02/11/2021 – Mohamed Chigali
« D’abord, sur certaines terminologies nous ne sommes pas d’accord. Moi, je n’ai j’ai jamais parlé de « réconciliation » nationale, je parle d’« unité ». Et, à mon avis, il y a une différence. » Telle était la précision apportée par le président de la République, Ould Ghazwani dans sa réponse à une question que lui posait notre confrère Dia Cheikh Tidjiane du quotidien « Le Rénovateur », lors de sa rencontre avec la presse en Mars 2020. Fidèle à ses principes, Dia Cheikh Tidjiane, un des plus brillants journalistes francophones de ce pays– il faut le lui reconnaître – ne dérogeait pas à ses règles. Comme il fallait s’y attendre, ses questions portaient évidemment sur les sujets dominants et d’intérêts qui préoccupent la communauté noire, au sens large du terme. C’est à dire aussi bien les Harratines que les Négro-mauritaniens.
Passif humanitaire, donc, problèmes des terres de la Vallée, esclavage…En interrogeant le chef de l’État sur ces points et pas d’autres, notre confrère payait une dette morale envers les Négro- mauritaniens et les Haratines qui souhaitaient entendre le Président exprimer officiellement sa « position » par rapport à ces sujets qui reviennent en boucle ; depuis les années 70, pour l’esclavage, et les années 90, pour le « passif ». Dia Cheikh établit très intelligemment un parallèle entre le traitement de ces problèmes et celui d’une plaie par l’application d’une pommade « analgésique » au lieu d’un remède réellement curatif. Et de demander au Président s’il « ne pouvait pas prendre sur lui de crever l’abcès, pour mettre fin à des revendications et des contestations « toujours étouffées dans l’œuf », à ce jour.
Questions-réponses entre un journaliste curieux de savoir, pour les siens et assimilés ; et un président qui se veut très clair vis-à-vis des citoyens concernés par ces situations. « Jeu de mots, jeu de phrases », donc, entre un journaliste qui s’« arroge » le droit de se porter volontaire pour jouer à la « voix des sans voix » et un chef d’État obligé de répondre à des questions très sensibles.
Nouveau Larousse des revendications
« Réconciliation nationale », « vérité et réconciliation », « devoir de mémoire », « pardon », « réparation », ces expressions sont entrées dans notre vocable depuis les expulsions ciblées des Négro-mauritaniens en 89 et les pendaisons extrajudiciaires d’Inal. Ces mots qu’on entend régulièrement désignent des « maux » et deviennent de véritables « terminologies » pour des activistes politiques qui en tirent une popularité et dont ils ont besoin pour s’affirmer en « leaders ». Le nouveau lexique négro-haratine et son contenu de « terminologies » n’ajoutent rien, ni à la gravité des problèmes qu’ils dénoncent, ni au spectre de ceux qu’ils posent au pays : il est bien temps de trouver des solutions définitives.
Sur une vidéo mise en ligne le 16 Août 2021, Messaoud ould Boulkheïr, président de l’APP et leader charismatique de la lutte pour l’éradication de l’esclavage, fit une sortie très surprenante qui suscita bien des interrogations, non seulement en diverses variantes de l’opposition mais aussi chez certains observateurs nationaux et internationaux. Devant la presse et en direct, le voici étonnamment « méconnaissable », l’homme que le temps ronge et mine, depuis les années 70, bientôt un demi-siècle à tenir tête d’opposant à tous les régimes successifs. Ses bonne éducation, sagesse et politesse envolées, laissant place à une « violence » verbale qui ne pouvait s’expliquer, peut-être, que par une exaspération incontrôlable qui avait fait déborder vases et canaris…
Que Messaoud ould Boulkheïr demande au Président de démissionner s’il n’est pas capable de respecter les « engagements » pris lors de sa campagne, ce n’est pas un crime. Ce sont des paroles politiques dont il sait, lui, peut-être les raisons. Certains proches du pouvoir ont cependant jugé très « osée » ladite déclaration ; d’autres, plutôt une « provocation »brûlant tous les feux rouges d’un sens interdit. Ce n’était pourtant pas le cas. La réaction de Messaoud est simplement une nouvelle preuve de sa sagesse et de son honnêteté. L’honnêteté d’un homme auquel nulle autre personne, pulaar, soninké, wolof, hartani ou arabo-berbère, ne peut se comparer dans sa volonté sincère et réelle de lutter pour une Mauritanie de justice, équité et liberté. C’est vrai : Messaoud ould Boulkheïr et Mohamed ould Maouloud sont les seuls leaders politiques de ce pays auxquels personne ne peut faire baisser les yeux.
