Origines et enjeux

Au regard d’innombrables amalgames et impostures, commençons déjà par dire ce que le Panafricanisme n’est pas. Il ne s’agit pas de détester les blancs, car nous n’avons pas à combattre des individus, mais un système d’oppression. Le panafricanisme ne se résume pas non plus à des attitudes ou comportements folkloriques tels que s’habiller africain, manger africain, citer le très Vénérable Cheikh Anta Diop, scander des slogans pour dire ô combien on aime l’Afrique, et encore moins être un simple sympathisant qui se contente de commenter et d’encourager les panafricains au front. Le panafricanisme est un concept, une doctrine, un Mouvement, une vision. Le Panafricanisme est un humanisme, car il met l’humain au centre de ses préoccupations. Datant d’au moins un siècle, il est né en Amérique du Nord et est implémenté en Afrique une cinquantaine d’année plus tard. Il prône l’unité, la solidarité, la liberté et la dignité des peuples originaires d’Afrique, où qu’ils se trouvent, et quelques soient le temps passé hors du continent. Etre panafricain, c’est un état d’esprit, c’est un mode de vie. On sait qu’on est panafricain quand on a compris le complot ourdi du monde capitaliste contre l’Afrique depuis au moins un millénaire, et qu’on s’engage résolument dans le combat de la restauration de la vérité historique et de la réappropriation de l’authenticité culturelle, en vue d’atteindre l’indépendance économique et politique. Le Panafricanisme ne se dissocie donc pas de l’action. Il n’y a pas de panafricanisme sans engagement clair pour la cause noire et africaine, y compris au péril de sa vie. Il n’y a pas de panafricanisme de salon, mais uniquement celui de l’action.

Les trois dangers

Comme dans toutes les organisations, il existe des mauvaises graines, à l’intérieur comme à l’extérieur. Elles sont de 3 types :

• Les nègres de maison, comme Malcolm X les avait définis. Ce sont les ennemis de l’intérieur, qui assument de défendre les intérêts de l’oppresseur qui les a investis. Ils sont noirs ou africains, mais ils ne sont pas des nôtres. Ils sont de façon assumée et affichée au service du camp adverse et contre l’émancipation de leurs frères de couleur. Ils combattent les panafricains sans ménagement, sur ordres de leurs mentors occidentaux. Frantz Fanon les appelait les Bounty. Ils se sentent valorisés en s’assimilant à leurs maîtres et en leur trouvant toutes les vertus, en même temps qu’ils rejettent leur africanité qu’ils trouvent dégradante. Ils sont atteints du syndrome de Stockholm qui consiste à aduler son bourreau ;

• Les infiltrés, qui se passent pour des panafricanistes pour semer la confusion dans leurs rangs. Bien qu’ils en aient l’apparence et adoptent le discours et les attitudes, ce ne sont pas des panafricanistes. Ce sont des loups dans la bergerie, au service de l’ennemi pour déstabiliser les véritables combattants, avec pour objectif de contrer leurs actions de l’intérieur en décrédibilisant le Mouvement. Ce sont des agents de la France, des Etats-Unis et de l’impérialisme occidental en général ;

• Les panafricanistes opportunistes. Ils sont réellement engagés à la base, mais leur égo et leurs intérêts propres prennent le pas sur la cause panafricaine. Ils sont prêts à sacrifier un frère de combat ou une action panafricaine pour régler leurs problèmes personnels. Il suffit que vous ayez un différend avec eux pour qu’ils vous vilipendent et portent atteinte à l’image du panafricanisme. Le Panafricanisme pour eux est un prétexte pour arriver à leurs fins personnelles. Ils ne font preuve d’aucune hauteur et se livrent à toutes sortes de bassesses, du moment où leur égo le leur commande. Ils cèdent facilement au chantage et à la séduction de l’ennemi. Leur ancrage dans le panafricanisme est fragile. Ils optent en général pour le risque minimum et se frustrent de voir d’autres agir là où ils hésitent.

Les deux catégories les plus pernicieuses, parce que fondues au milieu des panafricanistes, ce sont les deux dernières. Méfiez-vous toujours des « panafricains » réels ou supposés qui ont pour passe-temps favori le dénigrement des autres panafricains. Ce sont soit des infiltrés, soit des opportunistes, mais dans les deux cas, ils représentent un énorme danger pour le Panafricanisme d’action, tandis que la première catégorie est aisément identifiable.

Vous avez dit unité et solidarité ?

On entend souvent que l’Homme est méchant. Le philosophe n’a-t-il pas dit que « l’Homme est un loup pour l’Homme » ? A l’observation, il y a une différence entre les africains et les occidentaux dans l’orientation de la méchanceté. Chez l’africain, elle est prioritairement orientée vers ses frères, quitte à prendre pour allié l’ennemi commun et nuire au combat qu’il est supposé mener. Les occidentaux ne s’aiment pas nécessairement entre eux, mais s’unissent toujours contre une même cible. Aucun peuple au monde n’a connu autant de guerres fratricides que les européens. Guerre des 100 ans, guerre des 7 ans, guerre des 30 ans, 1^ère et 2^e guerres mondiales etc. Mais quand ils ont un intérêt commun, ils oublient leurs différences et se mettent ensemble. C’est le cas de l’Allemagne et de la France après la guerre franco-prussienne de 1870 qui ne les a pas empêché de s’asseoir autour d’une même table pour se partager l’Afrique lors de la Conférence de Berlin de 1884-1885 qui a scellé le début de la colonisation.

On assiste pourtant au désolant spectacle de panafricains qui combattent d’autres panafricains, au point de mener des campagnes de diffamation contre ceux-ci, pour des questions d’égo personnel. Certains panafricains se focalisent sur des futilités plutôt que de se concentrer sur le seul combat qui vaille, celui contre l’impérialisme occidental et toutes les formes d’impérialisme. On observe ici et là des panafricains qui se targuent d’être anciens dans le combat et qui estiment ne rien avoir à apprendre de qui que ce soit, pire, ces fossiles du panafricanisme se constituent décideurs de qui a le droit ou non de poser tel ou tel acte au nom du Panafricanisme. Ils s’estiment incontournables et toute action initiée sans leur aval n’est pas panafricaine. Une autre catégorie de panafricains est celle de ceux-là qui considèrent qu’en dehors de leur vision il n’y a rien d’autre qui vaille. S’ils sont en aversion contre une personne ou une méthode, pour peu que vous ne partagiez pas leurs inimitiés, vous n’êtes pas un véritable panafricain. Autant de délires qui détournent les panafricains de leurs objectifs. D’autres encore mènent des actions remarquables dans le sens de l’éveil des consciences, mais se prévalent d’agir seuls, sans conjuguer leurs efforts pour rendre plus pertinent l’impact de la lutte que nous menons. Le Panafricanisme solitaire n’est pas le panafricanisme, le panafricanisme dogmatique non plus. Quand la calomnie ne vient pas des nègres de maisons, elle vient des infiltrés et des opportunistes de l’intérieur. Evidemment, nos ennemis en face se délectent de voir les africains si divisés. Triste réalité, tant elle témoigne de la dilution de l’impact de notre lutte, puisqu’au lieu de conjuguer nos efforts et de nous concentrer contre le seul ennemi commun, nous devons encore nous occuper à contrer les attaques internes de nos propres frères. C’est pourquoi quelqu’un a dit un jour : « Si tu veux libérer un pays, mets dix balles dans ton arme. Neuf pour les traîtres de l’intérieur, et une pour l’ennemi de l’extérieur.».

Panafricaniste, afrocentriste ou Kamite ?

