…Sur ce, je pris congé de l’honorable Mohamed Said Ould Hammody et sortis de chez lui en me disant qu’un premier jalon dans le balisage de cette longue et incertaine route de l’espoir, vient d’être planté. Il reste à parachever la fixation du reste du décor et surtout à définir les voies et moyens susceptibles de nous mener à bon port tout en évitant les pièges et écueils du relief culturel et intellectuel très accidenté de ce pays hypersensible, fragile et secret. L’« ordre de bataille » en gestation doit donc nécessairement se singulariser par une représentativité nationale aussi large que possible tout en mettant de notre côté le maximum de chances afin de convaincre l’opinion publique que le handicap majeur et la tare congénitale du développement de la Mauritanie moderne, sont, enfin, en passe d’être dépassés dans un cadre unitaire et supra ethnique et racial.
La fin de cette entreprise est connue de tous mais faudrait-il encore définir quel chemin emprunter dans ce dédale de labyrinthes, de chausse-trappes et de fausses routes qui se terminent souvent en cul-de-sac ou mènent à une impasse. Tant de questions qui se bousculent dans ma petite cervelle et auxquelles je ne trouve aucune réponse ou presque…
Une semaine après cette entrevue fondatrice, je propose à feu Mohamed Said de convoquer une première réunion à laquelle seront conviés les responsables du noyau du premier cercle des organisations ou groupes qui ont accompagné les péripéties de la création de cette mouvance. Étaient invités à cette réunion messieurs Boubacar Ould Messoud, Breika Ould M’Bareck, Samory Ould Beye, Biram Dah Abeid, Mohameden Ould Elbou et la députée Mariem Mint Bilal.
Le président de IRA, Biram Dah Abeid était en voyage à l’extérieur et fut représenté à cette réunion par l’un des membres de IRA qui ne fait pas partie des dirigeants de premier rang et dont je ne me rappelle plus le nom.
L’ordre du jour de cette réunion fut consacré à la discussion d’une proposition consistant en une répartition des tâches selon les domaines d’activité des principales parties prenantes. L’objectif étant de répartir les missions et de rendre plus efficiente l’action de toutes ces organisations en faisant en sorte que toute l’action d’Almithagh dans un domaine donné soit canalisée, orientée et dirigée par une seule de ses organisations qui constituent autant de piliers et de supports sur lesquels se baserait notre stratégie future. J’ai alors proposé l’adoption de trois grands domaines d’action, chapeautés chacun par l’une des grandes organisations membres du MANIFESTE à savoir : SOS-Esclaves pour la société civile, CLTM-ELHOR pour le côté syndical et IRA-Mauritanie pour les relations extérieures. Il reste entendu que l’ensemble de ces ‘’bras » agissent de concert sous la coordination du comité directeur que nous venons de mettre sur pied. Les missions assignées à chacune d’entre elles n’excluent pas une combinaison de leurs efforts à chaque fois que nécessaire, notamment quand il faille mener toute action de masse où la mobilisation de tous est demandée.
Inimitiés personnelles
Dès l’annonce de cette proposition, une franche opposition s’est dégagée quant à confier au président d’IRA – qui avait déjà une stature internationale assez bien établie – la représentation extérieure du mouvement. Les discussions qui ont suivi, empruntes de véhémence, n’ont fait que radicaliser les uns et les autres dans leur position de refus ou de défense de cette troisième option bien qu’aucune voix ne se soit élevée contre les première et deuxième option. Voyant que les choses empirent de plus en plus, feu Mohamed Said a levé la séance pour de plus amples concertations avant la prochaine réunion. En concertation avec feu Mohamed Said, nous avons convenu d’abandonner cette approche qui semble n’avoir aucune chance d’aboutir en raison d’inimitiés personnelles entre certains de nos camarades. Il est aussi vain et même injuste de vouloir convaincre IRA de s’associer à une action où on lui refuse le rôle qui lui sied et qu’elle est la plus à même de jouer. Ce projet d’organisation qu’appellent la logique et le bon sens, qui aurait dû être accepté par tous, nous aurait certainement propulsés assez loin dans le sens de la réalisation de nos objectifs. Il fut donc étouffé dans l’œuf et abandonné par la faute d’individus porteurs de subjectivités personnelles, doublées d’étroitesse d’esprit et de manque de vision stratégique. Au cours de la réunion suivante, il n’a pas été fait mention de l’ordre du jour de la réunion précédente. Un nouvel ordre du jour fut posé consistant en l’élargissement de notre comité de suivi à d’autres personnalités issues des milieux non Haratines et qui sont connues pour leur lutte contre l’esclavage et toutes les autres formes de stratification sociales. Le deuxième point de l’ordre du jour de cette réunion fut consacré à la discussion des modes d’action à adopter pour faire aboutir les revendications alignées dans le document du MANIFESTE.
