La corruption matérielle appauvrit les peuples, mais la corruption morale tue les Etats

Le meurtre de l’activiste Souvi Ould Cheine dans un commissariat de Nouakchott, nous a hissé au sommet de l’iceberg. En fait, nous avons atteint le seuil du Rubicon. Nous sommes aujourd’hui à l’ultime palier de l’effondrement du système sécuritaire et judiciaire. Nous avons rejoint en fait le triste peloton des Etats bananiers que nous avions l’habitude d’évoquer avec une certaine ironie, notamment certains pays latino-américains, comme la Colombie ou le Nicaragua.

Cette affaire nous a fait découvrir que les structures chargées de notre sécurité sont devenues des laboratoires où tous les actes illégaux peuvent être commis, sans toutefois trop généraliser.

En effet, si quelqu’un décide se rendre personnellement dans un commissariat de police, jouissant de la plénitude de sa santé physique, qu’il gare sa voiture, puis sort du commissariat les pieds devants, avec tout le scénario qui a suivi cet acte, nous ne pouvons que nous inquiéter.

Cette affaire ne peut nullement être enterrée, car il y va de la sécurité et de la paix sociale. Si nous-mêmes, ou bien vous, ou nos pères, nos mères, nos filles, nos garçons, ne peuvent plus entrer dans un commissariat de police, c’est gravissime.

Le cas de Souvi Ould Cheine a dévoilé par hasard une face cachée de notre réalité. Les faits parlent d’une décision de renvoi de la part du Procureur de la République concernant un individu dans une affaire civile, vers un commissariat de police hors de ses compétences territoriales. Deux actes qu’il n’aurait pas dû faire. Ensuite, le commissariat en question a tenté d’exercer sur le dit-individu la contrainte par corps, alors qu’il n’en avait pas le droit, et tout s’est terminé par un meurtre.

Ce qui s’en est suivi est loin de toute compassion humains. Ils ont pris le corps, l’ont jeté dans un hôpital, puis sont repartis la conscience tranquille. Le personnel de santé n’a pu que constater les dégâts et avertir aussitôt le Procureur de la République, qui s’est amené, suivi plus tard par le frère de la victime, à qui le commissariat en question avait interdit l’accès à son frère au moment où il était détenu dans ses locaux.

Si un Procureur de la République, un commissaire de police, des officiers de la police judiciaire, ou des agents des forces de l’ordre, qui sont en fait les gardiens de la sécurité publique et de la quiétude des citoyens, sont ceux-là mêmes qui enfreignent la loi, cela veut dire tout simplement que la loi n’existe plus.

En fait, nous n’aurions pas pu atteindre un tel stade de décrépitude, car le Mauritanien n’est pas de nature porteur de violence, ni versé vers la désobéissance à l’ordre établi et consacré.

Le constat que nous tirons de cette affaire, est que de jour en jour, nous plantons un clou sur le cercueil de l’Etat. Ici, nous tenons à alerter notre élite dirigeante sur la différence qu’ils doivent faire entre la corruption matérielle et financière qui appauvrit les peuples, et la corruption morale qui tue les Etats.

Pillez, dévalisez, mais ne faites pas en sorte que l’Etat ne puisse plus exister. Continuer à piétiner les gens, à les mépriser et à les dépouiller puis à les humilier par la force publique, ne peut conduire qu’à un séisme populaire incendiaire.

Monsieur le Président de la République, si vous ne souhaitez pas voir le pays tomber dans un gouffre sans fin, vous devez prendre des décisions tranchantes et courageuses, pour assainir l’appareil de l’Etat et corriger ses multiples dysfonctionnements.

Parmi ceux-ci, le recrutement aux postes de responsabilité, comme celui sensible de commissaire de police. Seuls doivent accéder à ce grade, des personnes ayant fait des études de droit et accumuler plusieurs années d’expérience, pas à des jeunots sans instructions, recrutés seulement parce qu’ils sont parents à un général, ou qu’ils sont fils de grand cheikh de tribu ou de tariqa.

Les premières victimes de l’effondrement de l’Etat et des valeurs républicaines, ce sont d’abord les élites qui alimentent le circuit de la corruption institutionnelle et qui protège ses brebis galeuses.

Le 20 février 2023
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique