Dans cette interview à Alakhbar, le diplomate revient aussi largement sur le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile qui, selon Giacomo DURAZZO, « jette les bases d’une nouvelle politique européenne de migration et d’asile qui reflète le besoin d’une gestion consensuelle de la migration vers l’Europe par les Etats membres de l’UE.
ALAKHBAR_ Le 23 septembre dernier, l’Europe présentait un nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Pourquoi l’migration préoccupe autant les européens ?
Giacomo DURAZZO : La Migration est un sujet qui attire, souvent l’attention des médias et de l’opinion publique face, à des drames et pertes de vies humaines qui, malheureusement, arrivent régulièrement en mer méditerranéenne. Mais ce qui est important à garder à l’esprit c’est que la migration est un phénomène naturel qui existe depuis la nuit des temps. L’homme a toujours migré, cela fait partie de sa manière de vivre.
Ce phénomène, il faut l’accompagner et le gérer, parce qu’il a des effets bénéfiques en termes de mixage social et d’apport de ressources dans certains pays. Il y a donc des aspects positifs, mais aussi négatifs qu’il faut contrecarrer, comme les pertes de vies humaines.
ALAKHBAR_ Quelles sont les grandes lignes du nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile ?
Giacomo DURAZZO : Le nouveau pacte, annoncé par la commissaire européenne aux Affaires intérieures Madame Ylva Johansson, qui s’est récemment rendue en Mauritanie, jette les bases d’une nouvelle politique européenne de migration et d’asile qui reflète le besoin d’une gestion consensuelle de la migration vers l’Europe par les Etats membres de l’UE.
Le nouveau pacte constitue un élément fédérateur de cette politique qui traite la migration dans tous ses aspects légal et illégal. Il s’agit de promouvoir la migration pour le travail, d’apporter assistance aux migrants en cas de tragédie et d’aider ceux parmi eux qui n’ont pas le droit de rester en Europe à regagner leur pays d’origine.
En même temps, nous combattons le fléau de la migration illégale dont la traite d’êtres humains et l’exploitation abusive de personnes. Dans le nouveau pacte, nous essayons aussi d’améliorer la gestion des frontières communes dans l’espace Schengen.
Concrètement, le Pacte propose de mettre en place des partenariats globaux, équilibrés et sur mesure avec les principaux pays d’origine et de transit pour permettre d’intensifier la coopération dans certains domaines clés tels que
– Le soutien à la création de débouchés économiques, en particulier pour les jeunes
– La lutte contre le trafic de migrants
– Un soutien accru aux pays et aux communautés qui accueillent les réfugiés
– Les retours volontaires et la réintégration des migrants
– La mise en place de canaux bien organisés de migration légale
ALAKHBAR_ Quels sont les partenaires de l’Union européenne dans la mise en œuvre de ses programmes liés à la migration ?
Giacomo DURAZZO : L’UE s’appuie sur plusieurs types de partenaires :
Il y a d’abord la coopération avec les autorités nationales. Ce sont les services de l’État en charge de la gestion des frontières et de la migration : les différents ministères (surtout MIDEC, défense, MASEF), les autorités locales, les gardes côtes mauritaniens, les forces de sécurité ainsi que la société civile (ONGs et associations).
Au niveau multilatéral, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) constitue l’un de nos partenaires principaux pour les questions migratoires.
L’Union européenne travaille également avec ses Etats membres afin de renforcer les synergies et de mieux coordonner les efforts.
ALAKHBAR_ Comment fonctionne ce partenariat entre l’Europe et les pays de transite ou d’origine des migrants ?
Giacomo DURAZZO : L’UE apporte un soutien à ces partenaires pour assurer la protection des droits des migrants et lutter contre la discrimination et l’exploitation. Si nous prenons l’exemple de la Mauritanie, nous essayons, en premier lieu, de limiter la nécessité de migrer en faisant en sorte que la migration devienne un choix et non ce qu’on subit. Cela demande d’améliorer le quotidien des gens et de les aider à se développer dans leur propre pays. Cela explique notre soutien au développent et à l’éducation.
Il y a, ensuite, la lutte contre les trafiquants. Le trafic de migrants est comme tout autre trafic voire même pire, parce qu’il s’agit d’êtres humains. Il faut arrêter et bloquer les réseaux criminels qui profitent de ces gens-là.
Il y a encore le soutien accru aux pays d’accueil de refugiés. À tire d’exemple la Mauritanie qui doit être appuyée du fait qu’elle abrite une grande population de refugiés maliens. En tout, nous travaillons avec le pays sur la migration légale, la question des retours volontaires et sur la réintégration des migrants.
ALAKHBAR_ Vous l’avez souligné. La Commissaire européenne chargée des Affaires intérieures a récemment visité la Mauritanie et rencontré les hautes autorités. Quelle était l’objectif de sa visite ?
