Le pouvoir politique en Mauritanie : La descente aux enfers d’Aziz (1)

Le pouvoir politique en Mauritanie : La descente aux enfers d’AzizLes circonstances – personnelles : une hospitalisation de Mars à Juillet pour avoir contracté le corona virus, nationales mauritaniennes : le début des auditions de l’ex-président Mohamed Ould Abdel Aziz par le parquet à Nouakchott, assorti d’une interdiction de quitter la capitale pendant toute la durée de l’enquête, françaises

: la mise en examen de l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy pour association de malfaiteurs et le financement libyen de son élection en 2007 – nous permettent à tous de vérifier I le fonctionnement des institutions mauritaniennes, et de constater leur respect exemplaire. Nous le confirmons ici et la semaine prochaine, essaierons – avec tous les partenaires du pouvoir politique, ceux qui l’exercent et le peuple qui en est le sujet et le mandataire – de discerner si le pays va enfin retrouver II le sens de l’Histoire. Et puis nous reprendrons l’analyse du passé contemporain aux dates où j’ avais dû l’interrompre.

 

L’exemplaire respect des institutions

L’ex-général Mohamed Ould Abdel Aziz a perdu la partie en beaucoup de coups, n’en remportant aucun. Il voulait se faire réélire pour « seulement » garder le pouvoir et en continuer l’exercice à sa façon. C’est sur cette façon qu’il va être jugé, soit par les instances compétentes pour ses détournements financiers et enrichissements sans cause, soit par la Haute Cour de justice – opportunément rétablie par l’Assemblée nationale, le 27 Juillet dernier – s’il est avéré que ces malversations, dont semble attester son ancien Premier ministre, Yahya Ould Hademine – constituent ensemble une « haute trahison » au sens de l’article 93 de la Constitution du 20 Juillet 1991. Mais il ne va pas être jugé, encore moins condamné, sur ce qui lui a tout permis : le putsch du 6 Août 2008, car en cela l’ancien général Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, qui lui a succédé à la présidence de la République, lui reste lié, à l’instar de toutes les hautes hiérarchies militaires, depuis leur premier coup : celui du 10 Juillet 1978. Ce temps viendra-t-il ? Mais ce qui est confirmé, mis au jour, détaillé en ce moment, y aide.

 

Tout commence avec ce troisième mandat, interdit sous peine de manquer de manquer au serment à la Constitution, rétabli par le referendum du 25 Juin 2006 (le même qui limite à deux mandats consécutifs tout pouvoir présidentiel) et qu’il avait dû prêter le 5 Août 2009. Ne parvenant pas à convaincre le Sénat d’une révision de la Loi fondamentale, il décide le 20 Avril 2017 de faire supprimer cette seconde Chambre par un  nouveau referendum constitutionnel. Initialement prévu pour se tenir le 15 juillet, la consultation a lieu le 5 Août : elle peut sembler un plébiscite, 85% des électeurs  en faveur du « Oui » et 53,73% de  participation. Du rouge est ajouté au drapeau selon la réécriture du passé national dont personne n’avait démérité, les résistants à la pénétration française, ni vraiment celle-ci organisant un « projet d’Etat » : cela aurait pu, avec plus de légitimité rappeler « les années de braise » d’un précédent putschiste, le colonel Maayouia Ould Sid’Ahmed Taya. Des conseils régionaux sont érigés, le Sénat supprimé et, dans cette ambiance, quoi de plus naturel d’enlever, le 10 Août, l’irréductible sénateur d’opposition, Mohamed Ould Ghadda, puis de l’inculper le 18, pour « crimes transfrontaliers et actes visant à perturber la sécurité et la tranquillité publique ». Le 31, Mohamed Ould Bouamatou, le grand et généreux banquier (d’ailleurs financier de l’arrivée au pouvoir de son cousin) et Mohamed Debagh, sont  poursuivis par la justice mauritanienne qui délivre un mandat d’arrêt contre eux, les soupçonnant de corruption. Mohamed Ould Bouamatou aurait soutenu financièrement les sénateurs opposés au troisième mandat et va encourager une manifestation de nationaux mauritaniens, à New-York, devant le palais des Nations Unies quand Mohamed Ould Abdel Aziz y prend la parole, le 21 Septembre 2017.