En ce qui concerne le premier point inscrit à cet ordre du jour, je penchais franchement pour des personnalités issues du mouvement des Kadihines qui sont les pionniers de la lutte contre l’esclavage et toutes les autres formes d’injustice et de stratification sociales. Mais les propositions faites par feu Mohamed Said complétées par celles de Boubacar Ould Messaoud et d’autres membres du comité permanent ont fini par convaincre tout le monde, moi en premier. En effet, les grands noms comme feu Ely Ould Allaf, Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, Maître Diabira Maaroufa, Mme Lalla Aicha Ouedraogo ou Maître Fatimata M’Baye, Dr. Mohamed Mahmoud Ould El Hacen, Aminetou Mint El Mokhtar…etc, ont constitué un ajout substantiel qui crédibilise et donne du poids et de la consistance à notre désormais « comité permanent ». Il fallait maintenant adopter une stratégie de lutte pour faire aboutir nos revendications… Là, ce fut la pierre d’achoppement. A chaque fois qu’on évoque un quelconque mode d’action comme l’organisation d’une manifestation populaire pour célébrer l’une ou l’autre des nombreuses journées mondiales contre l’esclavage ou célébrant la liberté et les droits de l’homme, nous faisons face au refus du tandem Boubacar Ould Messaoud et Samory Ould Beye qui nous déclarent franchement que le MANIFESTE est un forum d’ONG et que celui qui veut organiser une activité, il n’a qu’à l’organiser au sein de son ONG ou de…son parti (sous-entendu RFD). Cette allusion au RFD auquel appartiennent trois membres du comité permanent, a très vite évolué pour se muer en accusations franches de manipulations du RFD qui – selon eux – n’a pas pu déstabiliser le pouvoir avec les manifestations de rues mais veut parvenir à ses fins par l’intermédiaire des masses Haratine que nous sommes accusés (mon ami Mohameden Ould El Bou et moi-même) de vouloir embrigader pour servir les intérêts de notre parti. Pourtant au sein même du RFD, certains cadres dirigeants ne cessent de distiller au sein du parti que nous avons une approche dangereuse pour l’unité nationale et que notre action est imbue de préjugés sectaires et extrémistes. Nombre d’entre eux n’hésitent même pas à nous accuser d’accointance avec le pouvoir de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz serait de mèche avec nous à travers ma personne puisque nous sommes tous deux des anciens officiers de l’armée nationale. Selon eux, le document d’Al Mithaagh serait conçu sur inspiration du pouvoir ou sous son instigation pour couper l’herbe sous les pieds de l’opposition… Pourtant, lors d’une entrevue avec l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz en 2014, il me pose la question suivante : Est-ce que ce n’est pas le parti RFD qui a conçu le document du Manifeste des Haratines ? Question révélatrice d’un état d’esprit simpliste et ambiant qui voit le complot imaginaire partout et qu’il partage avec certains de nos amis au sein du RFD et du comité permanent du MANIFESTE.
