REPUBLIQUE ISLAMIQUE DE MAURITANIE – Honneur-Fraternité-Justice
Présidence de la République
Visa : DGLTE/JO
Loi n° 2015-031 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes
L’Assemblée Nationale et le Sénat ont adopté ;
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Chapitre préliminaire
Article premier : Fort des valeurs de l’islam et de leurs objectifs destinés à libérer l’homme et lui garantir sa dignité, et conformément aux principes constitutionnels et aux conventions internationales y afférentes et, en vue d’incarner la liberté de l’homme de sa naissance à sa mort, la présente loi a pour objet de définir, incriminer et réprimer les pratiques esclavagistes.
Article 2 : L’esclavage constitue un crime contre l’humanité. Il est imprescriptible.
Est interdite toute discrimination, sous quelque forme que ce soit, à l’encontre d’une personne considérée comme esclave.
Une journée nationale est consacrée à la lutte contre les pratiques esclavagistes.
La détermination de la journée et les modalités de sa célébration seront définies par décret.
Article 3 : Au sens de la présente loi on entend par :
Esclavage : état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux.
L’esclavage comprend :
- tout acte de capture, d’acquisition ou de cession d’un individu en vue de le réduire en esclavage, de le vendre ou de l’échanger ;
- toute forme de servage ou de servitude pour des dettes ;
- toute forme de travail forcé ;
- tout acte de commerce ou de transport d’esclaves ;
- la privation du droit de propriété ou d’héritage en considérant que l’individu est esclave ;
- la privation du droit d’ester en justice ou de témoigner.
Placement : pratique en vertu de laquelle :
- une femme est, sans qu’elle ait le droit de refuser, promise ou donnée en mariage moyennant une contrepartie en espèces ou en nature versée à ses parents, tuteur, famille ou à toute autre personne ou groupe de personnes ;
- le mari d’une femme ou la famille de celui-ci qui la cède ou tente, à titre onéreux ou autrement, de la céder à un tiers;
- la transmission par succession d’une femme, à la mort de son mari, à une autre personne ;
- la remise d’un enfant, soit par ses parents ou par l’un d’eux, soit par son tuteur, à un tiers, contre paiement ou non, en vue de l’exploiter ou de le soumettre au travail.
Servage : condition de quiconque qui est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette dernière, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition.
Servitude pour dettes : état ou condition résultant du fait qu’un débiteur s’est engagé à fournir, en garantie d’une dette, ses services personnels ou ceux de quelqu’un sur lequel il a autorité, si la valeur équitable de ces services n’est pas affectée à la liquidation de la dette ou si la durée de ces services n’est pas limitée ni leur caractère défini.
Esclave : l’individu sur lequel s’exerce le statut d’esclavage.
Chapitre premier : dispositions générales
Article 4 : Les auteurs des infractions prévues par la présente loi sont passibles de la double peine, privative de liberté et l’amende. Ils peuvent, en outre, être condamnés à l’interdiction de droits civiques conformément aux dispositions du Code Pénal.
Article 5 : La tentative et la complicité des infractions à la présente loi sont passibles des mêmes peines que les infractions consommées.
Article 6 : La qualité de fonctionnaire ou d’officier public, de dépositaire ou d’agent de l’autorité ou de la force publique de l’auteur d’infractions, prévues par la présente loi, constitue une circonstance aggravante.
Chapitre II : des infractions et leurs sanctions
Article 7 : Quiconque réduit autrui en esclavage ou incite à aliéner sa liberté ou sa dignité ou celle d’une personne à sa charge ou sous sa tutelle, pour être réduite en esclave, est puni d’une peine de réclusion de dix (10) à vingt (20) ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250.000) ouguiyas à cinq millions(5.000.000) d’ouguiyas.
Article 8: Quiconque commet le placement prévu par l’article 3 de la présente loi est puni de réclusion de cinq (5) à sept (7) ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas.
Article 9 : Quiconque commet le servage prévu par l’article 3 de la présente loi, est puni d’une réclusion de cinq (5) à sept (7) ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas.
Article 10: Quiconque commet la servitude pour dettes prévue par l’article 3 de la présente loi est puni d’une réclusion de cinq (5) à sept (7) ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas
Article 11: Quiconque porte atteinte à l’intégrité corporelle d’une personne, en considérant qu’elle est esclave, est puni d’une réclusion de cinq (5) à sept (7) ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas.
Article 12 : Quiconque s’approprie les biens, les fruits et les revenus résultant du travail de toute personne en la considérant esclave ou extorque ses fonds est puni d’une réclusion de cinq (5) à sept (7) ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas.