Messaoud a donc peut-être raison de suggérer à Ould Ghazwani de démissionner s’il se sent incapable de diriger le pays. Que cette incapacité soit entraînée par des motifs personnels, des incompétences ou des pressions politiques intérieures incontournables, ce n’est pas l’affaire des citoyens. Il doit démissionner s’il se trouve dans l’incapacité de diriger. Ce jour-là, Messaoud avait simplement dit à haute voix ce que d’autres disent « terrés ».
Mais l’incompréhensible, l’intolérable et inacceptable, pour un Messaoud ould Boulkheïr si respectueux des autres, très bien éduqué, sage et d’un tempérament généralement très apaisé, c’est cette colère « dégoupillée ». Il faut la mesurer, cette rage, car Messaoud ould Boulkheïr n’est pas n’importe qui. Sa très grande valeur morale et sociale a toujours servi de perche d’« équili-briste » pour les régimes de ce pays. Sa réaction est donc à prendre au sérieux, il faut en mesurer la profondeur. Car en comparant le Président à un animal – propos déplacés et impardonnables – Messaoud ould Boulkheïr s’est « rabaissé ». Vraiment rabaissé, en utilisant une expression qui collerait bien plus au profil d’une personne mal éduquée, ou élevée dans un environnement de délinquance… ce qui n’est évidemment pas son cas. Depuis sa plus tendre enfance, Messaoud s’est toujours illustré en exemple de sagesse, respectable et respecté.
Ce manque flagrant de respect envers le Président, Messaoud le sage, le timonier de la culture sociale et des bonnes mœurs, doit à mon avis en demander publiquement pardon à tous les Mauritaniens. Ila offensé chacun de nous. Ould El Ghazwani n’est-il pas, après tout, notre Président à nous tous ? Ses propos très abjects sont totalement déplacés. La réaction du porte-parole du Gouvernement, Moktar ould Dahi ne s’est pas fait attendre. Et, rappelant, très fin politicien, la place qu’occupe Massaoud ould Boulkheïr dans le cœur de tous les Mauritaniens, de se déclarer« très surpris » par les propos tenus par un homme que le gouvernement mauritanien élève au-dessus de toutes les mêlées politiques. Le porte-parole du gouvernement avait bien raison.
Explosion de colère ou grondement volcanique annonciateur d’une éruption ?
En tous cas, il est difficile pour bon nombre d’entre nous de croire que l’explosion de colère de Messaoud ait été provoquée par l’emploi par le président de la République du mot « concertation ». Un terme en complète cohérence avec ce que dit Ould Ghazwani depuis des lustres. Ni au cours de la campagne électorale, ni en l’un ou l’autre de ses discours, conférences de presse nationales ou internationales, le Président n’a jamais employé le mot « réconciliation ». À aucun moment. Pas plus dans ses réponses à Dia Cheikh Tidjiane qu’en celles aux deux journalistes français Marc Pérelman et Christophe Babouvier, le 31 Juillet 2021, dans leur interview singulièrement dévaluée, au demeurant, par des questions nulles.
Le mot « réconciliation » suggère une situation antérieure de guerre ou de conflit, « concertation » désigne un échange d’idées dans le but de rapprocher des positions, tendre à un consensus. Autodidacte renvoyé de l’école en 6èmeannée du Primaire, à cause de ses engagements pour l’éradication de l’esclavage, Messaoud ould Boulkheïr est pourtant aujourd’hui l’un des mauritaniens qui maîtrisent au mieux la langue de Molière. Il sait donc parfaitement bien que le président Ould Ghazwani a raison d’établir et toujours rétablir cette précision, pour éviter le moindre amalgame dans la compréhension de la « concertation » qu’il propose à tous les Mauritaniens, sans exclusive. Ould Ghazwani est bel et bien un chef d’État : il ne peut pas utiliser les mêmes vocables que ceux de réfugiés tenus à critique orientée, aussi déplacée soit-elle par des terminologies destinées à la consommation extérieure. Aller plus loin en courant à l’arbitrage du Larousse ? Ould Ghazwani a raison sur tous les plans. Tant linguistique que politique.