J’ai eu à faire face à cette mauvaise foi envers tout ancien militaire ou plutôt cette « malédiction » typiquement mauritanienne d’avoir servi sous le drapeau à plusieurs reprises lors de mes rapports avec mes compatriotes de la classe politique et de la société civile. Pour eux, les militaires – en activité ou à la retraite – constituent une « tribu » dont les membres sont liés par des liens de sang et de solidarité. En conséquence, ils suspectent toujours l’existence de vases communicants entre ceux qui sont au pouvoir et ceux qui ont été exclus de l’armée même si l’exclusion de ces derniers l’a été par la volonté des premiers. Cette même idée a été reprise par le groupe de nos anciens camarades après le décès de feu Mohamed Said Ould Hammody… Comme quoi les mensonges, les intrigues, les coups bas et les petites misères sont aussi l’apanage de ceux qui se prétendent être de grands militants des grandes et justes causes.
Pour ce qui me concerne, s’il y a une chose dont je suis le plus fier, ce sont bien mes difficiles années de service au sein de nos forces armées où je conserve de solides liens d’amitié sincère et désintéressée ainsi que des rapports de confiance et de considération avec la plupart des officiers de ma génération et les autres militaires que j’ai eu le privilège de commander. N’en déplaise à quiconque, j’ajouterai, sans aucun risque de me tromper, que tant d’officiers de ma génération sont d’un sens patriotique et d’un niveau intellectuel supérieurs à ceux de la plupart des dirigeants et hauts cadres de la classe politique et de la société civile mauritaniennes.
Je termine cette parenthèse en remarquant que nous avons constaté une volte-face dans le comportement du président de SOS-Esclaves, M. Boubacar Ould Messaoud, à notre égard depuis que nous nous sommes constitués en comité permanent. Les raisons de ce revirement n’ont pas tardé à être connues et de la bouche même de Boubacar Ould Messaoud. Un jour où j’étais avec lui avec mon ami Mohameden Ould El Bou, il nous déclare très clairement à peu près ceci : « Moi, je vous ai accompagné dès que vous avez sollicité mon appui pour l’action que vous menez et j’ai toujours œuvré dans le sens que vous voulez, croyant que vous êtes sincères et sans arrière-pensées. Aujourd’hui, je sais que vous m’avez trahi car vous avez choisi Mohamed Said Ould Hammody comme président, lui qui n’a jamais milité pour la cause des Haratine alors que je suis là et vous savez que j’ai consacré ma vie personnelle et sacrifié ma vie professionnelle à cette cause et je lui consacrerai le restant de mes jours. Je n’ai plus confiance en vous et d’ailleurs, je quitterai votre mouvement à la première occasion qui s’offre à moi car il est clair que vous ne me considérez pas… ». En vain, nous avons essayé de le raisonner mais il ne veut rien entendre. Ce coup de gueule de cette icône du mouvement d’émancipation des Haratine dont la franchise est légendaire, nous a laissés perplexes et déprimés d’autant plus que, dans les reproches qu’il nous fait, il y a beaucoup de vérités. Derrière les méthodes à l’emporte-pièce, ombrageuses et sans finesse du grand Boubacar Ould Messoud, on découvre la sincérité et la foi d’un homme fait d’une seule pièce. Il ne peut pas comprendre ou ne veut pas comprendre que la présidence de cet arrimage hétéroclite exige beaucoup de diplomatie, de pondération et de tact que rarement on en trouve chez nous. On aurait bien voulu qu’il ait toutes ces qualités requises mais on ne se refait pas deux fois. Toujours est-il qu’après cette entrevue avec Boubacar, ses positions nous sont devenues plus franchement hostiles…Quant à monsieur Samory Ould Beye, il n’avait accepté, dès le départ, d’intégrer le MANIFESTE que du bout des lèvres et on sentait bien qu’il traîne les pieds en accompagnant notre mouvement par crainte d’être dépassé par les évènements. Grand manœuvrier et fin manipulateur, il tire partie de toute situation qui pourrait l’aider dans sa quête perpétuelle de leadership au niveau des Haratine. Sa jonction avec Boubacar contre nous en est une parfaite illustration, lui qui, dit-on, était en froid avec lui depuis son départ fracassant de l’APP. Au sein des leaders du mouvement Haratine, Samory Ould Beye se singularise par sa constance dans sa radicalité et sa résistance à toute forme d’adversité. Preuve s’il en était besoin d’un courage physique certain doublé d’une ambition démesurée à laquelle les contingences de la vie ne l’ont pas suffisamment préparé.
(A suivre)