Article 13: Toute personne qui prive un enfant, en considérant qu’il est esclave, de l’accès à l’éducation, est punie d’une réclusion de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de cinq cent milles (500.000) à sept millions (7.000.000) d’ouguiyas.
Article 14: Quiconque prive frauduleusement d’héritage toute personne, en considérant qu’elle est esclave, est punie d’une réclusion de cinq (5) à sept (7) ans et d’une amende de deux cent cinquante milles (250.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas.
Article 15: Quiconque oblige une femme à l’épouser ou à se marier à autrui ou l’empêche de se marier, malgré son consentement, en considérant qu’elle est esclave est puni d’une réclusion de cinq (5) à huit (8) ans et d’une amende de cinq cent milles (500.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas.
Si le mariage est consommé, la victime a droit à la dot sans préjudice des dommages et intérêts. La filiation des enfants est établie à l’égard du mari et elle peut demander la dissolution du mariage.
Les dispositions de l’article 309 du Code Pénal sont applicables à toute personne qui viole une femme en considérant qu’elle est esclave.
Article 16 : Est puni d’une réclusion de cinq (5) à huit (8) ans et d’une amende de cinq cent milles (500.000) à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas quiconque agresse sexuellement une femme en considérant qu’elle est esclave.
Article 17 : L’auteur de production culturelle ou artistique faisant l’apologie de l’esclavage est puni d’une réclusion de cinq (5) à six (6) ans et d’une amende de deux cent milles (200.000) à quatre millions (4.000.000) d’ouguiyas. La production est confisquée et détruite.
L’amende est portée à cinq millions (5.000.000) d’ouguiyas si la production est réalisée ou diffusée par une personne morale.
Outre la peine prévue à l’alinéa précédent, la personne morale peut être interdite d’exercer ses activités de façon partielle ou totale, provisoire ou définitive.
Article 18 : Tout officier ou agent de police judiciaire qui ne donne pas suite aux dénonciations de pratiques esclavagistes qui sont portées à sa connaissance est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de cinq cent milles (500.000) à un million (1.000.000) d’ouguiyas.
Article 19 : Quiconque profère en public des propos injurieux envers une personne considérant qu’elle est esclave ou affilié à des esclaves, est puni d’un emprisonnement de six (6) mois à deux (2) ans et d’une amende de vingt milles (20.000) à deux cent cinquante milles (250.000) ouguiyas.
Chapitre III : de la procédure
Article 20: Il est institué des juridictions de formation collégiale pour connaître des infractions relatives à l’esclavage et aux pratiques esclavagistes dont les sièges et ressort territorial seront fixés par décret.
L’enseignement et les informations se rapportant à l’incrimination des pratiques esclavagistes doivent faire partie intégrante de la formation obligatoire et continue des personnels civils et militaires chargés de l’application de la loi, notamment les autorités de l’administration territoriale et les autorités judiciaires et sécuritaires.
Article 21: Sous peine de prise à partie, tout magistrat compétent, informé de faits relatifs à une ou plusieurs des infractions prévues par la présente loi prend, sous le sceau de l’urgence, toutes les mesures conservatoires appropriées à l’encontre des auteurs présumés et garantissant le droit des victimes.
Article 22 : Toute association des droits de l’homme reconnue est habilitée à dénoncer les infractions à la présente loi et à en assister les victimes.
Article 23 : Tout établissement d’utilité publique et toute association de défense des droits de l’homme et de lutte contre l’esclavage et les pratiques esclavagistes, jouissant de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans à la date des faits, peuvent ester en justice et se constituer partie civile dans tous les litiges auxquels l’application de la présente loi donnerait lieu, sans que cette qualité ne leur confère un avantage patrimonial.
Article 24 : Les victimes des infractions prévues par la présente loi bénéficient de l’assistance judiciaire et sont exemptées de tous frais de justice et dépens, dont l’avance est faite sur les frais de justice criminelle, à charge d’être imputés à la partie qui succombe.
Article 25: Le juge, saisi d’une infraction relative à l’esclavage et aux pratiques esclavagistes, est tenu de préserver les droits à réparation des victimes.
Les décisions judiciaires octroyant des dommages et intérêts aux victimes de l’esclavage et des pratiques esclavagistes sont exécutoires nonobstant opposition et appel.
Article 26 : La présente loi abroge toutes les dispositions antérieures contraires notamment la loi n° 2007 – 048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes.
Article 27 : La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat et publiée au Journal Officiel de la République Islamique de Mauritanie.
Fait à Nouakchott, le 10/09/2015
MOHAMED OULD ABDEL AZIZ
Le Premier Ministre
YAHYA OULD HADEMINE
Le Ministre de l’Economie et des Finances
Me BRAHIM OULD DADDAH