Coupures intempestives de courant entre Ghazwani et Messaoud ould Boulkheïr?
Quasiment déjà au sommet de sa puissance et de sa gloire, Ould Ghazwani avait pourtant besoin, à la veille des élections de 2019, de soutiens de poids lourds politiques. Et de se rendre, à plusieurs reprises, au domicile d’Ould Boulkheïr pour solliciter son appui. Chaque visite au guide spirituel de la mouvance haratine rappelait au futur Président qu’il n’était pas seulement en face d’un leader politique âgé, mais aussi et surtout en face d’un homme sage, respectable et respecté. Signe de respect et de considération, comme le veut la tradition, Ould Ghazwani écoutait toujours Ould Boulkheïr tête baissée. Messaoud le nota et en témoigna lui-même.
Dans son discours du 7 Janvier 2020, prononcé, en arabe très bien maitrisé, lors de son investiture à la présidence du Conseil Economique et Social, Messaoud ould Boulkheïr salua « la politique de concertation et d’écoute de tous les fils du pays suivie par le président de la République, monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazwani, depuis son accession au pouvoir ». Comment donc expliquer cette explosion de colère et cette sortie verbale « maladroites » du président de l’APP, lors de la conférence des partis politiques de l’opposition ? Comment expliquer qu’un leader politique de cette envergure se soit laissé influencer par des « allégations », au lieu de chercher à s’assurer, par lui-même, de la réelle intention du Président, en lui demandant simplement audience, sachant parfaitement que la porte du palais d’Ould Ghazwani ne lui serait jamais fermée ?
On peut donc bien maintenant se demander aussi pourquoi Messaoud ould Boulkheïr souleva, profitant de son explosion d’Août 2021, le problème des Négro-mauritaniens en employant des slogans politiques qui « n’étiquetaient » d’habitude que les accusations portées contre le pays par des extrémistes hurlant dans des mégaphones devant des édifice publiques en Europe ou aux États-Unis ?Et pourquoi ce coup de poing sur la table accompagné d’« insolence verbale » du symbole de la lutte pour la criminalisation de l’esclavage qui exténua, par sa détermination immuable, Ould Daddah, plia en deux Ould Haïdalla, amena à la raison Sidi Ould Cheikh Abdallah et mit à genoux Ould Abdel Aziz ?
Crise de nerfs, crise de folie, dérapage politique ou extrême exaspération du vieux timonier pour les siens, pour les pulaars, les soninkés, les wolofs, les forgerons, les griots, les znagas ? Ce qui est sûr, c’est que Messaoud ould Boulkheïr qui faisait notre fierté à nous tous s’est considérablement rabaissé, en recyclant des mots plutôt couramment employés par des opposants exilés en mal de notoriété.
Si Ould Boulkheïr ne veut pas, comme il le dit lui-même, de « concertation » mais plutôt un « dialogue », il doit bien expliquer pourquoi ce dernier mot plutôt que le premier. En insistant à employer celui-ci plutôt que celui-là, Ould Ghazwani sait ce qu’il dit et pourquoi il le dit. Parce qu’en l’esprit de certains extrémistes mauritaniens, « dialogue » signifie « négociations ». C’est justement pour éviter le piège où les activistes veulent le faire tomber qu’Ould Ghazwani emploie un mot et pas l’autre. Ce qui n’altèrera pas l’importance de la concertation qu’il propose.
Nous devons tous avoir l’honnêteté morale et intellectuelle de reconnaître que les séquelles des « passifs » (haratine et négro-mauritanien, par exemple) ne résultent pas des agissements de l’actuel régime. C’est un cumul d’injustices et de discriminations hérité de dirigeants qui mirent du désordre en tout et partout et partirent. L’un à Doha au Qatar, l’autre en prison à Tevragh Zeïna, à seulement cent cinquante mètres d’un domaine public qu’il avait acquit illégalement. Il n’est donc pas juste de demander à Ould Ghazwani de répondre des agissements de Maaouiya et de Mohamed ould Abel Aziz. Ce qu’il peut faire, qu’il a l’intention de faire et qu’il a d’ailleurs commencé à faire depuis qu’il est entré au palais « en ruines » politique et économique, c’est de rencontrer les leaders politiques ; ce qu’il a fait. Et de prendre en compte leurs avis.
Mohamed Chigali