Le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi nous a quittés ce Dimanche 22 novembre 2020. Son fils Ahmed auprès duquel je m’informais sur les circonstances de son décès me répondit : « Il est parti comme il a vécu, avec élégance ».
J’ai retenu cette formule pour sa perspicacité car l’homme était effectivement d’une grande élégance. L’élégance quand elle se combine au charisme dotent la personne d’une faculté de séduction parfois irrésistible. C’est probablement ce phénomène qui a amené le Président Moncef Marzouki à dire :
« Je me suis trouvé, aux occasions de nos rencontres, en présence de cette catégorie d’hommes qui honorent leurs siens, qui honorent leur génération, qui honorent la politique et qui honorent ceux qui ont eu l’opportunité de converser avec eux ». Un témoignage d’un homme de vérité, de principe, de conviction.
Le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi avait bénéficié de l’éducation de son milieu traditionnel, une éducation faite de courtoisie, de rigueur morale et de probité. Il a eu la chance de suivre un cursus scolaire et universitaire qui lui a ouvert les horizons de la modernité. Il a fait ses premiers pas de fonctionnaire puis de ministre dans l’administration sous la présidence de Moctar Ould Daddah. Une école de formation au sens de l’État et au respect du bien public. L’homme avait des aptitudes particulières qui, ajoutées à ce parcours, ont contribué à l’émergence d’une personnalité hors du commun ; un concentré de valeurs et de qualités.
La première des qualités qui vient à l’esprit est sa capacité de résilience. On pouvait imaginer que la personnalité du président Sidi et son parcours allaient le mettre à l’abri de toute injustice. C’est mal connaître notre société qui s’évertue à tirer vers le bas tous ceux qui sortent du lot. Le président Sidi, fut probablement le plus ciblé par toutes sortes d’attaques malveillantes. Il dût, de son vivant, affronter des épreuves qui auraient été fatales pour toute autre personne. Des campagnes de diffamations au milieu des années 70 et à la fin des années 80. Le coup d’État de 1978 et l’ignoble traitement qu’il subit lui et sa famille pendant et après le putsch du 6 aout 2008. Son comportement face à toutes ces épreuves fut, à chaque fois, exemplaire. Faisant preuve de patience et de sérénité, il laissait le temps faire son œuvre réparatrice. Aucune haine et aucun penchant vindicatif, visibles, aucun mot de trop. Persévérant dans sa noblesse d’âme il laissait au Bon Dieu le soin de châtier ses détracteurs.
Le président Sidi a longtemps été affublé d’une image de grande flexibilité. Il a fallu attendre de voir son comportement face au coup d’Etat de 2008 pour se convaincre de sa fermeté et de sa force de caractère. Que n’avait-on pas fait pour le forcer à revenir sur le limogeage des généraux dans un premier temps ? Dans un témoignage vidéo le président Sidi a déclaré avoir été menacé de mort, par le commandant du BASEP, s’il ne revenait sur décision. Par la suite, il fallait le forcer à signer sa démission de la présidence de la république. On l’embastilla. On enregistra à son insu, de manière ignoble ses conversations avec ses geôliers. Sa famille fut maltraitée, menacée dans l’intention de le faire plier. Mais rien n’y fit. Il resta imperturbable refusant fermement de céder.
Ceux qui ont eu l’avantage de travailler avec le président Sidi peuvent témoigner de son ouverture d’esprit, de sa capacité d’écoute et de discernement, de son aptitude à tenir compte des avis contraires. Il est cependant impossible de le faire changer d’avis autrement que par la force des arguments.
Toute conversation avec Sidi est un régal ; on ne s’en lasse jamais. Qu’il s’agisse de choses banales ou de sujets de fond. Sur les choses banales, il possède une faculté de narration particulièrement captivante.
