Le parlement mauritanien devrait amender un projet de loi sur les associations actuellement à l’étude pour s’assurer de sa conformité aux normes internationales en vigueur sur la liberté d’association, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. En l’état, ce projet de loi autoriserait toujours un contrôle excessif du gouvernement sur le droit des personnes de constituer ou d’opérer au sein d’associations.
Le 19 septembre 2020, le Conseil des ministres de la Mauritanie a transmis au parlement le projet de loi sur les associations, les fondations et les réseaux pour remplacer la législation actuelle, qui est très restrictive.
Le projet de loi prévoit de passer d’un régime de délivrance très stricte des autorisations à un système de notification, mais de graves problèmes subsistent, parmi lesquels des restrictions excessives des domaines d’activité et le pouvoir donné au ministre de l’Intérieur de suspendre temporairement, et sans préavis, les associations.
« Alors que le projet de loi constitue un pas en avant par rapport à la législation draconienne actuelle, certains amendements sont nécessaires pour garantir un environnement épanouissant pour la société civile mauritanienne », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités devraient permettre aux Mauritaniens de se rassembler sans difficulté à des fins politiques ou à d’autres fins pacifiques. »
Le projet de loi remplace de manière appréciable un système de licences par un autre dans lequel une organisation se verrait automatiquement octroyé un statut juridique dans les 60 jours après avoir soumis ses statuts et une déclaration de constitution auprès des autorités. Celles-ci fourniraient immédiatement un accusé de réception de ces documents et pourraient rejeter la notification si elle ne répondait pas aux exigences de la loi.
La loi en vigueur sur les associations, qui date de 1964, contraint ces dernières à obtenir l’autorisation d’exercer légalement et accorde au ministère de l’Intérieur un pouvoir considérable pour la refuser au nom de motifs vagues tels que « propagande antinationale » ou le fait d’« exercer une influence fâcheuse sur l’esprit des populations ».
Le ministère de l’Intérieur a refusé de reconnaître plusieurs associations qui font campagne sur des questions controversées, telles que l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), une organisation antiesclavagiste dont le gouvernement a arrêté et harcelé des membres. L’organisation Hands Off My Nationality, qui accuse le gouvernement de discriminer les Noirs dans le processus d’enregistrement de l’état-civil, a échoué à obtenir un statut juridique à partir de 2012.
Le projet de loi prévoit en outre que seule une autorité judiciaire peut suspendre définitivement une association. La loi actuelle permet au gouvernement ou aux autorités administratives de dissoudre une association pour avoir critiqué les autorités.
Le projet de loi rend les associations éligibles pour recevoir des financements, y compris de la part de donateurs étrangers et prévoit un droit de recours en cas de décisions administratives défavorables.
Mais le texte contient également des dispositions contraires au droit à la liberté d’association. La définition du projet d’« association » exclut les associations de moins de cinq personnes et les organisations avec un mandat non permanent, dispositions qui ne correspondent pas aux normes internationales. Le parlement devrait amender le projet pour refléter la définition proposée par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association selon laquelle une association est « tout groupe d’individus ou toute entité juridique constitués pour exprimer, promouvoir, poursuivre et défendre collectivement des intérêts communs ».
Le projet de loi impose aux associations un « domaine d’intervention principal » clairement défini dans leurs statuts et de s’abstenir de toute activité politique. Le texte précise aussi que « l’objet et les buts de ses activités doivent s’inscrire dans l’intérêt général et ne pas être contraires aux principes consacrés par la Constitution, aux constantes et valeurs de la République, à l’ordre public, aux bonnes mœurs ainsi qu’aux dispositions des lois et règlements en vigueur ». Des concepts vagues qui pourraient être instrumentalisés pour justifier le refus d’accréditer des associations travaillant sur des questions sensibles des droits humains telles que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées.
Une clause vague stipule qu’une association est « nulle et de nul effet » si elle est « fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’existence de l’État, à l’intégrité du territoire national, au caractère pluraliste de la démocratie mauritanienne [ …]. » Ces conditions exposent davantage les associations à des décisions gouvernementales arbitraires.
Le ministre de l’Intérieur peut, en vertu du projet de loi, suspendre une association jusqu’à 60 jours pour des raisons mal définies telles que se livrer « à des activités susceptibles de menacer l’ordre public et les bonnes mœurs ». La législation actuelle permet au ministre de l’Intérieur de révoquer définitivement, sans demander au préalable l’approbation du tribunal, le statut juridique des organisations qui « provoquerait des manifestations […] compromettant l’ordre ou la sécurité publique », se livrerait à une « propagande antinationale » ou « exercerait une influence fâcheuse sur l’esprit des populations ».
En vertu de la législation actuelle, les tribunaux peuvent imposer des peines de prison de un à trois ans à quiconque continue de diriger une organisation non autorisée, et de six mois à un an à quiconque « participe au fonctionnement » d’une organisation non autorisée. Bien que le projet de loi à l’étude ne spécifie pas les peines d’emprisonnement, il stipule que les fondateurs, représentants ou dirigeants d’associations peuvent être « exposés aux poursuites judiciaires » s’ils ne déclarent pas leur groupe ou « reconstituent illégalement un groupe ».
Les associations étrangères, définies comme des organisations constituées en vertu de lois étrangères et ayant leur siège à l’étranger, doivent conclure un « accord-cadre » avec les autorités mauritaniennes avant de pouvoir mener des activités dans le pays. Cette mesure équivaut à un régime d’autorisation généralisé, contraire à l’esprit d’un système de notification, et devrait être abrogée, a préconisé Human Rights Watch.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Mauritanie a ratifié en 2004, garantit le droit d’association pacifique. L’article 22 stipule qu’aucune restriction ne peut être imposée à l’exercice de ce droit autre que celles « prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui ».
Comme pour tous les droits en vertu du droit international qui peuvent être limités, les restrictions spécifiées à l’article 22 (2) du PIDCP doivent être interprétées et appliquées de manière restrictive et en l’absence de discrimination pour des motifs tels que la citoyenneté, la religion ou l’opinion politique.
L’article 10 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule en outre que « toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi » et que « nul ne peut être obligé de faire partie d’une association ».
Un expert indépendant, François Patuel, fondateur de FP Research Consultants, a fourni une analyse juridique.
Source : Human Rights Watch