La laïcité, un concept très français mais incompris

Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd’hui direction les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël, pour comprendre comment la laïcité à la française est incomprise dans ces trois pays.

Par Frédéric Métézeau, Maxence Peigné et Grégory Philipps

Le projet de loi « confortant les principes républicains » est présenté en conseil des ministres ce mercredi 9 décembre. Il est censé défendre la laïcité et lutter contre « les séparatismes ». Direction les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël, pour voir comment ce projet de loi est perçu.

Aux États-Unis, le concept de laïcité à la française est mal compris

La critique vient même d’un membre de l’administration Trump. Samuel Brownback est un ancien gouverneur républicain du Kansas. Il a été nommé il y a deux ans émissaire des États-Unis pour la liberté religieuse, le diplomate dépend directement du département d’état. Ce mardi, lors d’un point presse par téléphone organisé avec une poignée de journalistes américains et étranger, Brownback fait part de son inquiétude vis-à-vis de la situation en France. Il l’affirme : « Le rôle du gouvernement est de protéger la liberté religieuse. Si l’on est trop répressif, alors la situation peut s’aggraver. Il faut un dialogue constructif. » Le diplomate américain ajoute : « Comme un message aux musulmans de France, si vous pratiquez votre foi pacifiquement, alors vous êtes dans votre bon droit. »  

Des critiques alors que plusieurs grands journaux américains se sont interrogés sur la question de la laïcité à la française, notamment après la nouvelle publication de caricatures de Mahomet, et après l’assassinat de Samuel Paty. D’après des journaux très réputés, comme le New York Times et le Washington Post, la politique du gouvernement français et sa volonté de réformer l’islam ne faisaient qu’aggraver l’islamisme. En réaction, Emmanuel Macron avait même décroché son téléphone pour appeler le New York Times et se justifier. Le président s’était plaint du traitement par les médias américains des plus récents attentats.

Le chef de l’État a aussi publié une tribune dans le très sérieux Financial Times, expliquant que la France se battait contre le séparatisme islamiste, et jamais contre l’islam. Sur cette question, les deux pays ont des approches très différentes.

En Israël, la laïcité « à française » est aussi mal comprise 

Israël est un pays communautarisé : juifs ashkénazes ou sépharades, laïcs ou religieux, juifs et arabes, ces clivages se superposent et traversent la société israélienne. Les religions quelles qu’elles soient sont omniprésentes dans l’espace public, l’enseignement ou la politique. Rien à voir avec notre laïcité. Mais en même temps, les Israéliens sont sensibles aux questions de l’extrémisme islamiste à cause des attentats commis par le Hamas et le Jihad islamique dans les années 90 et 2000.

Côté Palestinien, il y a une majorité de musulmans et aussi une minorité chrétienne. La religion est beaucoup plus présente et plus enracinée qu’en France. Là encore le modèle français est mal compris. Ces dernières semaines, en Cisjordanie notamment, il y a des affiches anti-Macron liées aux caricatures de Mahomet.

Au Moyen-Orient, la presse relaie régulièrement les actualités françaises à ce sujet. Des dizaines de journaux en Israël ou dans le monde arabe reprennent les dépêches factuelles de l’Agence France Presse. Certains publient des articles beaucoup plus engagés notamment le quotidien Israel Hayom, le plus lu du pays, car il est gratuit. Très engagé à droite, il évoque même les risques de « guerre » entre le modèle républicain et l’islam radical. Dans Middle East Eye, un site bilingue très lu et réputé favorable au Qatar et aux Frères musulmans, il classe tous ses articles sur ces questions de laïcité et de « séparatismes » en France dans sa rubrique « Islamophobie ».

Au Royaume-Uni, de l’incompréhension et de la méfiance.   

De l’incompréhension d’abord car le concept est difficile à définir et il n’a pas d’équivalent en anglais. Les journalistes lui préfèrent souvent le mot « sécularisme ». De la méfiance ensuite parce que beaucoup de britanniques voient d’un mauvais œil les incursions du politique dans le religieux et ils perçoivent souvent la laïcité comme un outil de répression. Certains éditorialistes ont même décrit ce projet de loi, comme une occasion de stigmatiser la communauté musulmane. Il faut rappeler que l’actualité française a récemment été dominée par la loi « sécurité globale » et les commentateurs britanniques se demandent si Emmanuel Macron cherche un rapprochement avec la droite dans les dernières années de son mandat.

Là où en France, la laïcité a été un processus conflictuel pour briser l’influence de l’Église sur les institutions, au Royaume-Uni, la sécularisation de la société s’est faite par un déclin du pouvoir religieux et par une affirmation des libertés individuelles. Ça donne d’ailleurs un modèle assez paradoxal. Car d’un côté, il n’y a aucune séparation de l’Église et de l’État, donc la Reine est toujours à la tête de l’Église Anglicane et 26 sièges à la chambre des Lords sont même réservés aux évêques.

Mais d’un autre côté, la liberté de culte a fait l’objet de nombreuses protections juridiques dès 1688. Et dans la vie de tous les jours, cela se traduit par exemple par l’autorisation des signes religieux dans l’espace public. Beaucoup d’écoles autorisent le port du voile et il n’est pas rare de voir des fonctionnaires de police porter le turban.

*Source : franceinfo