Sur les sujets de fond, le président Sidi étalait une capacité d’abstraction et une profondeur d’analyse qu’on ne rencontre pas fréquemment dans la classe politique nationale. Sa hauteur de vue lui a permis de concevoir une gouvernance en phase avec notre temps. Se référant toujours au cadre stratégique de développement en cours, il élabora une lettre de mission à son premier ministre dans laquelle il clarifia la vision, les missions et des actions à entreprendre tout en responsabilisant les équipes en charge de leur exécution. Il inaugura de nouvelles pratiques dans l’exercice de la démocratie en développant la concertation et en élargissant les champs des libertés. Il sut s’attaquer frontalement aux problèmes qui minent notre société en organisant le retour des déportés et en criminalisant l’esclavage. Il mit en œuvre un plan de protection sociale, considéré comme modèle, face à la hausse fulgurante des prix des produits de première nécessité. Il organisa un Conseil Présidentiel de l’Investissement pour promouvoir une nouvelle politique de développement de l’économie fondée sur l’émergence d’un secteur privé dynamique et moderne. Il secoua avec énergie le système éducatif qui commença, de son temps, à prendre de bonnes habitudes de travail.
A cette hauteur de vue, le président Sidi ajoute un style marqué par un sens élevé de ses responsabilités, une bonne connaissance des rouages de l’État, une courtoisie associée à d’élégantes manières. Les trois exemples suivants illustrent la portée de ce style.
Un jour il me confia qu’il passa une nuit blanche à la Mecque pour sélectionner la personne la mieux indiquée pour une mission qui lui tenait fortement à cœur. Ce ne fut qu’au petit matin qu’il arrêta défensivement son choix. On trouve ici un style responsable qui tranche avec celui qui consistent à mettre n’importe qui n’importe où. Une pratique courante qui a détruit l’administration du pays ainsi que ses entreprises.
Un de mes amis qui dirigeait une organisation internationale est sorti impressionné par la teneur de son audience avec le Président Sidi. Il me confia avoir reçu la consigne de s’atteler à sa mission qui est, avant tout, de bien diriger son établissement en laissant la défense des intérêts de la Mauritanie au Président, aux ministres et aux experts désignés à cet effet.
Le président Sidi me téléphona un jour alors que je cumulai la direction générale de l’ANAIR avec la présidence de la SMH. Il me dit comme s’il voulait m’en demander l’autorisation : « J’ai besoin de la présidence de la SMH, je pense que je vais vous la prendre ». Cette courtoisie, peu commune chez les chefs d’État, m’a amené à accepter cette décision avec beaucoup de plaisir.
L’arrêt brutal de cette expérience au bout de 15 mois pose la question de savoir s’il est réaliste de vouloir greffer une gouvernance du 21eme siècle sur une société aux structures encore anachroniques. Dans de telles sociétés la gouvernance ne peut se concevoir qu’en termes de partage immédiat du gâteau alors que les méthodes modernes de gestion des États doivent privilégier l’efficacité, la compétence et les stratégies à long terme.
Très tôt des signes de rejet ont commencé à se manifester déstabilisant, au fil du temps, le pouvoir en place. La déstabilisation était d’autant plus aisée qu’il était construit sur un quiproquo. L’intention de ceux qui détenaient la réalité du pouvoir était d’installer une potiche pour continuer à contrôler la conduite des affaires de l’Etat. La suite des évènements montra que les choses ne se passèrent pas comme prévues.
Le Président Sidi avait le défaut de ne pas avoir les défauts qui sont indispensables pour l’exercice du pouvoir à ce niveau de responsabilité à savoir : le cynisme, l’ingratitude, l’absence de scrupules et l’aptitude à devenir, comme disent les américains, un Killer quand il le faut.
Le combat était donc inégal et c’est la Mauritanie qui a été la plus grande perdante.
Un ancien ministre de Moctar Ould Daddah, éminent connaisseur du pays et de ses hommes, se demandait si la Mauritanie pouvait être suffisamment chanceuse pour avoir Sidi comme Président. C’était avant les candidatures aux élections présidentielles de 2007. L’histoire nous montre, aujourd’hui, que la Mauritanie a bien eu cette chance. Mais l’histoire nous montre, aussi, qu’elle n’a pas su la saisir.
Mes condoléances vont d’abord à Khattou, l’épouse et l’amie, aux enfants et petits enfants qu’il chérissait tant, à toute sa famille et tous ceux qui l’ont approché et qui, donc forcément, l’ont apprécié.
Qu’Allah l’accueille dans son Paradis.
Nouakchott le 26 novembre 2020
Moussa Fall