 Pour faire simple, être Kamite ou Kémite, c’est rejeter les religions importées dites révélées qui ont servi de prétextes pour aliéner et piller l’Afrique, pour se réapproprier la spiritualité de nos ancêtres africains de l’Egypte antique noire qui sont la source de toutes les sciences et savoirs. Un panafricain est-il nécessairement Kamite et inversement, un Kamite est-il nécessairement panafricain ? Quid de l’afrocentrisme ? Certains estiment qu’on ne saurait être panafricain en étant soumis aux dogmes religieux des imposteurs occidentaux, car, renchérissent-ils, la spiritualité est la base de tout. Les autres rassurent qu’on ne peut pas être panafricain sans mener le combat de la libération économique, politique et culturelle. Rappelons qu’à l’origine, le panafricanisme est un Mouvement d’unité, de solidarité, de libération et de retour en dignité du peuple noir. Partant de là, l’exclusion de quiconque travaille à cet idéal est un non sens total. Comme dans toute société, il y a diverses compétences, comme les différentes parties d’un même corps, avec des fonctions différentes, mais au service de la même cause. Nous l’avons dit, les divisions au sein du panafricanisme sont contre-productives. Certains sont plus portés sur les questions économiques et travaillent entre autres           à la sortie du franc CFA qui asphyxie les économies des pays africains qui en dépendent, d’autres sur les questions culturelles et d’éducation pour contribuer à la décolonisation de la pensée collective africaine, d’autres encore sont davantage portés sur le retour aux spiritualités ancestrales pour reconnecter le peuple noir à son essence originelle. Tous ces démembrements travaillent à la liberté du continent et doivent œuvrer ensemble pour ce seul et même objectif. Donc oui, on peut être un véritable panafricain tout en étant chrétien ou musulman, sinon Martin Luther King et Malcolm X ne feraient pas parti des figures les plus emblématiques de ce noble combat. Oui, on peut être panafricain engagé sans détester les blancs, sinon le très illustre Cheikh Anta Diop ou encore Mongo Beti ne se compteraient pas parmi les plus inspirants combattants pour la cause des noirs, eux qui avaient pour épouses des femmes blanches. Le Panafricanisme n’a jamais été et ne sera jamais la haine d’autrui, encore moins l’exclusion d’un frère ou d’une sœur au prétexte qu’ils ne partagent pas les mêmes convictions que nous. Le Panafricanisme n’est ni une secte ni une religion pour être dogmatique. Le Panafricanisme fédère autour d’un idéal commun, celui de la restauration de la vérité historique et de la réappropriation de l’authenticité culturelle comme préalables à l’autonomie politique, elle-même tributaire de l’indépendance économique. Les différences ne sont pas nécessairement des raisons de divergences. Nous ne sommes pas obligés de tous nous aimer, mais nous sommes obligés de regarder dans la même direction. Seul, on va peut-être plus vite, mais ensemble on va certainement plus loin.

Les qualités d’un panafricaniste

L’humilité me paraît être la première des vertus. Certains panafricains ne manquent jamais de rappeler qu’ils sont dans ce combat depuis plus de 15 ou 20 ans, et estiment que les nouveaux venus n’ont rien à leur apprendre et qu’ils devraient se contenter de leur faire allégeance. C’est une conception grave, car on doit raisonner en équipe et non en individuel. Ensuite, le courage et l’abnégation font partie des plus grandes qualités qu’on devrait retrouver chez tous les panafricains. Le combat panafricain est loin d’être une partie de plaisir. La preuve, beaucoup ne s’y engagent pas ouvertement par peur de représailles. Ils tiennent à la tranquillité de leurs vies de famille et à leur confort personnel. Mais, comme le rappelait Martin Luther King, regarder le mal prospérer sans rien faire, c’est se rendre complice. Etre panafricain, c’est prendre des risques, c’est avoir un sens prononcé du sacrifice. Une autre qualité essentielle, c’est celle de rassembleur. Le véritable panafricaniste sait que, quel que soit son talent, il ne peut pas y arriver seul. On pourrait résumer ces qualités recherchées par cette citation de l’illustre Kwame Nkrumah, l’un des pionniers du panafricanisme en Afrique : « L’Afrique a besoin d’un nouveau type de citoyen, dévoué, modeste, honnête et bien informé, qui renonce à lui-même pour servir la nation et l’humanité, qui ait la convoitise en horreur et déteste la vanité. Un Homme nouveau, dont la force soit l’humilité, la grandeur, l’intégrité ».

En conclusion

Le Panafricanisme a de façon certaine contribué à bouger les lignes en Afrique et dans le monde depuis au moins 50 ans. Il s’adapte au fil des époques selon les réalités contextuelles, et s’inscrit dans la continuité du combat de ses pionniers, avec la même finalité. Mais ne nous laissons pas distraire. Les impérialistes occidentaux ne sont pas des enfants de chœur. Ils ont des méthodes radicales pour anéantir ceux qui travaillent à l’éveil des consciences africaines. Le panafricanisme est l’ennemi numéro un des prédateurs de l’Afrique, car leur survie s’en trouve menacée. A nous de continuer l’œuvre de nos valeureux prédécesseurs qui ont payé de leurs vies leur engagement à nous affranchir du joug impérialiste. Le chemin est long et jonché d’embûches, et seuls les plus téméraires mèneront le combat jusqu’au bout. Ne cédons pas aux intimidations. Que ceux qui n’ont pas encore rejoint les rangs de ce noble combat pour la dignité africaine s’y engage sans plus tarder. L’heure n’est plus aux tergiversations ni à la distraction. Les discours, les critiques stériles et les vœux pieux ne suffisent plus. Seule l’action libère.

Paul ELLA,

Analyste financier,

Président du Mouvement Panafricain African Revival

Source : African-revival.org