Dérive autoritaire

La plupart des partenaires étrangers de la Mauritanie s’inquiètent de cette dérive autoritaire, la pression est forte pour que le Président, qui pourra toujours se représenter ensuite, y renonce pour la suite du mandat qui va se terminer dans les deux ans.  Le 17 Novembre 2018, Interpol annule les mandats d’arrêt internationaux contre Mohamed Ould Bouamatou et Mohamed Debagh, et le 15 Janvier 2019, Mohamed Ould Abdel Aziz rappelle, très officiellement « sa position constante déclinée à plusieurs occasions », de respecter la Constitution du pays et de refus de toute révision touchant ses articles 26, 28 et 99.  Mohamed Yahya Ould Kherchi, président du groupe parlementaire du parti présidentiel, l’U.P.R. vient d’échouer : sur les 157 députés que compte l’Assemblée nationale, 58 ont exprimé leur intention de rejeter son initiative tendant à permettre ce troisième mandat, dont 33 députés de l’opposition et 25 de la majorité présidentielle.
Quoique le président sortant ait laissé entendre qu’il n’est pour rien dans la candidature de son ministre de la Défense, et alter ego depuis dix ans, l’élection, le 22 Juin 2019, de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani dès le premier tour de scrutin par 52,01 % des suffrages exprimés, selon la CENI, peut paraître le succès d’un scenario à la Poutine et Medvedev. Pour l’opposition, c’est certain : le 25, les ambassadeurs du Sénégal, du Mali et de la Gambie sont convoqués au ministère des Affaires étrangères pour s’entendre signifier de demander à leurs ressortissants de « s’abstenir de participer aux manifestations et à tout ce qui perturbe l’ordre public en Mauritanie ». Le lendemain, les quatre candidats de l’opposition, contestant la victoire à la présidentielle de l’ancien chef d’état-major, accusent les autorités d’imposer un « état de siège de fait » et Samba Thiam, une des figures des originaires de la vallée du Fleuve, est arrêté à son domicile. Le 1er Juillet 2019, le Conseil constitutionnel valide les résultats de l’élection présidentielle, et les perdants : Biram Ould Dah Ould Abeid, Sidi Mohamed Ould Boubacar et Baba Hamidou Kane crient au «hold-up électoral».  A la veille de l’investiture du nouveau président de la République, le Premier ministre sortant fait un éloquent mais lapidaire bilan de la décennie : le Trésor public ne dispose que de 26,4 milliards d’ouguiyas (dont 18 milliards d’aides de la Banque mondiale) alors que les obligations de l’Etat s’élèvent à plus de 200 milliards d’ouguiyas… En d’autres termes : les caisses sont vides.
Le 3 Août, est nommé une nouveau Premier ministre, le « très discret » (selon les commentateurs) Ismaïl Ould Bedda Ould Cheikh Sidiya : celui-ci a dirigé de 2009 à 2014 les ministères de l’Habitat et de l’Emploi, puis il a présidé la très sensible zone franche de Nouadhibou. Son prédécesseur, nommé depuis moins d’un an, est nommé ministre secrétaire général de la présidence de la République. Six ministres de Mohamed Ould Abdel Aziz restent au gouvernement. Tout « va dans le bon sens ».
L’exigence d’un audit
Et cependant… dès la nomination du nouveau Premier ministre, circule une demande citoyenne, bien écrite et documentée, celle d’Ahmed Bezeid Ould Beyrouk pour que soit jugé Mohamed Ould Abdel Aziz, et surtout le 4, sur la plainte d’étudiants mauritaniens, l’appartement parisien de Mohamed Ould Abdel Aziz, dans le très prisé 16ème arrondissement de la capitale française, est placé sous contrôle judiciaire jusqu’à ce que soit élucidé son financement. Le propriétaire, était-ce son projet initial, par s’installer à Istanbul. Le 4 Septembre, à Nouakchott, sous la présidence de Limam Ahmed Ould Mohamedou, secrétaire permanent du R.F.D. est donnée puis débattue une conférence de l’universitaire Mohamed Ould Mohamed El Hacen : « la gestion du pays par Mohamed Ould Abdel Aziz : l’exigence d’un audit ».
Rien ne va se savoir de la suite des mois : y a-t-il eu une conversation en ouolof de l’ancien Président, écoutée par le nouveau, par laquelle Mohamed Ould Abdel Aziz demande au chef du BASEP de le débarrasser de … ? mais à la veille de partir pour Akjoujt et la célébration de l’anniversaire national, inopinément, le chef de l’État, le 27 Novembre 2019, limoge le commandant du Bataillon de Sécurité Présidentielle (BASEP), colonel Mahfoudh Ould Mohamed Hadj, et le remplace par le colonel Ahmed Ould Mohamed Lemleih.  Une rumeur d’assassinat, au moins de complot, lui était-elle parvenue ? S’était-elle confirmée ? Suit une conférence de presse tenue par Mohamed Ould Abdel Aziz de nuit, à son domicile, entouré de seulement deux des 27 membres d’une commission qui doit assurer la gestion de l’U.P.R. jusqu’à l’élection d’une nouvelle direction lors d’un congrès prévu les 28 et 29 Décembre. La commission est gouvernementale, conduite par le Premier ministre Ismaïl Ould Bedda Ould Cheikh Sidiya, qui s’est engagé à appliquer la « vision » du président El Ghazouani lors de sa prise de fonction.
Mohamed Ould Abel Aziz n’a plus le pouvoir. Il ne peut rien contre la manifestation populaire qui se tient le 13 Décembre 2019, devant le palais présidentiel pour réclamer l’abandon des poursuites qu’il avait diligentées contre Mohamed Ould Bouamatou, devenu son ennemi une année à peine après son accession au pouvoir. Le 30, après avoir levé l’embargo sur la Générale de banque de Mauritanie, le gouvernement fait lever les plaintes d’O.N.G. contre ce dernier et le décore pour ses fondations et actions de bienfaisance dans le pays. Le 19 Février 2020, la justice mauritanienne annule les deux mandats d’arrêt internationaux lancés contre Mohamed Ould Bouamatou, et le 5 Mars, toutes poursuites judiciaires sont abandonnées à l’encontre de Mohamed Ould Bouamatou, ainsi qu’à celle de Mohamed Ould Debagh pour « corruption », et d’un conseiller de divers présidents africains, Moustapha Ould Limam Chafi, accusé par le précédent pouvoir de « connivence et liens avec les groupes djihadistes au Sahel ». Et le 10 Mars 2020, c’est le retour triomphal de Mohamed Ould Bouamatou à Nouakchott, après dix ans d’exil. Grave blessure d’amour-propre pour l’ancien Président qui avait cru le tenir à jamais.
Le pire commence
Mais le pire commence pour lui, en toute régularité juridique et constitutionnelle. Proposée par 24 députés de l’opposition et les députés de la majorité, excepté ceux de l’U.P.R., l’instauration d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP) sur la gestion économique et financière de la «décennie Aziz» a été décidée par l’Assemblée nationale, le 30 Janvier dernier : la commission se compose de neuf membres dont six membres de l’U.P.R.  Le 13 Mars, conférence de presse de Lemrabott Ould Bennahi, le porte-parole de la C.E.P. : les membres de la CEP sont déterminés à réaliser leurs enquêtes en toute impartialité, sans stigmatisation aucune. Le 14 Février précédent, il avait indiqué que l’ambition de la commission est de faire instaurer «une bonne gouvernance dans la gestion de la chose publique» dans le cadre du «contrôle de l’action du gouvernement par le Parlement».
Mais voici que deux « affaires » précises « sortent », extrêmement « parlantes » pour l’opinion nationale, sans préjudice d’autres.  Le 28 Avril, Al Akhbar publie les factures d’électricité (SOMELEC) jamais payées par MoAA (400.000 euros en UM), soit pour sa résidence de Tivirit, dans les environs de Nouakchott soit des unités agro-industrielles appartenant à l’ex-président utilisaient l’électricité du réseau public sans frais versés dans les caisses de la Somelec : d’abord une usine d’embouteillage et d’utilisation d’eau minérale ; une usine de produits de la pêche à Nouadhibou ; une zone de décorticage de riz à Rosso ; et enfin une station de pompage pour sa ferme, toujours à Rosso. Et le 7 Juillet, M° Brahim Ould Dadah, ministre de la Justice à l’époque du don d’une île du banc d’Arguin à l’émir du Qatar, est entendu par les membres de la commission d’enquête parlementaire en tant que principal témoin, puisque Mohamed Ould Aziz l’avait chargé personnellement de cette affaire.
Le lendemain, le 8 Juillet, l’ancien Président est convoqué par Hbib Ould Diaye, président de la commission d’enquête parlementaire ; pas d’énoncé des dossiers mais ils sont connus du « grand public » :  gestion des revenus pétroliers, la vente de domaines de l’Etat à Nouakchott, la liquidation d’une société publique qui assurait l’approvisionnement du pays en denrées alimentaires, ou encore les activités d’une société chinoise de pêche, Poly Hondong, et bien plus. Le 9,  Mohamed Ould Abel Aziz, qui a rusé pour ne pas avoir connaissance de cette invitation refuse de comparaître devant la commission d’enquête parlementaire. La C.E.P.  communique qu’elle ne l’y forcera pas, mais les filles de l’autocrate dépossédé et son beau-frère sont convoquées pour soupçon d’enrichissement illicite. L’amiable n’est plus.

