Génocides et crimes en Afrique. La France et l’Allemagne font leur coming out. Qu’en sera-t-il de la Suisse?

Génocides et crimes en Afrique. La France et l’Allemagne font leur coming out. Qu’en sera-t-il de la Suisse?Hier, 27 mai 2021, le président français Emmanuel Macron, en visite de 48 heures au Rwanda, reconnaissait officiellement les lourdes responsabilités de son pays dans le massacre des Tutsis en 1994.

Aujourd’hui, 28 mai 2021, c’est au tour de l’Allemagne d’emboîter le pas à la France en reconnaissant à son tour son rôle funeste dans le massacre de plus de 60 000 victimes namibiennes issues des tribus Herero et Nama.

Environ 800 000 victimes entre avril et juillet 1994 au Rwanda, 60 à 80 000 entre 1884 et 1915 en Namibie, tels sont les chiffres officiels des génocides survenus respectivement dans ces 2 pays africains avec une large part de responsabilités de la France et de l’Allemagne.

Le président français a même qualifié « d’accablante » la responsabilité de la France dans le génocide rwandais.

En visite officielle hier au Rwanda pour 48 heures, le président Macron a déclaré en substance : « Je suis venu reconnaître les responsabilités de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda ». Et de préciser «La France n’a pas été complice, mais elle a fait trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité. » Au final, « seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner » a-t-il ajouté.

Ce discours fort du chef d’état français a été très bien accueilli par le président Kagamé et par le peuple rwandais en général, car il vient jeter les bases d’une nouvelle coopération fructueuse entre les 2 pays. En marge de sa visite et de cette reconnaissance, le président Macron a inauguré un centre culturel francophone au Rwanda et a annoncé la nomination d’un ambassadeur à Kigali. Pour rappel, les relations entre la France et le Rwanda ont été très tendues depuis le génocide de 1994, ce qui a conduit le Rwanda à s’éloigner de la Francophonie, et donc de la France.

Conséquence directe de cette tension, en 1996, l’anglais devient une langue officielle du Rwanda et est introduit en 2010 dans les écoles et dans les universités du pays. Plus tard, en 2015, Kigali va même plus loin en exprimant son refus d’accréditer un nouvel ambassadeur de la France sur son sol. La visite de Macron à Kigali a révélé quelque chose d’autre que les Rwandais et les Africains en général ont bien magnifié. On se rappelle que lors de la visite du président Kagamé à Paris il y a une dizaine de jours, celui-ci avait eu « l’honneur » d’être accueilli à son arrivée par un des ministres de Macron et non par le président lui-même.

Pour lui rendre pareille, le président Kagamé a dépêché hier un de ses ministres également pour accueillir à l’aéroport international de Kigali un président français qui a très bien saisi le message que voulait lui transmettre son homologue rwandais. Désormais, plus rien ne sera comme avant. Le Rwanda entend bien traiter d’égal à égal avec l’ancienne puissance coloniale, sans que cela ne choque personne. Par ce geste, le président Kagamé a gagné en estime auprès de sa population qui, visiblement, n’attendait pas moins qu’une mesure de réciprocité vis-à-vis du président français. Le message est, semble-t-il, bien passé.

Après la France hier, l’Allemagne reconnaissait à son tour, aujourd’hui 28 mai, sa responsabilité dans le génocide namibien contre certaines des tribus de ce pays, notamment les Hereros et les Namas. Cette reconnaissance peut être qualifiée d’historique, car c’est la toute première fois que cette ancienne puissance coloniale exprimait officiellement son implication dans ce génocide qui a fait environ 80 000 victimes, si ce n’est plus, entre 1884 et 1915. Son ministre des Affaires étrangères Heiko Maas a déclaré : « A la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, nous allons demander pardon à la Namibie et aux descendants des victimes”. Le Ministre allemand a ajouté que son pays financera des projets de développement en Namibie à hauteur de 1 milliard 130 millions d’euros sur 30 ans. Histoire de réparer ce qu’il est possible de l’être, même si le terme de réparation n’est pas utilisé par les autorités allemandes.

D’une manière générale, ces reconnaissances renvoient à la responsabilité historique de plusieurs pays européens dans ce qu’il est convenu d’appeler un devoir de mémoire vis-à-vis du continent africain. Mis à part les génocides précités, des pays comme la Belgique et la Suisse ont joué un rôle important dans la maltraitance de ressortissants africains à un moment donné de leur histoire.

La Suisse, même si elle n’a pas eu des colonies africaines, doit tout de même se poser la question sur la participation de quelques-uns de ses citoyens au commerce triangulaire. Parmi eux, chose méconnue du grand public, on peut citer d’influents hommes de la finance qui se sont bien enrichis à travers des déportations honteuses d’Africains vers les Amériques. L’historien suisse Christophe Vuilleumier rappelle :

“Onze millions de personnes ont été déportées entre le 18e et 19e siècle d’Afrique vers les Amériques. Sur ce commerce-là, les financiers suisses ont joué un rôle estimé à environ 1,5%. On est à 165’000 personnes déportées avec des intérêts helvétiques”, explique t-il.

Suffisant pour que des voix s’élèvent en Suisse pour réclamer, par exemple le déboulonnement de la statue de David de Pury qui se trouve au cœur de la ville de Neuchâtel. Celui-ci, faut-il le rappeler, s’est largement enrichi grâce à ce commerce triangulaire et aux déportations d’Africains, originaires notamment du Mozambique et de l’Angola, entre autres, vers les Amériques. Ce débat en Suisse reste loin d’être clos, car l’enseignement du passé colonial de la Suisse n’est toujours pas obligatoire à l’école. Le sera-t-il un jour ?

C’est aussi le cas en Belgique, dont les écoliers ignorent tout ou presque du passé colonial de leur pays. Et pour cause. L’histoire coloniale de ce pays est pointée du doigt par de nombreuses organisations et militants des droits de l’Homme. Un roi belge, Léopold II en l’occurrence, est carrément cité par certaines associations comme génocidaire pour avoir exterminé, selon certaines sources, quelques 10 millions de Congolais.

Dans la même logique que le français Macron et l’allemand Heiko Maas, le roi Philippe de Belgique a exprimé le 30 juin 2020, à l’occasion des 60 ans de l’indépendance du Congo, ses « plus profonds regrets » pour les « souffrances » infligées aux Congolais durant la colonisation. Jamais avant cette déclaration du souverain belge, une quelconque autorité belge de ce niveau, n’avait dénoncé aussi ouvertement le massacre commis par la Belgique au Congo. Cela fait 3 pays européens qui ont eu le courage, ou la sagesse, de reconnaitre presque simultanément les souffrances qu’ils ont fait subir à leurs anciennes colonies. En attendant les autres.

Une chose est sûre. Une nouvelle ère des relations entre l’Afrique et les pays occidentaux qui l’ont pillée, colonisée, maltraitée, est en train de s’ouvrir. A l’instar du président Kagamé, les Africains, d’où qu’ils soient, ont ouvert les yeux et les oreilles. Il sera désormais difficile de les empêcher de réfléchir, de penser par eux-mêmes et de réclamer leurs droits. Quoi qu’il en coûte.

Tidiane Diouwara

Tidiane Diouwara est journaliste RP et spécialiste des sciences de l’information. Il est titulaire d’une maîtrise universitaire en linguistique, d’un doctorat 3 ème cycle en sciences de l’information. Il est Directeur du CIPINA (www.cipina.org), une association spécialisée dans la promotion de l’image de l’Afrique. Il est également Conseiller diplomatique et expert des Droits de l’Homme.