Il s’agira alors de privilégier les processus de « hard law » à ceux de « soft law » auquel le droit de l’environnement est familier depuis son origine.
Cette éventualité n’est pas une utopie ; elle a même fait l’objet d’un appel lancé à travers la Charte de Bruxelles du 30 juin 2014, dans le cadre d’une vulgarisation de la notion d’écocide, depuis lors largement relayée par la société civile, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis où l’opinion dominante considère que le changement climatique est le fait de l’homme (man made) et que la seule manière de ne pas se laisser empoisonner à mort par des industries de plus en plus polluantes est d’inventer des modèles économiques qui préservent l’environnement, mais également d’en élever l’atteinte au rang d’acte internationalement illicite, comme semble s’y orienter la Cour Internationale de Justice à travers une jurisprudence de plus en plus en plus encline à entrer en voie de condamnation contre les auteurs de dommages environnementaux.
D’abord quelque peu réticente dans sa décision du 20 avril 2010 (Uruguay c/Argentine) la jurisprudence de la Haute Cour de Justice va connaître un tournant significatif dans celle du 2 février 2018 (Costa Rica c/ Nicaragua), en qualifiant l’atteinte à l’environnement d’acte illicite, l’illicéité étant le fait générateur de la responsabilité en droit international.
C’est par un traité signé en 1975 que l’Uruguay et l’Argentine décident de donner au fleuve Uruguay le statut de frontière commune et d’en fixer d’accord-parties l’exploitation, par l’adoption de mesures destinées à protéger le milieu aquatique de toute pollution, et qui répondent aux standards retenus par les conventions internationales.
Très vite, des questions environnementales vont se poser, l’Argentine reprochant à l’Uruguay l’éventuelle mise en service de deux usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, dénonçant les effets de leurs activités sur la qualité des eaux du fleuve et sa zone d’influence.
Même si la Cour Internationale de Justice ne va pas retenir la responsabilité de l’Uruguay pour atteinte à l’environnement dans son arrêt intervenu le 20 avril 2010, mais plutôt pour violation par l’Uruguay de formalités à caractère procédurale, notamment de l’obligation de notification et d’information avant toute réalisation en liaison avec le fleuve considéré comme une ressource partagée ( ce qui constituait un des aspects du litige examiné) elle va tout de même s’appesantir, même en les jugeant inopérants, sur les moyens soulevés par l’Argentine invoquant les dégradations de l’environnement dont elle se prétendait victime, et pour lesquelles elle réclamait un dédommagement.
Quelques années plus tard, le 2 février 2018, dans un litige opposant la république du Costa Rica à celle du Nicaragua, la Cour Internationale de Justice va entrer cette fois-ci en voie de condamnation contre le Nicaragua au bénéfice du Costa Rica , en raison des dommages environnementaux causés par le premier sur le territoire du second , outre la réparation du préjudice subi par le Costa Rica du fait de l’atteinte par le Nicaragua à sa souveraineté nationale.
En retenant la responsabilité du Nicaragua pour la réparation de dommages environnementaux intervenus sur le territoire du Costa Rica, l’arrêt de la CIJ consacre par voie jurisprudentielle la responsabilité d’un sujet de droit international, en l’espèce le Nicaragua, qualifiant d’illicite son comportement en relation avec la dégradation de l’environnement, alors que jusque- là, le fait générateur à la base de la responsabilité étatique en droit international n’a jamais été le dommage, mais l’illicéité du comportement, le manquement au droit selon la formule consacrée : « Tout fait internationalement illicite d’un Etat engage sa responsabilité internationale ».
Comme l’a relevé la Cour dans ses observations liminaires, elle était appelée à se prononcer pour la première fois sur le caractère indemnisable en droit international de dommages causés à l’environnement ; « Pareille demande étant sans précédent dans l’histoire de la Cour »…………. « La Cour n’a jamais auparavant statué sur une demande d’indemnisation pour dommages environnementaux ».
La Cour va toutefois retenir d’emblée le caractère internationalement illicite de l’atteinte à l’environnement en ces termes : « Il est cependant conforme aux principes du droit international régissant les conséquences de faits internationalement illicites , et notamment au principe de la réparation intégrale, de conclure que les dommages environnementaux ouvrent en eux-mêmes droit à indemnisation, en sus des dépenses engagées par l’Etat lésé en conséquence de tels dommages ».
Elle va tout de même prévenir sur un ton empreint de pédagogie, qu’aucune méthode particulière d’évaluation n’étant prescrite en droit international pour la réparation des dommages causés à l’environnement, elle serait guidée par les principes et règles applicables en matière d’indemnisation, sans s’arrêter à la méthode d’évaluation proposée par le Costa Rica fondée sur les services écosystémiques, ce choix étant en outre dicté par la nécessité de tenir compte des circonstances et caractéristiques propres à chaque affaire.
Les conditions de la compétence rationae personae étant remplies puisque le litige opposait deux Etats, il restait alors à établir l’existence d’un acte illicite, d’un préjudice et du lien de causalité, avant de fixer le montant de l’indemnisation due, sans s’arrêter comme relevé plus tôt à la méthode d’évaluation des parties.
Il est donc significatif que la CIJ ait transposé au cas d’espèce le droit commun de la responsabilité internationale pour fait illicite en précisant que : « Selon un principe de droit international bien établi, la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate » et de rappeler : « Le principe essentiel qui découle de la notion même d’acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit autant que possible effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ».
Toutefois, prévient la Cour : « l’indemnisation ne doit pas revêtir un caractère punitif ou exemplaire ».
La Cour va alors s’appuyer sur des images satellite de haute résolution qui font apparaître « des indicateurs caractéristiques suggérant fortement une destruction récente du couvert forestier »……… « des centaines d’arbres tombés et coupés » … « des éléments solides tendant à démontrer qu’un nouveau chenal ….a été construit sur la zone litigieuse …………etc ».
Le Nicaragua avait certes violé la souveraineté territoriale du Costa Rica en établissant une présence militaire sur le territoire costaricien, mais l’intérêt de la décision de la CIJ ne se limitait pas à un l’examen d’un litige sur la souveraineté, la république du Costa Rica ayant de surcroît demandé à être indemnisée du préjudice subi en conséquence des dégradations de l’environnement, imputables à ses yeux au Nicaragua.
Les demandes en réparation du préjudice subi, étaient doublées d’autres, en répétition de dépenses engagées pour la remise en état par le Costa-Rica des espaces endommagés de son territoire.
En retenant la dégradation de l’environnement comme un acte illicite, la CIJ a de la sorte inscrit dans l’ordre juridique international le caractère normatif du droit de l’environnement ; tout le reste de la construction juridique en rapport avec l’indemnisation allait dès lors découler de cette normativité que consacrent l’illicéité et le caractère indemnisable des dommages environnementaux. (à suivre)
*Avocat à la Cour
*Ancien membre du Conseil de l’Ordre
Source : Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud