Le Calame : La Mauritanie vient de célébrer le 60e anniversaire de son indépendance nationale. A cette occasion, le président de la République a annoncé un certain nombre de mesures en faveur de diverses catégories de citoyens. Que vous vous inspire ce geste ?
Abdoussalam Horma : L’anniversaire de l’Indépendance est une occasion importante qui mérite d’être fêtée par le maximum possible de décisions concernant la vie et les préoccupations des populations. Dès lors que des actes positifs en ce sens sont annoncés, nous les comptabilisons en acquis décisifs.
Les décisions contenues dans le discours à la Nation du président de la République sont certes importantes et méritent des encouragements mais restent loin des espoirs attendus : beaucoup de catégories ne se sentent pas concernées et vont continuer à désespérer encore longtemps. La grande partie des fonctionnaires de l’État perçoivent un salaire qui couvre seulement les besoins hebdomadaires de leur famille respective. Les populations rurales, notamment des adwabas, ont été laissées pour compte pendant 60 ans.
Dans cette allocution, le dialogue politique qui devait permettre de discuter des grands problèmes de l’heure afin de leur trouver des solutions consensuelles, comme ceux relatifs à la justice, l’unité nationale, la concorde nationale et la situation de l’opposition ont été complètement occultées.
– La résistance à la colonisation fait débat depuis l’arrivée d’Ould Abdel Aziz au pouvoir. Pensez-vous qu’on doive réécrire l’histoire de notre résistance face aux colons français ?
– La résistance est un sujet essentiel dans tous les pays qui ont vécu sous le joug de la colonisation occidentale pillant leurs ressources, divisant les peuples pour mieux régner et tentant de dévaloriser leurs différentes cultures. Le sujet de la résistance est lié à la glorieuse histoire de la Nation et à sa fierté légendaire. Il est de notoriété publique que le peuple mauritanien, toutes ethnies confondues, a refusé le colonialisme et consenti beaucoup de sacrifices pour annihiler les visées expansionnistes.
La résistance fait partie intégrante des plus importantes choses qui comptent dans notre passé contemporain mais en parler ne concerne qu’un pan de l’histoire de la Nation, rempli de nombre d’autres faits d’armes et de bravoure à ne point voir sous un angle sectaire ni exploiter à des fins déviationnistes.
– La mise en œuvre des recommandations de la commission d’enquête avance très lentement. Ne faudrait-il pas s’inquiéter sur l’issue de ce dossier très sensible ? Pensez-vous que le droit sera dit ?
– S’agissant du dossier de la gabegie, la CEP a clos ses enquêtes sans ingérence ni pression de l’Exécutif et remis son rapport au Parquet dans les délais requis. Depuis quelque temps, l’opinion publique nationale s’inquiète de la lenteur dans la gestion et le traitement du dossier, après le travail effectué par la police chargée de la répression des crimes économiques, les premiers mois de l’enquête. Le public ne comprend pas le retard enregistré et c’est à juste titre qu’elle s’en inquiète. Nous vivons dans la crainte de voir le dossier se muer à dessein en un règlement de compte visant l’ancien régime et ses ramifications. Nous attendons de l’État un jugement historique, juste et fort, qui servira d’arme de dissuasion pour tous, mettant fin à une culture néfaste et ramenant les biens du peuple au peuple.
– Depuis son arrivée au pouvoir, le président Ghazwani affiche sa volonté de réformer le système éducatif national pour instaurer une « école républicaine. » Quelle est la réaction et du professeur de l’enseignement supérieur et de président d’un parti politique que vous êtes ? En quoi, selon vous, cela pourrait renforcer l’unité nationale que certaines réformes ont contribué à saborder ?
– En ma qualité d’enseignant, j’estime que le problème de l’enseignement réside dans sa forme et sa contenance qui n’ont pas évolué depuis la fondation de notre école. Celle-ci a été marquée par la politique malveillante des régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Ceux qui avaient en charge la gestion de l’éducation n’ont jamais donné à ce secteur vital l’importance qu’il mérite, jamais élucidé les questions liées à l’éveil et aux progrès de la Nation. Nos gouvernants devraient s’inspirer des politiques d’éducation et d’enseignement pratiquées dans les pays comme le Japon, la Chine et les deux Corées.
À mon avis, la Mauritanie ne peut logiquement s’émanciper sans un programme éducatif qui inclut les langues nationales dans l’administration et le travail. A titre d’exemple, le Parlement européen exige, dans ses assises, une traduction simultanée dans toutes les langues parlées de l’UE. Cette logique doit nous guider à axer notre enseignement dans l’utilisation des langues nationales. Notre langue officielle – l’arabe – est la 4e langue mondiale, nos langues nationales peuvent être développées et devenir langues d’enseignement pourvu qu’existe une vraie volonté politique.
Pendant 60 ans, nous avons utilisé le français. Nos archivistes, nos administrateurs, nos cadres et nos techniciens ont été formés à l’école française. Pour remédier à cela, nous devons faire preuve de responsabilité et de clairvoyance, afin de discuter tous les sujets sensibles qui préoccupent notre peuple, loin des calculs politiques et surenchères de certains dirigeants.
– À l’occasion de la Fête de l’Indépendance, plusieurs personnes ont été arrêtées par la police. Elles tentaient de marcher vers la tribune officielle afin d’interpeler le président de la République sur le règlement du dossier dit passif humanitaire. Qu’en pensez-vous ?
– Cette question comporte deux volets. Le premier concerne le droit de manifester pacifiquement. Il est permis par la loi et ce n’est pas acceptable, dans un pays qui prône la démocratie, qu’on arrête quelqu’un du seul fait qu’il manifeste pacifiquement pour s’exprimer ou pour revendiquer un droit. C’est pourquoi nous condamnons fermement ces arrestations que nous considérons contraires à la Constitution. Ces pratiques sont des signaux négatifs pour la protection des droits et des libertés. Nous avons visionné des vidéos où d’atroces sévices étaient perpétrés dans les commissariats de police contre des défenseurs de l’environnement et de la protection de la Nature.
S’agissant du deuxième volet de la votre question, le passif humanitaire fait partie des sujets tabous dont la résolution a toujours été reportée par les régimes précédents qui n’ont jamais voulu le placer dans son cadre réel de résolution : un dialogue national honnête et franc, sous forme de grande tribune vérité-justice-réconciliation-dédommagements en vue de clore définitivement ce dossier. Un tel règlement renforcera sans nul doute la cohésion sociale, la concorde et l’unité nationale, pour le grand bonheur et le devenir du peuple mauritanien.
– Quel est l’état des rapports entre le député Biram Dah, également président d’IRA et de SAWAB ? Ses fracassantes sorties ne vous agacent-elles pas ?
– SAWAB et RAG sont liés par un accord politique dont les fruits profitent à tout un chacun. Nous entretenons de fraternelles et amicales relations, nous nous vouons un respect mutuel que nous ne cessons de cultiver et approfondir tous les jours. Nous évaluerons l’état de nos relations pendant notre 3e congrès qui se tiendra, si les conditions sanitaires nous le permettent, dans le premier trimestre de 2021. En attendons, SAWAB réclame la reconnaissance du parti RAG et du Mouvement IRA, parce que nous estimons que c’est un droit que la Constitution octroie. Et avec la dernière décision du gouvernement de passer du statut d’autorisation à celui de déclaration, le boulevard est ouvert, rien ne s’oppose à cette reconnaissance. Le député Biram est certes un élu du parti SAWAB mais il demeure une personnalité d’envergure nationale. Il s’est présenté à deux élections présidentielles, en y décrochant la seconde place. Et il est connu de tous que si les élections s’étaient déroulées dans des conditions normales, le résultat serait différent. En outre, Biram est un grand activiste des droits de l’homme et a reçu, à ce titre, des distinctions majeures de grandes institutions internationales. C’est pour toutes ses raisons que certaines de ses déclarations n’engagent que lui. Comme au sein de toutes les formations politiques, les points de vue peuvent converger ou diverger, sans entamer le bon fonctionnement du parti et le respect de ses principes. Je peux enfin vous assurer qu’il n’y a pas de nuages entre SAWAB et RAG/IRA.
– Selon diverses informations, Sawab tiendrait bientôt son 3e congrès ordinaire, attendu depuis 2017. Où en êtes-vous avec les préparatifs ?
Vous avez raison, nous sommes en pleine préparation de notre 3e congrès ordinaire qui devait effectivement se tenir en 2017, conformément au statut et règlement intérieur du parti. Nous avions entamé la campagne de sensibilisation mais certains grands évènements nationaux, notamment les différentes élections, nous ont obligés à annuler l’évènement. En 2019, le Corona est venu perturber tous les agendas, alors que nous avions démarré la réimplantation. Aujourd’hui, nous nous préparons activement pour cet évènement important pour notre parti qui a connu de grandes mutations. Comme dit tantôt et sauf évènement majeur, le congrès se tiendra au premier trimestre de 2021. Nous y tenons parce que ce congrès est un évènement majeur, il sera l’occasion de débattre des questions nationales et des orientations du parti.
– On assiste depuis quelques semaines déjà à la recrudescence des cas de COVID 19, particulièrement à Nouakchott. Que pensez-vous de la réaction du gouvernement face à cette 2e vague, d’abord et de la gestion de la pandémie par le celui-ci ?
-La pandémie de la COVID 19 constitue un défi majeur pour tous les gouvernements de la planète. Dès les premières manifestations de la maladie, notre gouvernement a pris des mesures relativement efficaces, il est vrai cependant qu’il n’a pas été aidé par ses citoyens dont bon nombre ont choisi d’ignorer les mesures barrières et les dangers du virus.
Pour leur, notre gouvernement qui annonce une 2e vague de la pandémie se contente tout simplement de gérer la crise sans renforcer les mesures de protection mises en place, et ce de manière unilatérale, avec une gestion opaque des fonds alloués au programme de relance économique qui risque de nous ramener à la case départ.
-Depuis que le président Ghazwani est arrivé au pouvoir, l’opposition reste inaudible. Est-ce à dire que vous êtes satisfaits de tous les actes qu’il a posés depuis le 1er aout 2019 ou que l’opposition peine à se réorganiser depuis la disparition du FNDU ? Souhaitez-vous un dialogue inclusif avec le pouvoir ?
– Je ne peux pas dire que l’opposition est dans sa meilleure situation, ni dans une entente parfaite qui permet de jouer son rôle à savoir : contrôler et surveiller l’action du gouvernement ainsi que de l’évaluation ; on ne peut pas pousser ce dernier à la table du dialogue pour discuter des sujets en suspens depuis plusieurs années. Et même si aujourd’hui le régime décide d’appeler au dialogue, je crains fort que l’opposition ne puisse s’entendre autour d’un minimum de consensus qu’elle avait réussi à maintenir les années précédentes sur un certain nombre de questions majeures. Mais, malgré cela, il faut reconnaître qu’elle a réussi tout de même à constituer, avec la majorité une commission d’enquête parlementaire, elle a prôné la loi pour l’instauration d’une haute cour de justice lors d’un vote au parlement. Actuellement, tous se focalisent sur l’importance de créer un climat serein, pouvant nous mener unis aux réformes que compte prendre le pouvoir lors des prochaines échéances gouvernementales.
Propos recueillis par Dalay Lam