 

Le 20 Juillet dernier, a été déposé le rapport de la commission d’enquête parlementaire. Et le 27, les députés ont adopté la loi organique n° 021-2008 relative à la Haute Cour de Justice, lors d’une plénière présidée par Cheikh Ould Baya. Elle était prévue par la Constitution du 20 juillet 1991, mais le 12,  prévue pour le lendemain, la séance devant la rétablir avait été reportée sine die. Membre du Parlement, Biram Dah Abeid avait alors exigé la mise en place rapide de la plus haute instance judiciaire : celle qui a pour compétence de juger les anciens dirigeants.  Le 28 Juillet 2020, l’Assemblée nationale valide le rapport de la commission d’enquête parlementaire, présidée par Hbib Ould Diaye, et, le 5 Août, ce rapport de la CEP est transmis à la justice. Le parquet communique aussitôt que « les enquêtes se dérouleront en toute impartialité, conformément aux procédures judiciaires en vigueur tout en prenant en considération le temps qu’exige généralement ce genre d’enquêtes ».  Le Pr.  Lô Abdoul Gourmo explique que « la prise en compte du dossier par le parquet est une phase traditionnelle de la justice. Il faudra attendre la phase de l’instruction pour savoir si le dossier sera retourné au Parlement où il pourra faire l’objet de remise à une commission d’instruction  Cette commission pourra requalifier les faits. S’il s’agit de fait de haute trahison commis par l’ancien président de la République, seule la Haute Cour de justice restera compétente pour le juger ».

à suivre

Bertrand Fessard de Foucault,

Alias Ould Kaïge