C’est un « coup d’Etat dans le coup d’Etat inacceptable ». La condamnation d’Emmanuel Macron du nouveau putsch au Mali est ferme.
Orchestrés par Assimi Goïta, homme fort de la junte militaire, l’enlèvement et la déposition du président de la transition Bah Ndaw et de son Premier ministre, Moctar Ouane, intervient à peine quelques mois après le putsch d’août 2020, qui a abouti à la destitution de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta.
Avec 5 100 soldats français engagés au Sahel contre les jihadistes, Emmanuel Macron entend bien faire peser la voix française dans les prochaines décisions politiques des dirigeants du pays.
Il a également affirmé que les membres de l’Union européenne étaient « prêts, dans les prochaines heures, si la situation n’était pas clarifiée, à prendre des sanctions ciblées » et a obtenu qu’une réunion d’urgence du conseil de sécurité de l’ONU se tienne mercredi 26 mai à 21 h, heure française.
Mais selon Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l’Afrique et auteur, avec Pascal Airault, du livre Le piège africain de Macron, la France n’a plus les moyens de faire basculer à elle seule l’histoire du pays. Entretien.
TV5 Monde : Que pensez-vous de la réaction immédiate du président français Emmanuel Macron face au putsch militaire au Mali ?
Antoine Glaser : Emmanuel Macron est extrêmement énervé, il a immédiatement tweeté et menacé le Mali de sanctions. Il faut dire que cette situation le met dans une position délicate. Il veut sortir de la Françafrique et répète à l’envie, tout comme les responsables militaires français, que la solution en Afrique est politique et non pas militaire. Donc lorsque le Mali rencontre des problèmes majeurs de gestion politique, toute sa stratégie est mise à mal.
D’autant plus qu’un autre point fort de cette stratégie est de dire que c’est l’Europe qui est présente en Afrique, et que la France n’est qu’une force d’encadrement. Mais s’il s’ingère de la sorte dans la politique intérieure du Mali, en intervenant seul, comme il le fait systématiquement, il va retomber dans la Françafrique.
TV5 Monde : La France a-t-elle encore du poids dans les décisions politiques du Mali ?
Antoine Glaser : L’assise de la France en Afrique n’est plus du tout la même qu’au temps, comme j’aime à le dire, de la vraie Françafrique. Le sentiment anti-français est très présent. La présence militaire française en Afrique, avec notamment les opérations Barkhane et Takuba (ndlr : la Task-force européenne Takuba a été lancée en juillet 2020, avec pour objectif de compléter les actions de la force français Barkhane, et d’européaniser la lutte contre le terrorisme au Sahel), sert de cache-misère à une présence française qui s’affaiblit et est en déshérence dans le continent.
La France s’est crue trop longtemps chez elle en Afrique, elle n’a pas vu arriver la concurrence de la Chine, de la Turquie, de la Russie voire même de ses alliés européens comme l’Allemagne ! Aujourd’hui, l’Allemagne est le quatrième exportateur vers l’Afrique, elle est passée devant la France.
Emmanuel Macron est en particulier très agacé par la présence russe en Afrique, en Libye et au Soudan par exemple. On l’a vu en Centrafrique où il a pris des sanctions très fortes en voyant que la Russie s’y implantait de plus en plus. Au Mali, on risque également de retomber dans une mini guerre froide franco-russe. L’armée malienne a pendant très longtemps été formée en Russie et Poutine a évoqué l’installation à Bamako d’un nouvel envoyé spécial.
Et je pense que les Africains, en tout cas les militaires, sauront très bien jouer la carte de la France lorsqu’ils en auront besoin et jouer la carte des Russes lorsque celle-ci sera plus avantageuse. Et il y a un autre point, c’est qu’en adoubant il y a quelques mois le coup d’état au Tchad, la France a montré sa Tchado-dépendance. Et sa crédibilité en a pris un coup.
TV5 Monde : À défaut d’influencer directement le Mali, peut-elle jouer sur la décision de la communauté internationale ?
Antoine Glaser : Oui ! Il faut savoir que la France doit son siège au Conseil de sécurité des Nations Unis à sa puissance nucléaire, mais également à la présence de son armée en Afrique. Comme les autres pays ne veulent pas s’impliquer sur le plan militaire, ils laissent à la France la responsabilité de décider ce qu’il faut faire dans cette région. C’est un peu comme pendant la guerre froide : on laissait à la France ses marchés car ses militaires luttaient contre les Soviétiques.
En réalité, Emmanuel Macron est piégé dans une position contradictoire. Il espère sortir de la Françafrique en se tournant vers les pays anglophones comme le Rwanda et l’Afrique du Sud, mais il est embourbé dans les pays francophones.
La France s’emploie depuis des années à monter la force Takuba, avec des forces spéciales européennes. Si elle décide un jour de retirer ses militaires d’Afrique, que vont devenir les Estoniens et les Suédois qui se sont engagés dans cette force ? Elle n’est donc pas prête de quitter l’Afrique. Il n’en demeure pas moins que c’est grâce à ce rôle-là que la France conserve une certaine ascendance sur la communauté internationale. C’est son rôle au Sahel qui lui a permis notamment de se voir confier le poste de secrétaire général adjoint aux opérations de paix aux Nations Unies.
Fabiola Le Tournoulx
Source : TV5 MONDE (France)