Aminetou Mokhtar, présidente AFCF à l’Eveil Hebdo : « Le procès du meurtrier de Khadjetou Sow était une mascarade »

Aminetou Mokhtar, présidente AFCF à l’Eveil Hebdo : L’EVEIL Hebdo : La Cour Criminelle du tribunal régional du Trarza vient de condamner Adama Ba à la peine de mort pour avoir tué avec préméditation Khadjetou Oumar Sow, en mars dernier, aux alentours de Tiguent. Quelle appréciation faîtes-vous de cette sentence ?

Aminetou Mint Mokhtar : Merci de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur la question.Nous avons suivi l’assassinat perpétré contre Khadjetou Sow dès le début. Il y a eu, je le rappelle, une première enquête à Nouakchott qui avait révélé l’implication de d’autres personnes dans le dossier avant même la découverte du corps de la jeune fille.

Finalement, avec la poursuite de l’enquête, il y a eu l’interrogatoire par la police de certaines personnes : le propriétaire de la voiture et le responsable de l’ONG. Au final, il y a eu l’aveu du meurtrier qui a reconnu, après un interrogatoire musclé le meurtre de la jeune femme Khadjetou Oumar Sow. Le meurtrier(ndlr Adama Ba) a montré aux enquêteurs le lieu où il avait jeté le corps.Il y a eu par la suite une deuxième enquête faite par la police et puis après la gendarmerie de Tiguent.

Ces différentes enquêtes ont révélé que Khadjetou Sow a été étranglée à l’aide de son foulard que son corps a été jeté dans un endroit situé à 2 km de Tiguent.Par la suite,le présumé meurtrier Adama Ba a été déposé en prison à Rosso.On s’attendait à ce que le dossier soit complété avec l’incorporation de l’enquête préliminaire menée à Nouakchott par la police ainsi que celle des limiers et pandore de Tiguent.ça n’a pas été apparemment le cas.

On a tenu seulement compte de l’enquête faite par les magistrats et les policiers de Tiguent.On s’attendait aussi à ce qu’il y ait une instruction avant le jugement. Généralement, on procède de la sorte avant tout jugement. Les avocats devraient être également associés à toute instruction dont nous ignorons si elle a eu lieu ou si elle a été faite par le magistrat sans la présence des avocats.En tout cas cette affaire reste entourée de nombreuses zones d’ombres.

Le deuxième vice de forme que nous constatons est l’absence du juge titulaire seul habilité à programmer et organiser le procès. Il était en congé. Et en matière judiciaire seul le juge titulaire est habilité à programmer un procès surtout de ce genre. Quand nous sollicitons la programmation, au profit des victimes (de viol et de mariage précoce) à Rosso et même à Nouakchott, on nous a toujours fait savoir que tant que le juge titulaire n’est pas présent, on ne peut pas programmer les procès.

Or le procès de Rosso a été organisé par des gens venus de Nouakchott procédant à un jugement hâtif .ça nous parait ne peut être clair .Le troisième aspect qui me parait très douteux : Quand il y a meurtre ,lors de l’ enquête préliminaire, on doit prélever les empreintes du meurtrier sur le foulard de la jeune femme avec lequel elle a été étranglée.ça n’a pas été effectué, ni même présentée .Et même si ça été fait, on a dû le garder ailleurs. Il y a les « jal jali »(perles portées par les femmes autour de leurs reins) de feu Khadjetou qui peuvent contenir des empreintes du meurtrier. La même chose pour ses bracelets. Ce sont des éléments matériels qui ont été ignorés durant le procès.

Autre anomalie : Je n’ai jamais vu de par mon expérience dans les dédales de la justice un véhicule qui a servi au transport du corps d’une victime ne peut pas être immobilisé .Ça laisse un énorme point d’interrogation. D’autre part, le jour du procès, le meurtrier déclare avoir retiré auprès de l’agence Société générale de Rosso, un montant de 500.000 MRO pour donner à Khadjetou Oumar Sow pour les besoins de sa grand-mère. Ce fait n’a pas attiré l’attention ni du procureur de la République, ni du président du tribunal .Normalement, on aurait dû suspendre l’audience et vérifier cette information auprès de l’agence.

C’est étrange qu’aucune vérification n’a été faite. Lorsqu’il a tenté de citer les noms de deux individus, il est stoppé net par le juge qui lui intima l’ordre de se taire.Pourquoi le juge n’a pas laissé Adama développer le fond de sa pensée ?Pourquoi l’évocation de ces gens est-il tabou ? Aussi,le jugement s’est effectué sans la présence des autres acteurs incriminés au départ par le meurtrier.Ils avaient été interrogés lors de l’enquête préliminaire à Nouakchott.