Giacomo DURAZZO : C’est important de signalé la venue en Mauritanie de la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Madame Ylva Johansson, en compagnie du ministère espagnole de l’Intérieur, Monsieur Fernando Grande-Marlaska Gómez. C’est une visite conjointe entre l’Union européenne et l’Espagne qui, depuis longtemps, est active dans la lutte contre la migration illégale en Mauritanie. L’Europe travaille aussi dans ce domaine.
On a voulu donc marquer cette coopération entre l’Europe et l’Espagne et organiser cette visite pour voir comment travailler ensemble main dans la main. Il est également important de renforcer la coopération entre la Mauritanie, l’Union européenne et l’Espagne – comme Etat membre – à travers des discussions et de dialogues réguliers sur la question migratoire.
La commissaire est venue aussi parce qu’il y a, clairement, une résurgence de la Route atlantique, celle qui longe l’océan. Depuis deux ans, on assiste à une multiplication, par sept, du nombre de migrants clandestins en direction des Iles Canaries. C’est un souci pas seulement pour l’Europe mais aussi pour les autorités mauritaniennes qui doivent prendre en considération cette recrudescence du phénomène.
Je me permets, à cette occasion, de souligner que la Mauritanie peut servir d’exemple dans son approche qui fonctionne contre la migration illégale et qui est même très efficace et pragmatique, parce que le pays a su bien gérer son territoire et ses frontières.
En faisant cela, la Mauritanie rend aussi service à l’Europe, parce que la plupart de ces migrants veulent venir en Europe, de quelque manière que ce soit. Ces efforts mauritaniens ont, évidemment, un coût et méritent donc d’être soutenus.
ALAKHBAR_ Pourriez-vous expliquer pourquoi la lutte contre les migrations irrégulières est une partie importante des activités de l’Union européenne en Mauritanie ? Quel est l’ampleur du phénomène en Mauritanie ?
La Mauritanie est un partenaire important de l’UE dans le domaine de la migration car elle accueille sur son territoire une importante population de réfugiés et de migrants ; elle est principalement un pays de transit pour les personnes souhaitant atteindre l’Europe.
La Mauritanie qui est préoccupée par la dimension et le coût humains de ce phénomène s’est fortement engagée depuis de nombreuses années dans la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains. L’UE doit soutenir ces actions entreprises par le Mauritanie.
Les migrations irrégulières vers les îles Canaries ont repris en 2018 et se sont accentuées de manière considérable (les arrivées en 2020 sont presque 7 fois supérieures à celles enregistrées durant la même période de l’année précédente). Nous constatons une diminution des arrivées à travers la route de la Méditerranée occidentale et une forte recrudescence des arrivées sur les îles canaries (3 933 contre 584 en 2019). La plupart des départs se font à partir du Sahara Occidental suivi par le Maroc et la Mauritanie.
Même si des chiffres précis ne sont pas disponibles, les migrants de transit traversent la Mauritanie par les voies terrestres et maritimes. D’après les études de l’OIM une grande partie des migrants présents en Mauritanie sont concentrés principalement à Nouakchott (environ 80 000) et à Nouadhibou (environ 32 400 migrants dont 70% arrivés depuis 2017). Il s’agit principalement de sénégalais, de maliens et de guinéens.
ALAKHBAR_ Finalement, qu’est ce qu’on peut retenir de concret dans la coopération UE – Mauritanie sur la question migratoire ?
Giacomo DURAZZO : En termes de réalisions concrètes dans le domaine de la migration, on peut citer deux importantes lois relatives au trafic illicite et à la traite des personnes, adoptées par l’Assemblée nationale de Mauritanie, en juillet 2020. Ces lois modernisent le dispositif législatif du pays dans tous ses aspects grâce à un programme financé par l’Union européenne et mis en œuvre par l’Organisation Internationale de la Migration.
L’OIM a mené un plaidoyer et plusieurs consultations pour enrichir ces lois et faire en sorte qu’elles soient de bonne qualité et correspondent aux critères internationaux. L’Union européenne travaille aussi avec la Mauritanie dans le renforcement des capacités locales du pays en matière sécurité et de surveillance maritimes.
Nous travaillons aussi sur le contrôle des frontières, le renforcement des capacités opérationnelles du GARSI qui est une unité de la Gendarmerie nationale, spécialisée dans la lutte contre les trafics dont celui de migrants. Il s’agit là de quelques exemples de réalisations concrètes qui démontrent la richesse et l’intensité de la coopération entre l’Union européenne et le Mauritanie lesquels – à mon avis – peuvent servir d’exemples pour de nouveaux projets et programmes futurs dans le domaine de la migration.
ALAKHBAR_ Quels changements le Pacte introduira-t-il dans la coopération entre l’Union européenne et ses partenaires comme par exemple la Mauritanie ?
Ce nouveau pacte permettra des échanges renforcés avec les autorités locales pour mettre en place des stratégies plus efficientes et des actions plus efficaces. Il permettra également de consolider la collaboration entre l’UE et ses partenaires stratégiques afin d’apporter des réponses coordonnées aux défis régionaux et internationaux.
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Source : Alakhbar (Mauritanie)