À en croire ces documents, images et audios, les ressources du pays ont été véritablement pillées. Un ex-ministre jugé très proche d’Ould Abdel Aziz et qui réclamait un troisième mandat ne comprit que « trop tard », a-t-il dit, l’étendue des dégâts.
Coupable donc. Car, comment un membre très écouté, supposait-on, du gouvernement n’a-t-il eu le moindre flair de ce qui se tramait dans les différents cabinets ? En tous les cas, ce que peut-être la grande majorité des Mauritaniens en sont seulement à découvrir aujourd’hui interpelle et interroge.
Comment l’ex-Président a-t-il pu accumuler une telle colossale fortune sans qu’aucun des ministres ou chefs de corps n’ait découvert le pot aux roses; sans qu’aucun lanceur d’alerte n’ait pu aviser l’opinion ? L’ancien sénateur Ould Ghadda eut certes le mérite de tirer la sonnette d’alarme sur le supposé parc de l’association Rahma, demandant, avec Youssouf Sylla, son homologue sénateur de Kaédi, une enquête sur le patrimoine qui y était parqué. On sait ce qu’ils ont essuyé de foudres de l’ancien régime.
De véritables nids de corruption
Tous les laudateurs et autres colporteurs d’hier sont tombés à bras raccourcis sur les onze années de gestion d’Ould Abdel Aziz, depuis qu’il a perdu la bataille du troisième mandat puis celle de l’UPR. Civils ou militaires, tous les hauts responsables avaient vénéré le tombeur de Sidioca, pourtant « premier président démocratiquement élu », comme on disait à l’époque.
De fait, Ould Abdel Aziz était surtout craint et redouté. Ce sont là, il faut le reconnaître, des attributs de chef mais aussi tares en ce qu’ils conduisent souvent à la mégalomanie, à la dictature et à la dérive, surtout quand ledit chef est entouré de faux dévots, opportunistes, laudateurs et, disons-le, truands de tous acabits.
De nombreux mauritaniens savaient qu’ils étaient gouvernés par des voleurs. Qualité et non défaut au pays du million de poètes ! Les signes ostentatoires sont légion ; on en voit tous les jours : des villas, palais et buildings poussent comme des champignons dans les quartiers cossus de Nouakchott et à l’intérieur du pays; de grosses cylindrées s’alignent en ces palais et autres bourses, comme en un salon de l’Automobile ; de grandes surfaces et autres commerces dignes de Doha au Qatar s’étirent pour l’approvisionner et équiper un étroit panel de bonnes dames du pays.
Le patrimoine pastoral de « l’élite » s’élève à des centaines de milliers de têtes de camelins et bovins, son complément foncier cultivable à des milliers, voire dizaines de milliers, d’hectares…
La presse a révélé que certains hauts responsables disposent de villas dans des capitales européennes et américaines. Et personne ne s’est interrogé sur la provenance de ces richesses ! Ces « acquisitions », sous Ould Taya, c’était routine, pour ne pas dire compétition, entre responsables et fonctionnaires, razziant ainsi le pays.
Aucun fonctionnaire de l’État ne pouvait et ne peut toujours y prétendre en aucune façon… à moins de voler son pays. Tout comme certains gros hommes d’affaires, s’ils n’ont pas bénéficié de marchés de complaisance ou de gré-à-gré… Le tâcheronnat est venu miner les grandes entreprises minières et pétrolières, réduisant le petit peuple à la misère, tandis qu’une infime minorité nage dans l’opulence.
Nous n’avons plus de classe intermédiaire. Deux Mauritanies : celle « d’en-haut-en-haut », et celle « d’en-bas-en-bas », comme dit Mamane dans sa chronique sur RFI ; se sont distinguées depuis le début des années 80.
Est-ce cette partition que prétendait détruire Ould Abdel Aziz, en se proclamant pourfendeur de la gabegie et président des pauvres ? Son discours séduisit et suscita un certain espoir chez beaucoup de mauritaniens.
Les premiers faits de guerre de l’homme sorti de l’ombre d’Ould Taya, dont il avait été l’aide de camp, poussèrent le peuple à lui faire confiance. Naïveté ou versatilité ? L’appui d’hommes d’affaires et de divers partis politiques, même de l’opposition, a pleinement joué en sa faveur.
Ils ont presque tous déchanté, ne tardant pas à épingler sa gestion : la gabegie n’avait fait, selon eux, que changer de mains. Entendez : celles du Président et de son clan. Une nouvelle classe d’hommes d’affaires poussa rapidement, s’accaparant tous les leviers économiques, remportant presque tous les marchés, avec, à la clef, de grosses commissions.
La presse libre fit régulièrement état de marchés de gré-à-gré au profit de proches du pouvoir… Les gros chantiers d’infrastructures routières, électricité, prospection minière et gazière se sont vite révélés de véritables nids de corruption. Et Ould Abdel Aziz ne réussit d’autant moins à reprendre la main, dépassé semble-t-il par les évènements, qu’il n’écoutait quasiment personne.
Ses détracteurs fustigeront chez lui une maladive boulimie pour l’argent et les biens de ce monde. Et d’exhiber pour « preuves » des photos de parcs d’automobiles censées appartenir à l’ex-Président et estimées à des milliards d’ouguiyas. Certains ont même retrouvé des images de la TVM illustrant l’arrivée par avion d’animaux rares en provenance d’Afrique du Sud pour le parc d’Awleigatt (Trarza).
C’est dire que ceux qui soutenaient hier sans discernement Ould Abdel Aziz ont décidé d’en finir avec lui. Un acteur politique enfonce le clou en déclarant: « nous ne permettrons pas à l’ancien Président de nous combattre avec les biens des Mauritaniens ! ».
Et un autre de renchérir : « Il faut qu’Ould Abdel Aziz ait le courage de s’expliquer devant la justice pour les manquements qu’il a commis ». Autre temps, autre mœurs…
En attendant que la justice démêle les composantes de ce grand puzzle de la prétendue lutte contre la gabegie, lave l’ex-Président de tout soupçon ou le sanctionne pour sa gestion, il ne serait pas exagéré d’affirmer que nous sommes tous coupables et complices.
Certains pour s’être tus, alors que le régime de Aziz dérivait déjà : ils constataient, tous les jours, les pillages des ressources de leur pays mais ne bronchèrent pas, soit qu’ils avaient peur pour leur poste, soit tiraient quelque bénéfice de la gazra ; et préférant, dans tous les cas laisser-faire, exécutant à l’occasion quelque bas-ordre, plutôt que démissionner. Ce faisant, tous ont choisi leur camp et donc trahi leur pays : ils doivent en répondre.
Le président Ghazwani et ceux qui le soutiennent aujourd’hui doivent tirer toutes les conséquences de la dérive du régime d’Ould Abdel Aziz et assumer pleinement leurs responsabilités. Obligation leur est donc faite de laisser la justice agir, en toute indépendance et transparence, appliquer rigoureusement les décisions qu’elle prendra contre les présumés gabegistes cités dans le rapport de la CEP.
Il y va de la crédibilité du nouveau pouvoir. Il s’est certes débarrassé de certains présumés coupables de détournements ou de complicité de détournement mais doit aller jusqu’au bout. Les Mauritaniens ont hâte de connaître la vérité, toute la vérité: Avec cet espoir, aujourd’hui grand, de retrouver leurs biens pillés.
Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)