Le procès était pour moi une mascarade. On n’a pas donné l’opportunité aux avocats de plaider donnant l’impression que tout a orchestrée d’avance. A plusieurs reprises, le président de la Cour a enjoint aux différentes parties d’être court dans leurs interventions. Il n’a pas cessé d’interrompre les intervenants. Aussi, le comportement du président de la Cour ne m’a pas plu. Avant le prononcé du verdict, il a sermonné le père de la défunte coupable à ses yeux d’avoir failli à ses responsabilités parentales…Il lui a fait porter le chapeau de sa mort. Ce n’est pas de son ressort d’agir ainsi.

Il a atteint le père de la victime dans son honneur en le blessant de nouveau. Ce n’était pas son rôle. La deuxième remarque, il proposa trois alternatives au père de la victime soit le pardon sans compensation, un pardon assorti de la diya(prix du sang) ou le refus du pardon. Il s’attarda longuement sur la deuxième alternative rappelant de nombreux versets coraniques.

Ce qui laissait entendre qu’il souhaitait coûte que coûte que le père de Khadjetou pardonne le meurtrier. Ce n’était pas son rôle(du président de la Cour criminelle) de tenter de convaincre le père de la victime.Ce dernier est resté intransigeant en dépit de la douleur atroce d’avoir perdu sa fille, d’avoir été atteint dans son honneur par les propos du juge.

En somme, ça n’avait pas l’air d’un procès.Tout était organisé d’avance. J’étais à Rosso,en compagnie de Lalla Aiché Ouédraogo ( ndlr présidente du CSVIDH) et de Me Fatimata M’Baye. Nos avocats n’étaient pas aussi au courant de la tenue du procès.(…).Nous ne savons pas pourquoi ?Ni d’ailleurs nous-mêmes. Toutefois, nous nous sommes rendus d’urgence à Rosso. Mme Lalla Aiché se chargera de son coté d’aviser les parents de la victime.

Grosso modo,c’est une mascarade faite pour sauver ou cacher quelque chose.Au final, Adama Ba a été condamné à la peine de mort.Certes,en Mauritanie, la peine de mort n’est pas appliquée. ça sera la perpétuité.

Autre constat : l’assassin n’était pas dérangé outre mesure. Il était audacieux, sans aucun gène et sans peur .On dirait qu’il bénéficie d’une protection et d’assurance ferme qu’il sortira au bout de quelques années. Il n’avait pas l’air de quelqu’un qui a tué de sang-froid une personne. De par notre expérience nous savons que les auteurs de crime sont toujours dérangés psychologiquement. Ce n’était pas le cas du meurtrier de Khadjetou Sow.

Pensez-vous qu’avec le prononcé de cette peine capitale, la famille de la défunte Khadjetou Oumar Sow peut désormais faire le deuil, en dépit de la mascarade judiciaire?

Deux constats sont à noter durant ce procès. Il y avait quelqu’un qui était constamment en communication qui sortait et revenait dans la salle. Cet individu est de tout temps avec les parents de la défunte. Il suit cette affaire à la minute près et effectue des comptes rendus pour des personnes que nous ignorons.

C’est étrange !!!Second constat, les parents de la défunte sont perplexes. Il y avait, selon eux, d’autres éléments qui ont disparu durant ce procès. Bizarrement, le dossier ne contient qu’une seule accusation.Et un seul accusé se retrouve dans le box.Ils ont dû se résoudre à accepter cette affaire de la sorte malgré les doutes et les interrogations qui planent sur ce dossier.

Pour eux rien n’est clair même s’ils acceptent la sentence qui a été rendue. Ils n’ont rien compris à la tournure prise par cette affaire surtout les femmes qui ont assisté aux interrogatoires préliminaires à Nouakchott.

Les effets personnels de la défunte n’ont pas été rendus à sa famille. Peut-être qu’il y a une crainte qu’il pourrait y avoir de prélèvements .J’ai du mal à comprendre l’absence au procès de gens cités lors de l’enquête préliminaire, sans oublier le nom immobilisation du véhicule qui avait transporté le corps de la victime. Il y avait un des téléphones de la victime que la police n’a pas jugé nécessaire d’examiner.

Ce procès à la hâte est incompréhensible. Il y a des meurtriers qui font 20 ans de détention sans être jugé. Des fois, des auteurs de viols ne sont même pas jugés. Et là, on se précipité à organiser un procès d’une manière qui transgresse toutes les règles judiciaires. Nos avocats n’ont pas été informés de la tenue du procès (…)Et au final, ce sont eux qui ont plaidé.Et dire que le procès a failli se dérouler sans leur présence. Me Fatimata M’Baye a refusé de plaider dans un dossier qu’elle ignorait. Un seul des deux avocats de la famille de la défunte a plaidé. Ça montre clairement qu’il n’y avait rien de sérieux. C’est mon opinion personnelle. L’enquête n’était pas suffisante.

