Mauritanie : Deux longs jours de procès pour la cause Haratine.

 

Le 12 février 2015 s’est ouvert le procès des militants d’IRA au tribunal de Nouakchott:  Dr Saad Ould Louleid, Marième Mint Cheikh Dieng et Yacoub Ould Moussa, tous trois Haratine dont une jeune femme (pour la première fois aux procès politiques de la Mauritanie), sont accusés simplement d’appartenir à IRA; lequel procès a pu en soi et à lui seul servir  à démontrer les thèses de IRA. 

En effet, au moment où le dialogue (EL Hiwar de la Loya Jirga) politique, des magnats de la bancarisation et de la financiarisation s’enlise à Nouakchott, ces trois (3) Haratine donnent au Président du tribunal la corde avec laquelle ils étaient attachés dans leurs cellules à la prison civile, simplement pour avoir clamé leur opposition à l’esclavage et à ses séquelles ; leur opposition à ce que la base féodale soit le critère de promotion et de distribution des richesses, en Mauritanie.

La Presse a choisi d’ignorer l’événement  comme ce fut le cas du jugement des Haratine en 1980 à Rosso et de la détention de ceux qui  étaient jadis à Nouadhibou. Elle a ainsi  signé forfait,  lui préférant ses « dés bas » aux relents tribalistes, réducteurs et ringards, pour  défendre « l’unité nationale du Peuple » à majorité adoubée dans une servitude infinie ….

Le silence a pu couvrir  un événement qui d’autre part a mobilisé toutes les forces de l’ordre pour empêcher de nombreux citoyens d’entrer dans la salle d’audience.

La Mauritanie s’enlise dans un cliché bicéphale entamé depuis longtemps, depuis la fin des années 50, où, à Aleg, les  communautés d’alors « s’étaient partagées »  le Pouvoir naissant, excluant les Haratine qui n’étaient pas à ces assises de la création du jeune Etat. Ce faisant, le sentiment d’exclusion s’est cristallisé chez  les Haratine,  tout en restant ignoré et dénié par les autres (maîtres).

Ainsi la Mauritanie, riche de sa diversité culturelle, se débat contre l’exclusion exercée par des groupuscules qui y ont pris ce pouvoir.

Quoi qu’on dise, il n’en demeure pas moins vrai que ce procès fait date, étant hautement significatif et symbolique à plus d’un titre, (1) par le fait qu’il s’est agi de juger  un  discours qualifié parfois de sectaire, et (2) du fait de la persistance de l’exclusion programmée et de la misère générales,  où se débat encore  la couche Haratine.

Le procès s’est rehaussé par la haute qualité des diverses  personnalités  venues y assister pour savoir ce que l’Etat reproche aux prévenus emprisonnés, hormis  la propagande des groupuscules politiques chauvinistes qui monopolisent depuis toujours le pouvoir en Mauritanie.

A l’ouverture du procès, Saad Ould Louleid a stigmatisé l’accusation qu’IRA n’a pas de   récépissé du Ministère de l’Intérieur pour ses activités, en disant que tout un chacun est affilié à une tribu qui le défend et lui procure sa place en République, sans être emprisonné pour cela…Or, le Hartani n’a pas de tribu, car aucune n’a jamais défendu ni prêché sa promotion  auprès de l’Etat.

Marième Mint Cheikh Dieng, a dignement démontré  qu’elle est  emprisonnée  par ce qu’elle rejette ce système politique et social qui  la dénie, et qui prive à tous les siens, le droit à une vie décente en leur imposant  soumission et obéissance à un ordre social obsolète sous un faux prétexte contraire à  l’Islam.

Au premier jour, Le collectif des avocats, en insistant à  poser des questions aux prévenus, s’est heurté au refus catégorique du Président du tribunal,  et se sont finalement retiré  de la salle ce qui a entrainé la suspension  et  son report  au  20 Février.

Ce procès qui est politique faute d’accusations véritables  à l’encontre des prévenus  est celui d’une  jeune Nation qui au lieu de  poser les fondements  d’un véritable Etat de Droit  dans le quel tous les citoyens sont égaux, se permet ouvertement de montrer l’absence de justice et d’égalité.

Cela interpelle chacun pour l’établissement et l’application de règles de coexistence et de vie commune différentes de l’ordre tribal d’Ibn Amer. Et seules les règles de la République peuvent assurer à chacun (pris seul) des droits civiques acceptables (El Mouâtana) c’est-à-dire la Citoyenneté.

Le 20 février 2015 l’audience s’est poursuivie par de brillantes plaidoiries des avocats, qui ont facilement démonté pièce par pièce les 3 chefs d’accusation du dossier  qui sont : (1) l’appartenance à une organisation non autorisée, (2) incitation et (3) organisation de manifestation  illégale. Ils ont fustigé la légèreté de ce dossier  par l’absence de preuve matérielle et  d’aveux signés. Les avocats ont versé au dossier des PV qui étaient préparés avant même l’arrestation de chacun des accusés.

Leur dossier était cousu d’incohérences révélées par  l’excellence des avocats dont Me Ould Moine, brillant, cultivé et sans complexe; Me Bah, tribun orateur convaincant et pathétique; Me Hemod Vall, Me Fatimata M’Baye, Me Bousbé, ….,  tous formidables. Chacun a pu démontrer l’innocence des trois (3) prévenus. Tour à tour ils ont fait vibrer l’audience au diapason de la condition humaine et civique des Haratine dans cette Mauritanie qu’on veut plurielle et démocratique.

On perçoit un gène et une certaine honte. Parce que la Mauritanie officielle (des Jets Sets) a caché le procès en empêchant  au  public d’y accéder sous prétexte de sécurité et en aliénant donc ce droit essentiel de la cause Haratine.

Par moment, la salle d’audiences fut secouée par les pleurs d’une assistance émue par l’injustice décrite par les avocats, et par la présence d’une femme pour la  première fois dans l’histoire du pays, dans un procès politique. Le gratin politique et associatif Haratine était aussi là, enjoué et ému.

L’émotion fut à son comble lorsqu’à la fin du procès  la parole a été donnée aux prévenus : l’assistance fut subjuguée par l’excellence du discours de Saad, l’assurance de celui de Yacoub et la pertinence de celui de Marième, leur foi en la Justice et leur défi  à leurs geôliers.

A l’extérieur la foule nombreuse et compacte des partisans de l’IRA occupent fièrement et sans concession le trottoir du palais de justice, au rythme enchanté de flûtes et du tam tam.

Les Haratine enchantés et en pleurs ont quitté la salle d’audiences, seuls, entonnant en chœur  Mjombrine « nous ne nous soumettons plus »,  Mjombrine…,« nous ne nous soumettons plus »,  Boy ghyine … « nous assumons », Boy ghyine…« nous assumons », les cœurs lourds fendus par l’injustice, laissant leurs dirigeants se conduire à leurs cellules de prison.

La date du verdict a été fixée au  13 Mars.

Ce procès fut celui des inégalités de fait, celui des réservations contraires au droit proclamé, et de la distributivité de la misère à tous les Haratine quels qu’ils soient en Mauritanie

Qu’aucun site électronique n’en a parle et qu’aucun parti politique n’y assiste, s’agissant d’un procès de trois (3 ) Haratine (dont une jeune femme) militants des droits  humains pour l’abolition de l’esclavage, a été la preuve du mépris que cet intelligentsia voue à cette question.

Baba Ould JIDDOU