour son action en matière environnementale sur le sol national, Emmanuel Macron cherchera à renforcer son leadership international sur ce sujet lors du One Forest Summit à Libreville, centré sur la protection de la biodiversité et la lutte contre la déforestation. « Le changement climatique est un défi commun », veut croire le président. Il aura à cœur, dans ses interventions, de valoriser son « récit » des relations internationales, appelant à sortir du clivage entre un « Nord supposément occidental » et un « Sud global ». Sur le plan économique, tout en se disant désireux de « sortir de la logique de rente » vis-à-vis de l’Afrique, le président entend « défendre les intérêts » de la France en soignant les réseaux, diversifiant les partenariats économiques et accompagnant l’entrepreneuriat africain avec de nouvelles coopérations. Sur le plan culturel, Emmanuel Macron entend approfondir son travail de restitution du patrimoine africain des œuvres. Une loi-cadre sur le sujet est d’ailleurs en préparation.
« Le président a remis en question beaucoup de tabous français. L’horizon est tracé, reste à mettre tout cela en œuvre, à susciter l’adhésion. C’est un travail d’Hercule », concède le philosophe Achille Mbembe, qui a l’oreille d’Emmanuel Macron. De son côté, Mamadou Diouf, directeur de l’Institut d’études africaines à l’université Columbia de New York, juge plus sévèrement la politique africaine d’Emmanuel Macron. « Les autorités françaises doivent respecter les positions des Africains et cesser de les traiter en sujets politiques immatures dont elles doivent prendre soin. Elles doivent prêter attention aux mutations profondes du continent, à une jeunesse qui, progressivement, se débarrasse des oripeaux d’un passé d’inégalité, de domination et de soumission à la règle métropolitaine. »
Le 1er mars 2023
Par Mathilde Siraud et Julien Peyron
Source : Le Point