La façon dont s’est tenu le procès laisse planer beaucoup de doutes. Maintenant, c’est aux parents de la victime de décider. Ils n’ont pas pu entrer en possession du dossier.C’est un crime odieux qui a été commis dans des circonstances non élucidées par la justice. Ce pauvre monsieur ( ndlr Adama Ba) va endosser la seule la responsabilité.

Paradoxalement, la justice a condamné, dans un verdict jugé trop ‘’clément’’ l’ex commandant de brigade de gendarmerie de Tweil à deux ans de prison assortie d’une amende de 300.000 MRO et émis un mandat d’arrêt contre suite à sa fuite après avoir bénéficié d’une liberté provisoire dans des circonstances jugées trop « obscures ». Quelle interprétation faites-vous de ce verdict ?

Cette affaire était top compliquée. Il y a une certaine catégorie de personnes qui sont au-dessus de la loi en Mauritanie. Nous avons tout entrepris au début pour qu’il (l’ex commandant de brigade de gendarmerie de Tweil ndlr ) soit arrêté .Ce n’était pas une mince affaire.Nous avons dû faire de nombreuses pressions et de plaidoyer pour qu’il soit arrêté. Vous savez que(…) les corps habillés à l’intérieur sont coutumiers à ce genre de choses.

Donc ils viennent dans des zones où les gens ne connaissent pas leurs droits et devoirs pour perpétrer ce genre d’acte. Ce monsieur a commis des graves violations de droits de l’homme. Ce n’était apparemment pas sa première fois. Le corps de la gendarmerie est un corps judiciaire et respectable. Ce monsieur (l’ex commandant de brigade de gendarmerie de Tweil ndlr ) a fait travailler une mineure de 12 ans et a abusé d’elle, deuxième violation. Il a voulu quand elle est tombée enceinte, la faire avorter. Quatrième fait , il a tenté de corrompre la fille et sa famille en achetant leur silence à travers un versement de 100.000 MRO.

Il a ainsi profité de la pauvreté et de l’ignorance de cette famille dirigée par une femme divorcée descendante d’esclaves élevant des petits enfants .Par la suite, Il a arrêté des jeunes et les a contraint à avouer un crime qu’ils n’avaient pas commis. Ils ont été séquestrés 24 heures à la brigade,en compagnie de la fille victime ,de sa mère et de son oncle.

Fortement mobilisées, les familles des jeunes ont rejeté en bloc cette accusation évitant ainsi une catastrophe. Une enquête transparente a été menée pour la première fois dans le pays. L’ex commandant de brigade de gendarmerie de Tweil a été inculpé par le procureur de la République du Hodh el Gharbi que je félicite au passage.Il a été auditionné en présence de notre avocat avant d’être déposé en prison avant son jugement.

Deux mois après, il dépose par le biais de son avocat une liberté provisoire rejetée par le procureur de la République du Hodh el Gharbi.Le recours intenté auprès du procureur de la Cour Suprême par son avocat à Kiffa subit le même sort.

Le lendemain de ce rejet, son cousin procureur à la Cour Suprême Mohamed El Ghaith lui accorda la liberté provisoire assortie d’une caution de 400.000 MRO sans informer le président de la Cour Suprême, ni même le procureur général auprès de la Cour Suprême qui devait être informé. En apprenant cette décision, j’ai vivement protesté auprès du procureur général qui a été mis devant le fait accompli.Finalement, le mis en cause a été finalement jugé sans sa présence malgré l’injonction du procureur général.(…)Il est finalement condamné à deux ans de prison ferme.

C’est une peine insignifiante du reste mais elle vaut mieux que rien.Il y a des violeurs qui traînent ici sans être jugés. Nous avons estimé également que 300 000 MRO est insignifiante au titre de réparation. C’est pourquoi nous avons déposé un recours. Parallèlement à ça, une requête d’arrestation a été déposée à son encontre. Nous nous sommes donné un délai de quinze jours à cet effet.En définitive, nous ne sommes pas satisfaites de cette sentence. Nous sommes inquiètes de ce genre de comportements de juges qui agissent en fonction d’intérêts tribaux.

Et ce n’est pas sa première fois que ce procureur (ndlr Mohamed Ghaith) agisse ainsi. A l’image du dossier d’un mineur devenu majeur condamné à mort par ce monsieur sans avoir commis de crime. Il était témoin d’un crime.Du jamais vu !!!L’enfant est devenu fou. Nous dénonçons le tribalisme au sein de la justice.

Nous sommes dans une ère de démocratie et de l’Etat de droit .Il est important de dépasser ces considérations tribales et communautaristes. Nous condamnons ce genre de pratiques. La justice doit être pour tout le monde. Chacun doit avoir le droit d’accéder à la justice et être jugé de manière équitable. On craint que ait pu bénéficier de complicité et quitté le pays. Ce n’est pas juste !!!

Propos recueillis par Saydou Nourou T.

Source: L’EVEIL Hebdo

Source : Tawary (Mauritanie)