Mohamed Yahya Ould Cire: Ancien diplomate, initiatuer du mouvement EL HORR, President de AHME (Europe) a coeur ouvert:
» … Les haratine sont noirs, je suis négro-africain et à ce titre je revendique ma négritude. « Arabe-noir » n’a aucun sens parce qu’il n’y a pas d’arabe noir. Sociologiquement, il n’y a pas d’arabe noir, il y a des arabes qui ont réduit des noirs à l’esclavage et, à ce titre, ils les ont acculturés. Ce sont donc des Noirs esclaves dans une communauté arabe donnée. Le fait de vouloir faire des Haratine des arabes est un prolongement de l’esclavage. Il s’agit d’une nouvelle idéologie pour les maintenir sous le joug des Maures….
Les FLAM mènent un combat juste et elles doivent poursuivre ce combat jusquà atteindre leur but. En tout cas le combat extérieur est important car il destabilise le régime en place. L’indicateur, le plus probant, est l’intérêt que porte le chef de l’Etat à l’activité des FLAM. »
Mohamed Yahya Ould Ciré, Président de l’Association des Haratine Mauritaniens en Europe a accepté de se livrer à coeur ouvert aux mauritaniens par le biais de Flamnet. Cet homme a occupé plusieurs postes dans la diplomatie mauritanienne. Réfugié en France depuis 5 ans pour son refus de servir d’esclave administratif au système raciste et esclavagiste dirigé par Ould Taya. Ce fondateur d´El Hor, a crée aujourd’hui son Association qui est en totale rupture idéologique avec les organisations et associations mauritaniennes anti-esclavagistes.
Dans cette interview fleuve, il définit pour nous l’esclavage en Mauritanie dans toutes ces acceptions qu’il va caractériser, il se positionne par rapport á la question « Quelle identité pour les Haratine? » Il traite également du rôle des Organisations et Associations mauritaniennes anti-esclavagistes, des dissensions qui existent entre l’AHME et ces organisations, entre lui et ses anciens camarades de lutte, Boydiel, Ould Boulkheir « l´arabe-noir », Boubacar Ould Messaoud. Il fustige et accuse certains hommes du microcosme politico- droit de l’hommiste mauritanien.
Outre, c’est à coeur ouvert que notre diplomate trés peu porté au discours diplomatique nous parle des difficultés rencontrées dans sa longue carrière diplomatique, difficultés liées à sa condition sociale de Hartani.
Cette interview avec l’aîné Mohamed Yahya Ould Ciré sera un des événements majeurs de la littérature politique en Mauritanie.
Entretien….
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Flamnet: Bonjour Frére, Comme il convient de faire avec tous ceux que nous avons reçu sur Flamnet, Vous voulez vous présenter à nos lecteurs ?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: Je suis un ancien diplomate mauritanien. J’ai obtenu mon certificat d’études primaires en arabe et en français en 1965 à Tékane ( région du Trarza, département de R’Kiz), mon brevet franco-arabe en 1971, au lycée de Rosso ; mon baccalauréat série lettres modernes (en français) en 1974, au lycée de Nouakchott ; mon diplôme de l’ENA de Mauritanie en 1976 (section diplomatie) ; mon DEA de sciences politques en 1985 (Paris II,).
J’ai servi au Ministère des Affaires Etrangères de 1976 à 1979. Puis de 1979 à 1980, j’ai accompli les fonctions de conseiller à l’Ambassade de Mauritanie de Kinshasa(Zaïre). De 1980 à 1986, je fus conseiller à l’Ambassade de Mauritanie à Paris. De 1986 à 1992, j’ai travaillé comme Consul première classe au Consulat général de Mauritanie à Paris. De 1992 à 1998, j’ai rempli la fonction de Consul général de Mauritanie en Guinée Bissau. En ce qui concerne mes activités militantes, je suis un acteur dans la lutte de libération des Haratine et Président de l’Association des Haratine de Mauritanie en Europe (AHME).
Flamnet : C’est quoi l’AHME ?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: L’Association des Haratine de Mauritanie en Europe (AHME) est née le 11 aout 2001. L’objectif de l’association est l’abolition de l’esclavage en Mauritanie- Eradication du phénomène dans toutes ses manifestations- La libération et l’Emancipation des Haratine (victimes de l’esclavage en Mauritanie)-Dénonciation des pratiques esclavagistes et de la complicité de l’Etat mauritanien- Informer et sensibiliser l’opinion publique européenne, africaine et internationale.
Le mot haratine signifie affranchis. Le singulier du mot haratine est hartani. L’usage de la notion est impropre car, dans la réalité, les esclaves ne sont pas affranchis. Il s’agit d’un idéal vers lequel nous tendons. Pour plus de détail sur la notion de haratine, nous vous renvoyons à notre journal, Le Cri du Hartani n°7 et 8 que vous pouvez aussi trouver sur le site de AHME : www. Haratine.com ou www.haratine-esclavage.org.
Flamnet: Qu’est-ce que l’esclavage? Parlez nous de la lecture que vous en avez, peut-on vraiment parler de l’existence de l’esclavage en Mauritanie à l’orée de ce 21 éme siècle? A Nouakchott, le régime parle pourtant de séquelles et évoque même la loi d’abolition du CMSN, mieux on nomme un Hartani comme premier ministre? Que dites-vous?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: En Mauritanie, l’esclavage est un système qui prive l’être humain de ses droits juridiques, politiques, économiques etc. Ainsi l’esclave est un « homme » réduit à un objet, à un animal à la disposition de son propriétaire ou de son maître. L’esclave peut être vendu, loué, échangé ou donné. Il travaille sans être payé. Il n’a aucun droit sur ses propres enfants. Il ne peut se marier sans le consentement de son maître.
Juridiquement, l’esclavage peut être défini comme suit : « En Mauritanie ou ailleurs : l’esclavage est d’abord le droit d’user, de disposer et parfois d’abuser d’une personne qui n’est pas libre dans l’expression de sa volonté.
A la différence de la formule contractuelle dans laquelle l’expression des consentements et la rencontre des volontés créent l’obligation juridique, il sagit d’un engagement dicté, par le rapport de forces historique et matériel couvert par l’idéologie traditionnelle, légitimé par la mentalité dominante et toléré par les autorités de l’Etat. » Cf Rapport SOS esclaves 1996, ONG mauritanienne : Qu’est-ce que l’esclavage en Mauritanie? P 2.
L’esclavage demeure en Mauritanie et comme le disait Abraham Lincoln, « si l’esclavage n’est pas mauvais, rien au monde n’est mauvais.» L’esclavage existe encore bel et bien en Mauritanie. Il y a, en réalité, plusieurs formes de manifestation de cet esclavage.
– L’esclavage traditionnel: Il consiste à faire les travaux de la maison la cuisine, le linge, le nettoyage de la maison, la recherche de l’eau, la garde du troupeau , la traite des vaches des chamelles, des chèvres, des brebis, Il consiste aussi à cultiver les champs, piler le mil, le sorgho, conduire les caravanes. Voilà un exemple de la condition de vie d’un esclave, aujourd’hui encore en Mauritanie. « Soueïlim travaille neuf mois pour Mohamed Ould Heïmâd. Il assurait le gardiennage du troupeau ( une quarantaine d’ovins et de caprins), la traite des animaux, le ramassage du bois, la corvée d’eau, le pilage du grain et la préparation des repas. Il travaillait sans relâche ne disposant que de quelques heures de repos par jour. Sa nourriture consistait en fonds de marmite; il n’avait pas droit au lait des animaux qu’il gardait et recevait rarement un verre de thé. On lui donnait pour se vêtir un petit boubou en tergal tous les cinq moins, tantôt neuf et, tantôt usager et une fois l’an, un pantalon ayant déjà servi ; il n’avait ni chaussures ni couverture pour se protéger du froid. Lorsqu’il tombait malade, il ne recevait aucun soin mais était accusé de fénéantise. Il n’avait ni tente, ni case, ni natte et se couchait au pied d’un arbre entouré de branchages. Quand la nuit tombait, il s’abritait chez des voisins ou sous des arbustes. Il n’a reçu aucune éducation. Enfant, Soueïlim était souvent battu ; devenu grand il était surveillé de près par ses maîtres : Pas de loisirs, insultes et reprimandes de rigueur. Les maîtres se sont opposés à son mariage. Hors la fuite, il n’avait aucune perspective de libération.>>(Messaoud Boubacar « L’ esclavage en Mauritanie : de l’idéologie du silence à la mise en question, in journal des africanistes Tome 70-fasc1-2 Edition Société des Africanistes 2001 p 311-312)
La vente des esclaves continue encore. « Quant à ceux qui sont restés avec leur maître, rien n’a changé. Absolument rien. Ce sont ceux-là qu’on loue, qu’on vend qu’on donne. » (Interview de Messaoud Ould Boulkheir par Antoinette Delafin in l’Autre Afrique du 6 aout au 2 septembre 1998) Nous rappelons que le texte d’abolition de l’esclavage date de 1981. Au moins, 17 ans après, les pratiques anciennes se sont perpétuées et continuent encore de nos jours.
– L’esclavage administratif est celui pratiqué au sein de l’administration, il revêt deux aspects.
1/l’utilisation du hartani dans l’administration publique. Le hartani, dans ce cas, quelque soit ses compétences et sa position hièrarchique, doit être au service du maure ( arabe ou berbère). Il demeure le bon esclave (abd) « le bon négre ». Ceci est d’autant plus grave qu’il s’agit du domaine du non dit.
2/ Le recrutement des esclaves par leurs maîtres dans l’administration en vue d’un profit. Grâce au maître, l’esclave est recruté au sein de l’administration. Dans un premier cas, le salaire revient, entièrement, au maître et dans un second, l’esclave et le maître se partagent le salaire.
L’esclavage moderne : Il sagit d’une utilisation des haratine, dans les villes, par tous les maures qui le souhaitent. Les esclavagistes habitent les villes peuvent prendre leurs esclaves pour chauffeur ou pour travailler dans leurs entreprises sans être payés.
Le second aspect touche tous les Noirs. Certains maures font travailler des Noirs et refusent de les payer et si la victime portait plainte on l’amène à la police où elle est battue puis mise en prison. J’ai, personnellement, en tête un exemple criant de l’esclavage moderne en 1993.
En tant que Consul général de Mauritanie, en Guinée Bissau, j’ai accompagné en 1993 le ministre bissau-guinéen de la défense, Monsieur Samba Lamine Mané qui était porteur d’un message de son Président au chef de l’Etat mauritanien, Ould Taya. Au cours du deuxième jour de son séjour, il a souhaité rencontrer la communauté bissau-guinéenne à Nouakchott. Il a pu renconter 181 membres de sa communauté grâce à la direction de la sûreté. Les plaintes des ressortissants portaient sur le fait qu’ils travaillaient sans être payé. Soixante (60) cas, de ce type, ont été recensés au cours de cette réunion. Le Ministère des Afffaires Etrangères a été saisi du problème et le ministre de la défense aussi. Une bonne partie de ces plaintes concerne des officiers militaires, des cadres de l’administration publique et des commerçants.
Aucun cas n’a été réglé. En 1994, à partir de Bissau, j’ai téléphoné pour connaître la suite donnée à cette question, Khattry Ould Jiddou( sécrétaire général du minitère des affaires étangères) m’a répondu que je n’étais pas le Consul Général de Guinée Bissau. Autrement dit, ce n’était pas à moi de m’en occuper mais cette tâche revenait aux diplomates de Guinée Bissau .
– L’esclavage politique consiste à l’utilisation des voix haratine dans les élections. N’ayant pas de droit de vote, parce que sans personnalité juridique, l’esclave n’a pas droit au vote. Cependant, il peut voter sous l’ordre de son maître et à son profit. Dans ce cas son vote est pris en considération. Ainsi les maîtres d’esclaves monnaient le vote de leur escalves auprès du parti au pouvoir ou de l’opposition. Tous les partis politiques, d’aujourd’hui, cherchent une clientèle haratine sans que leur programme ne contienne des mesures visant l’éradication de l’esclavage. Ils font voter des Haratine comme le font les esclavagistes traditionnels. Il s’agit d’une nouvelle utilisation de l’esclave dans des institutions modernes.
– Le néo-esclavage. Il arrive que l’esclave achète sa liberté auprès du maître et à cette fin, il peut s’endetter et cette dette peut durer sa vie entière ainsi que celle de sa progéniture. Le maître d’esclave peut devenir pauvre et libèrer, à cette occasion, son esclave afin de l’exploiter de façon indirecte. L’esclave ainsi affranchi donne au maître une redevance à vie. Certains maîtres affranchissent leurs esclaves selon la loi islamique. En signe de reconnaissance, l’esclave continue à servir son ancien maître. Les avantages de ce type de pratiques résident dans le fait que les maîtres n’entretiennent et ne surveillent plus leurs anciens esclaves et continuent à profiter d’eux.
En ce qui concerne la thèse des séquelles, d’abord l’ordonnance n° 81234 du 9 novembre 1981 n’a pas été appliquée. Aucun décret, aucune circulaire n’a été édicté en vue de son application. La commission nationale ( Art 3 de l’ordonnance) qui était chargée du suivi ne s’est jamais réunie. Cette même commission est composée, entre autres, d’oulémas qui sont, dans cette affaire, juges et parties, parce que détenteurs eux-mêmes d’esclaves. D’autre part, l’esprit du texte même pose problème puisque cette abolition « donnera lieu à une compensation au profit des ayant droit. », Art 2. Je précise que les ayants droit sont les maîtres d’esclaves.
Quant à la nomination de Sghair Ould M’bareck, il s’agit d’un camoufflage politique, en ce sens qu’elle ne change rien aux données relatives à la conditon des esclaves. Si la volonté politique était réellement de lutter contre l’esclavage, il aurait fallu défénir un programme à cet effet, le porter à la connaissance du public et s’engager à l’appliquer. A partir de là, on peut nommer un hartani ou non pour son application. En plus, cette nommination peut servir de prétexte pour dire que les Haratine sont des citoyens comme les autres qui peuvent accéder au pouvoir. Alors qu’en réalité le rôle du premier ministre, dans un pays comme la Mauritanie, n’est que de façade. Le vrai pouvoir revient à Ould Taya et à son entourage.
Enfin, Sghair ould M’bareck est connu des Haratine pour avoir été à l’origine de la première scission au sein d’EL HOR ( Organisation de Libération et d’Emancipation des Haratine) en 1986, sur incitation de l’actuel pouvoir. Je rappelle que cette division a eu lieu, juste, après la parution du Manifeste du négro-mauritanien opprimé. En effet, c’était en réaction à cette parution que ce premier éclatement a été suscité. La nouvelle tendance ainsi créée a été appelée El Hor authentique, laquelle authenticité voulait dire l’arabité des Haratine. Or pour moi, les Haratine ne sont pas des Arabes.
Sghair a eu une longévité ministérielle, jamais égalée ( Ministre de l’éducation, Ministre de la justice, etc.). Dans les ministères qu’il a eu à occuper, il n’a jamais nommé des cadres Haratine dans son département ministériel. Cela aurait, au moins, prouvé son courage politique et sa volonté de contribuer à la cause haratine. Depuis sa nommination, comme premier ministre, il s’est défait de tous les cadres haratine nommés avant lui. La thèse des séquelles trouve en Sghair un bon serviteur (bon esclave) puisqu’elle vise à cacher une réalité par des artifices. L’esclavage existe bel et bien encore aujourd’hui. « l’esclavage existe toujours. Il est vécu de la même manière que par le passé et tire sa source de l’Islam, dans un pays à 100% musulman. »
Si nous acceptons la thèse des séquelles de l’esclavage, défendue par l’Etat, pourquoi refuser de reconnaître Sos esclaves, pourquoi dissoudre le parti Action pour le Changemnt (A.C.) et refuser Le parti Convention pour le Changemnt (C.C.), dès sa création ? Si la thèse du régime était juste, il aurait acepté ces organisations, car ces structures auraient pu aider à la lutte contre les prétendus séquelles de l’esclavage prônées par le pouvoir. La thèse des séquelles de l’esclavage sert à empêcher les Haratine de prendre en charge leurs problèmes et de lutter, efficacement, contre l’esclavage. Le pouvoir n’acceptera jamais une organisation politique ou associative ayant à sa tête un hartani intègre (miltant, d’une manière conséquente, pour la libération des Haratine) .
Flamnet: Comment vous définissez-vous « arabe-noir », comme le revendique Messaoud Ould Boulkheir, arabe tout court, Négro-africain, Hartani?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: Je me définis comme Hartani, de père et de mère haratine. J’en tire une fierté. Je revendique, donc entièrement cette haratinité. Cf « Le Cri du Hartani » n° 7et 8 ou le site. Puisque les haratine sont noirs, je suis négro-africain et à ce titre je revendique ma négritude. « Arabe-noir » n’a aucun sens parce qu’il n’y a pas d’arabe noir. Sociologiquement, il n’y a pas d’arabe noir, il y a des arabes qui ont réduit des noirs à l’esclavage et, à ce titre, ils les ont acculturés. Ce sont donc des Noirs esclaves dans une communauté arabe donnée. Les Haratine sont un exemple dans la communauté arabo-berbère de Mauritanie. Je préfère le mot soudane au mot maure noir parce que soudane renvoie à une réalité historique et sociologique. Les premiers arabes qui sont entrés en contact avec les Africains les ont appelé soudane parce qu’ils sont noirs. C’est pourquoi le Soudan actuel a été appelé Soudan. Or, c’est à partir du Soudan que les Arabes ont créé l’une des premières routes de la traite négrière transsaharienne. L’Egypte a joué un rôle important dans cette déportation des esclaves.
L’ancien Soudan français, Mali actuel, a été un foyer de la traite transsaharienne. Le Maroc a joué aussi, dans ce domaine, un rôle considérable. Le mot Soudane venant des arabes convient mieux aux esclaves arabes puisqu’il rappelle un contact et une réduction à l’esclavage. J’écarte le mot soudane, dans ce contexte, parce qu’il ne permet pas de faire la différence entre les noirs réduits à l’esclavage maure et les autres. Un Hartani qualifié d’arabe n’a aucun sens puisqu’aucune tribu arabe, aucun pouvoir, aucun Etat arabe n’a réduit des arabes à l’esclavage, au moins depuis la naissance de l’Islam.
L’élément culturel, en soi, ne suffit pas à determiner l’arabité des haratine.( Cf Cri du hartani n°4). Puisque les Haratine sont, en Mauritanie, avec d’autres noirs, pour les différencier, tous ceux parmi eux qui ne sont pas victimes de l’esclavage arabo-berbère, nous les désignerons sous le vocable de négro-africains. Quant au mot Haratine, il est spécifique aux victimes de l’esclavage maure ayant leur identité propre à cause de leur histoire particulière et leur situation actuelle. Les autres négro-africains ne sont pas victimes de cette forme d’esclavage, mais plutôt d’un racisme des populations maures et d’Etat.
Le fait que les Haratine ne revendiquent pas leur origine entraîne un complexe d’infériorité, toujours exploitable en leur détriment. Tous les mouvements noirs, anti-esclavagistes, qui ont lutté pour leur libération, qu’il s’agisse des Noirs américains, des Colombiens, ont revendiqué leur origine noire car celle-ci est partie intégrante de leur personnalité. Le fait de vouloir faire des Haratine des arabes est un prolongement de l’esclavage. Il s’agit d’une nouvelle idéologie pour les maintenir sous le joug des Maures.
Flamnet: Dans le numéro 1 de votre journal « LE CRI DU HARTANI » vous faites référence au poéme du poète Hartani Mohamed Deyo qui disait » Si j’ai traversé la terre de Rome c’est parce que je veux me séparer des arabes. Je ne suis pas les chiens qui n’apprécient que ceux qui les étranglent. Quel message voulez-vous lancer par ce cri, voulez-vous vous séparer des arabes vous aussi et pourquoi. Pensez-vous que les arabes sont par nature esclavagistes.
MOHAMED YAHYA CIRÉ: Dans ce poème, le premier vers s’adresse aux arabes. C’est un cri de colère contre l’arbitraire des tribus hassan qui dominaient la tribu haratine, Oulad Aïd, à laquelle appartiennent l’auteur et moi-même. Ce poème a été écrit suite à une révolte contre l’Emir du Trarza Ahmed Salem Ould Brahim Salim de la tribu Oulad Ahmed Mindemane, dans les années 1920. Une grande partie des Oulad Aïd s’est exilée, à cette occasion, au Sénégal, non loin du village de Bokhoul, situé à neuf kilomètres, environ, de Dagana. Elle voulait échapper à la domination arabe et se mettre sous la protection de l’administration coloniale française au Sénégal.
C’est une des premières, sinon la première révolte haratine en Mauritanie appeléé Scharr Bedenndi. Les dissidents sont restés cinq ans dans cette localité dénommée Bedenndi. C’est, seulement suite à un accord entre l’administration française et l’Emir, dans lequel la Horma (redevance imposée aux Haratine Oulad Aïd) fut supprimée. L’accord stipulait aussi la supression de toute relation de sujetion et que les terres culivables revenaient, désormais, suite à un contrat vente aux Oulad Aïd et non à l’Emir ou à sa tribu.
Le second vers s’adresse aux autres haratine Oulad Aïd qui ne se sont pas ralliés à la révolte et sont restés en Mauritanie. Ma propre famille en fait partie. L’auteur de ce texte critiquait leur attitude de soumission aux Arabes.
En ce qui concerne la deuxième partie de la question, je répondrais en disant que mon souci est la libération et l’émancipation des haratine. Personnellement, je pense que ces objectifs ne peuvent être atteints sans une une rupture totale et définitive avec le système féodal maure, soutenu par l’Etat. Je suis convaincu que sans une crise profonde engendrée par la lutte, les Haratine ne se libéreront pas. L’esclavage est très ancré dans la mentalité maure. Il est l’enjeu de grands interêts économiques sociaux et culturels. Les Maures ne renonceront à leurs intérêts que contraints et forcés. Aucun peuple n’est par essence esclavagiste. Seulement, l’histoire humaine est faite de rapports de forces et les Maures ont bénéficié d’une situation dont ils ont profité et continuent de profiter. Il reste que la mentalité esclavagiste est, tellement, enracinée, qu’aujourd’hui, il faut, nécessairement, faire basculer les rapports de forces. Le problème n’est pas de se séparer mais de savoir comment nous pouvons ensemble, en tant que Mauritaniens, vivre dans des rapports égalitaires de droits.
Si se séparer siginifie rompre avec le tribalisme et l’allégeance aux Maures, je suis d’accord car on ne peut faire autrement pour se libérer. Les Haratine doivent constiuer un bloc, indépendant des Maures, pour défendre leurs intérêts. Si séparer veut dire séparation territoriale, alors je ne suis pas, pour le moment, dans cette optique.
Flamnet: Que dites-vous du racisme d’Etat qui frappe la communauté négro-africaine de Mauritanie avec les déportations, l’épuration et les assassinats en prison et dans la vallée? Et quelle propostion préconisez-vous pour trouver une solution définitive à la fameuse question nationale et sociale en Mauritanie?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: Il y a, en Mauritanie, un racisme d’Etat qui touche tous les Noirs, en général. Pour les négro-africains, il se matérialise par une discrimination raciale institutionnalisée qui touche notamment le partagre du pouvoir, l’occupation des terres et la reconnaissance de leur identité culturelle.
De 1989 à 1992, il y a eu une épuration ethnique des déportations, des charniers du fait de l’Etat et des nationalistes arabes. La solution consiste à un partage équitable du pouvoir politique, lequel doit déboucher sur un partage économique, social et culturel où tous les citoyens retrouveront leurs droits. D’une manière générale, le problème est celui de la refondation des bases de l’Etat où l’égalité des citoyens ne serait plus un vain mot. Mais cela ne se fera que lorsque le nouveau contrat sera la résultante de revendications de toutes les communautés. Pour arriver à ce nouveau contrat, beaucoup de questions préalables devraient être résolues, dont notamment la question de la composition démographique de la Mauritanie. Les Maures ne peuvent pas continuer à compter les haratine parmi eux.
Flamnet: Vous avez été un fonctionnaire du ministère mauritanien des affaires étrangères jusqu’à votre rappel en Mauritanie, c’était en quelle année déjà? Des suites d’un problème que vous avez «exposé sur la scène internationale. Voulez-vous revenir pour nos lecteurs sur les circonstances qui ont prévalu à votre rappel à Nouakchott et les raisons de votre exil en France?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: J’ai été rappelé en janvier 1998, suite à des rapports difficiles à la fois avec l’Etat et la communauté maure mauritanienne en Guinée Bissau. Dès mon arrivée, en tant que consul en 1992, j’ai trouvé que la résidence du consul général était occupé par une bonne cinquantaine de maures dont des diplomates et le personnel administratif local. Ceci avait été permis par mon prédecesseur, Monsieur Bilal Ould Werzeg, lui même d’origine haratine. Le premier problème était de sortir ces gens de cette résidence. Le consul premier classe et le comptable Ahmedou Ould Saleck refusaient de la quitter. Ceci est mon premier combat qui m’a crée des ennemis parmi les diplomates et les autres maures qui habitaient dans la résidence.
Deuxièment, j’ai trouvé que Bilal avait constitué un comité de réprésentants de la communauté mauritanienne en Guinée Bissau dont, au moins, une dizaine touchait des salaires. J’ai mis fin à cette situation. Ce qui n’a pas plus aux interessés. Ce comité était composé d’un representant par tribu. Tout ce monde a utilisé ses influences en Mauritanie pour salir mon image. Or, je croyais simplement rétablir une situation, en me basant sur les règles de l’admimistration. Du point juridique, rien ne m’obligeait à partager cette résidence, exclusivement destinée au Consul général. D’autre part, je ne voyais pas pourquoi je devais payer des commerçants maures pour représennter leur propre tribu auprès du consulat. Ces fonctions devaient être bénévoles.
Ensuite j’ai eu à traiter trois cas relatifs à l’esclavage. Deux, parmi eux, suite à des plaintes de la part de deux haratine qui ont travaillé pour leur maître d’esclaves sans être payés. Le premier a travaillé deux ans, le second quatre ans. J’ai instruit ces affaires. Après avoir vérifié que les interessés ont travaillé sans être payés, ce qui n’a pas été facile parce que les esclavagistes refusaient de reconnaître la relation de l’esclavage. J’ai ensuite demandé qu’on leur paie au salaire minimum interprofessionnel garanti ( SMIG) de Guinée-Bissau de l’ordre de trente mille (30.000) francs CFA pour le nombre de temps travaillé. Les intéressés m’ont ramené les sommes que j’ai remises aux plaignants.
Le troisième cas était un cas d’héritage. Il s’agissait d’un hartani de la tribu de Tinwajib. Après son décès, son maître est venu de Mauritanie pour recupérer l’héritage. J’ai demandé une procuration judiciaire pour dégager la responsabilté de mon administration. L’intéressé m’a dit qu’il n’a jamais entendu parler d’une procuration judiciaire. Je lui ai dit que la pièce était exigée par la loi. Il m’a amené une procuration signée par un greffier. Je lui ai dit que la procuration ne pouvait être signée que par le juge. Finalement, il est parti sans recupérer l’héritage. Une fois rentré en Mauritanie, il s’est plaint auprès du Ministère des Affaires Etrangères et de la Présidence d’où l’intervention de l’ancien sécrétaitre général du ministère des affaires étrangère qui me conseillait de remettre l’héritage au maître. Je lui ai demandé une lettre ou un fax, l’intéressé ne m’a jamais envoyé l’un ou l’autre. Je suis donc resté sur mes positions.
Quatrièmement, je veux aussi signaler le cas de Mohamed Mahmoud Ould Dih, propriétaire de deux pharmacies à Bissau qui s’était engagé dans un trafic de véhicules ( 4 x 4). Avant mon arrivée, il avait l’habitude de se faire délivrer des certificats de déménagement auprès du consulat. Ces certificats lui servaient à ne pas payer les frais de douanes en Mauritanie. Le certificat de déménagement est, en principe, établi pour les gens qui rentrent définitivement en Mauritanie, après avoir longtemps séjourné dans un pays donné. Normalement, ce certificat est délivré pour des biens déjà utilisés dans le pays d’accueil. Lorsque j’ai découvert ce trafic, j’ai interdit, dorénavant, de lui en établir. Pour se venger de moi, il s’est allié à certains anciens représentants de la communauté mauritanienne que j’avais refusé de rénumérer. Ce groupe a adressé une lettre au Ministère des Affaires Etrangères pour me dénigrer.
Cinquièmement, avant de rejoindre le consulat, en 1992, Kattry Ould Jiddou, toujours sécrétaire général du Ministère des Affaires Etrangères m’a parlé du cas de son cousin, Mohamed Fadel Ould Hamada. Ce dernier avait déjà été recruté au Consulat. Il m’a demandé de lui attribuer un salaire de 200.000 ouguiya soit 4000 francs français de l’époque pour qu’il puisse subvenir aux besoins de sa famille élargie restée en Mauritanie. Lors de ma prise de service, j’ai trouvé que l’intéressé n’était même pas présent au consulat. Renseignements pris, j’ ai découvert qu’il percevait un salaire de 1200 FF sans fournir un travail au sein du Consulat. Il vivait à Bafata, ville située à 150 Kilomètres de Bissau où réside une forte communauté mauritanienne composée, quasi-exclusivement, de membres de sa propre tribu qui est aussi celle du sécrétaire général Khattry, à savoir Laghlal.
En fait, son travail consistait à s’occuper des problèmes de sa propre tribu auprès de la douane, de la police et de l’administration en général. J’ai demandé à ce qu’il rentre rapidement à Bissau et j’ai exigé à ce qu’il y reste pour accomplir des fonctions administratives. Je lui ai attribué, six mois après, une augmentation de salaire de 200 FF, mais je n’ai pas accédé à la demande du sécrétaire général parce que la grille des salaires du personnel administratif local, ne permettaitt pas lui donner 4000FF et je ne voyais pas aussi la raison de le traîter avec faveur au détriment des autres membres du personnel. J’en ai rendu compte au sécrétaire général, en lui expliquant ma position. Il m’en a gardé une rancune perceptible dans ses agissements ultérieurs.
Sixièmement, en 1995 Mohamed Ould Mohamed Ali, ancien consul général de Mauritanie au Sénégal m’a demandé, au téléphone, d’aider Ahmedou Ould Saleck ( comptable du consulat de Bissau) pour préparer sa retraite car il était à cinq ans de sa retraite. Je lui demandé des éclaircissements. En réponse, il m’a dit qu’Ahmedou, après trente ans de carrière n’avait pas de maison et qu’il fallait l’aider à en avoir, avant sa retraite.
Je lui ai répondu que ce dernier avait son salaire et percevait des indemnités et que je n’avais rien d’autre à faire pour lui, en dehors des règles administratives. S’il voulait l’aider qu’il le prenne comme comptable. Un an après, il y a eu un détournement d’un montant 14 millions d’ouguiyas (environ 400.000 francs français) ce qui constituait, la moitié de notre budjet annuel. Ce détournement a été fait en Gambie et non en Guinée Bissau. L’argent a été envoyé de la Banque Centrale de Mauritanie à Nouakchott à la Banque Centrale de Gambie. Recupérée en dalasi ( monniae locale) la somme a été échangée en francs français au marché noir. Ainsi cette opération a permis à Ahmedou et Mohamed Ould Dah, cousin du Consul de Dakar d’avoir une plus-value de cinquante mille francs français qu’ils se sont partagés. Cette opération n’aurait jamais pu se faire sans l’intervention de Moulaye et Brahim Sow, Consul et comptable en Gambie.
Une semaine plus tard, Ahmedou arrive en Guinéée Bissau avec 200.000 francs français, les autres 200.000 ont servi à acheter des marchandises en Gambie, réexpédiées à Dakar pour être vendu.
Je signale ce détournement à Nouakchott. Six mois après, dans le cadre d’une inspection, un contrôleur des finances en la personne de Bâ Abdoul Houdou et un fonctionnaire des Affaires Etrangères en la personne de Bazeïd Ould Bowah arrivent pour une double inspection financière et adminitrative. Ce contrôle m’imputait une responsabilté de mauvaise gestion financière et administrative du Consulat de 1992 à 1998.
L’inspecteur financier, après une semaine de contrôle de dix ans de gestion (1988-1998), a arrêté son travail. Après avoir constaté la responsabilté comptable d’Ahmedou dans la mauvaise gestion, l’inspecteur s’est rendu à Dakar, malgré mon oppostion, et ce pour rencontrer le Consul général, Mohamed Ould Mohamed Ali. Le résultat de leur rencontre est que Bâ Houdou a reçu 6500000 francs CFA et il est revenu continuer son « contrôle ».
Je le lui ai remis un ordre afin qu’il se rende à Ingor, ville située à 100 km à l’Est de Bissau où venait d’être ouverte une boutique d’un montant de 13000000 de FCFA.Cette boutique m’ a été signalée par des Maures qui me disaient qu’elle a été ouverte pour les parents d’Ahmedou. Le contrôleur s’est rendu sur lieu sans poser des questions aux gérants de la boutique .
A son retour, il me dit que je n’avais pas droit au logement en tant que consul général. Il fallait donc que je rembourse 3000francs français par moi pour les cinq ans d’occupation du logement. En plus, je n’avais plus droit à la prise en charge des frais relatifs au personnel attaché à la résidence et que les sommes versées, à ce titre, devraient être remboursées. Or tous les huit consuls généraux, que posséde la Mauritanie, sont logés par l’Etat. De septembre 1992 à janvier 1998, mon salaire était de 11000 francs français, subitement, je retombais à 4600 et on me dit de rembourser le reste. Aucun consul général ne touche cette somme. Voilà comment on a essayé de m’imputer une responsabilté pour une mauvaise gestion financière du Consulat. (Cf Cri du Hartani n°6 pour plus de détails.)
Quant à l’inspection administrative, il m’a été reproché d’avoir employé quatre haratine : un sécrétaire, un cuisinier et deux gardiens. Si cela était à refaire, je le referais.
Quelque temps plus tard, j’ai été rappelé à Nouakchott. Ce rappel m’a été signifié par Mohamed Ould Maaouya, ancien sécrétaire général du Ministère des Affaires Etrangères. Sachant ce qui se tramait, je décidai de m’exiler. Je ne voulais pas être l’esclave qu’on giffle et qui tend la nuque.
Flamnet: Vous avez une fois dit en apparté à certains amis que Ould Taya, avant votre accréditation à Bissau, vous avait donné une misssion concernant les FLAM; Maintenant que vous êtes devenu visiblement son ennemi, et l’un des plus virulent pouvez-vous nous la révéler?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: En fait, on m’avait demandé une surveillance des activités des FLAM. Si j’obtenais des informations, je devais lui en parler directement ou alors son directeur de cabinet, Louleïd Ould Wedad ou au directeur de la sureté, Ely Ould Mohamed Vall. Je n’ai jamais été un ami de Ould Taya, j’étais simplement un fonctionnaire de l’Etat.
Depuis 1986, suite au manifeste et surtout à la tentative de coup d’Etat de 1987 par les officiers négro-mauritaniens, les Négro-africains sont devenus des ennemis structurels du régime de Ould Taya. Je suis persuadé que tous les chefs de mission recoivent des instructions relatives aux Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM), là où elles peuvent agir. En ce qui me concerne, j’ai senti, chez Ould Taya, la volonté de savoir quelle était ma position par rapport aux négro-africains et de s’assurer de mon allégeance vis à vis des Maures. Mon combat actuel est le prolongement d’une action déjà ancienne. Je refuse toute forme d’injustice et à ce titre, je combats pour la libération et l’émancipation des Haratine et pour l’égalité en Mauritanie, d’une façon générale. Je ne suis pas ennemi à des individus mais à un système. Demain, même si Ould Taya partait et que le système continuait à perdurer, je poursuivrais mon combat.
Flamnet: Que Pensez-vous de SOS esclaves? D’El Hor? Avez-vous appartenu à ces deux structures? Et pourquoi avez-vous crée l´AHME? Qu’est-ce qui vous oppose à ces cadres qui existent déjà et qui partagent les mêmes idéaux que l’AHME.
MOHAMED YAHYA CIRÉ: S’agissant de SOS esclaves, je pense qu’il s’agit d’une association qui a sa raison d’être et qui lutte contre un problème qui existe à savoir l’esclavage en Mauritanie. A mon arrivée à Paris en 1992, cette assosciation avait une représentation en France, à travers la personne de Jemal Ould Yessa. Je suis rentré en contact avec lui et je lui ai parlé de ma situation. La première chose qu’il a faite est de désinformer l’OFPRA, en m’accusant d’avoir détourné de l’argent et selon lui, je ne pouvais prétendre au statut de réfugié politique. Je ne l’ai su que très tard par des amis auxquels il a avoué ce qu’il avait dit à l’OFPRA. Il est aussi vrai que je n’ai pas cherché à travailler avec lui parce que les renseignements que j’ai obtenus m’ont permis de comprendre qu’il voulait des haratine travaillant sous son allégeance. Il a réussi à le faire avec certains. Quant à moi, je n’accepterai jamais une telle conduite.
En 2000, Boubacar Ould Messaoud, le Président de SOS esclave est venu à Paris, nous nous sommes rencontrés, je lui ai fait part de mes griefs à l’encontre de Jemal et je lui ai dit que je ne souhaitais pas être à la tête, de la représentation de SOS esclaves à Paris, mais il faudrait mieux la confier à un autre hartani. En réponse, il m’a dit qu’il avait confiance en Jemal et qu’il souhaiterait que je puisse travailler avec lui. Je lui ai signifié mon refus. L’histoire m’a donné raison, puisque Jemal a été dénoncé par ses propres amis, à savoir Abdalah Ould Hormatallah, Mohamed Ould Asker et Jemal Ould Mohamed. Voilà ce que dit Ould Hormatallah qui l’accuse d’avoir détourner de l’argent : « J’ai par ailleurs la preuve que des détournements de fonds importants ont été faits par Nasser Ould Yessa (Jemal ) au nom et au préjudice de SOS esclaves, avec la complicité d’autres membres de l’organisation mauritanienne. »
(Voir le Calame du 30 avril 2003,Mauritanie-net archives -May 2003)
Aussi, il l’accuse d’avoir utilisé un vieux hartani dans sa tournée aux Etats Unis et d’avoir détourné la collecte faite par les Mauritaniens aux USA pour aider le vieux hartani. « Lors d’une tournée aux USA, un vieux haratine a accompagné Nasser Ould Yessa à sa demande pour témoigner lors de ses conférences en tant que victime de l’esclavage. Une collecte qui devait l’aider mais rien ne lui a jamais été donné. Dégouté, il a abandonné sa demande d’asile aux USA. Plusiseurs mauritaniens aux USA pourront attester ce fait. »
La question que je me pose est, qu’est devenu ce hartani?. Qu’est-ce qui peut pousser un individu à amener, dans sa valise, un vieux hartani pour une exposition qui rappelle les pratiques coloniales? A la différence de l’exposition coloniale, qui parquait les nègres dans des Zoo, le but de Jemal était double : amasser de l’argent et utiliser, pour sa promotion politique, cette personne, pour obtenir des soutiens extérieurs dans le cadre de sa conquête du pouvoir. Jemal ne défend pas les Haratine. Il est un des petits fils de l’Emir du Tagant qui cherche une prise du pouvoir, en exploitant la cause haratine. Je condamne Jamel d’avoir traiter, ainsi, un hartani. Il doit rendre compte, un jour, de cela.
Ces anciens amis au sein SOS esclaves et de Conscience et Résistance qui se déchirent, actuellement, n’ont aucune divergence sur la question de l’esclavage. Les divisions au sein de ces mouvements ont pour origine le soutien de Jemal au candidat, aux élections présidentielles de novembre 2003, Khouna Ould Haïdallah ? au lieu de Ahmed Ould Daddah qui était le candidat initial commun au groupe. « Les résistances rencontrées et les contre-alliances ont fait commettre à Ould Yessa et Ould Maloum des coups de force inaceptables, comme la décision abérrante de soutenir la candidature de Haïdallah, qui m’a décidé a agir et à précipiter l’éclatement du mouvement. » (Ibid Calame)
S’agissant d’El Hor, j’en suis l’initiateur, en 1974 à l’ENA de Mauritanie. C’est Bilal Ould Werzeg et moi qui avons fondé El Hor en décembre 1974. Nous nous trouvions en première année de la section de diplomatie. J’ai mis deux mois pour le convaincre. C’est sa sur Koumbeïtt Mint Werzeg ancienne sécrétaire de ministère,aujourdh’hui décédée (paix sur son âme) qui m’a aidé à le convaincre. J’ai la liste des dix premières personnes que nous avons sensibilisées en fin 1974 . Dans la liste des membres fondateurs d’El Hor, établie le 5 mars 1978, il y a quatre éléments qui sont mes anciennes recrues, y compris Bilal lui-même qui ne peuvent le contester. J’ai quitté le noyau d’El Hor suite à des divergences avec Bilal qui portaient sur deux faits. Je voulais créer une structure complexe qui serait à l’abri d’un facile démantèlemant. Bilal voyait dans ma volonté, une manière subtile de s’approprier du mouvement. Telle n’était guère mon intention. Je recherchai, surtout, l’efficacité.
L’autre point de divergence réside dans le fait que je voulais que le mouvement soit entre les mains de haratine convaincus, à l’exclusion de ceux qui pourraient être manipulés. Il fallait donc recruter avec discernement. Ainsi la prudence s’imposait dans l’approche des personnes à recruter. Il s’agit d’une pratique apprise auprès du Mouvement National Démocratiqe (MND) auquel j’appartenais, mais à qui je reprochais sa positon sur la question de l’esclavage. Car cette question était considirée comme secondaire.
Bilal était ouvert à certaines personnes qu’il jugeait utiles. Pour s’opposer à mes idées, il me traitait d’esclavagiste parce que mes parents possédaient des esclaves. J’étais le premier à le lui avouer, en préconisant que les membres du mouvement dont les familles avaient des esclaves devaient s’engager à les libérer auprès de leurs parents. Ce que j’ai fait auprès de ma mère dès 1975 et auprès de mon père en 1978. Ma thèse était qu’il n’y avait pas de différence entre les Haratine (affranchis ) et Abid (esclaves) parce que tous les deux étaient victimes d’un système. L’affranchissement, en soi, n’est qu’une ruse des tenants du système pour perpétuer leur domination.
El Hor a repris cette thèse ultérieurement. Messaoud Ould Boulkheir est venu à Paris en 2000. Nous nous sommes rencontrés avec d’autres Haratine: El Arbi Ould Saleck, Baba Ould Jiddou, le colonel Baby. Il nous a chargés de créer une cellule d’El Hor à Paris. Nous nous sommes vus après son départ pour la constituer. Des divergences sont apparues. J’avais la certitude que j’étais avec des haratine dont certains, au moins, étaient manipulés par Jemal. Après six mois d’attente, voyant que cette entreprise ne pouvait aboutir, à cause du sabotage opéré par Jemal et la faiblesse de certains haratine, nous avons créé AHME.
Enfin, en ce qui concerne Messaoud Ould Boulkheïr, je ne partage pas avec lui l’idée d’une présidence à vie d’El Hor, car anti-démocratique. Il appartient aux militants de désigner leur leader.
En ce qui concerne SOS esclaves, je pense que le travail fait par cette organisation est positif, mais seulement elle est minée par certains maures qui l’utilisent pour leur combat politique contre le régime en place ou pour avoir une audience à l’étranger parce que la question de l’esclavage est porteuse et non pour libérer les haratine. J’estime pour ma part que dans les conditions actuelles, la lutte ne peut être menée que par des haratine conscients, en dehors de toute récupération.
Ma divergence, avec El Hor et aussi SOS esclaves, réside essentiellement dans le fait que je n’accepte pas l’idée de l’arabité des Haratine, parce que sociologiquement et historiquement fausse. D’un autre côté, elle constitue, sur le plan politique, une lourde faute : jusque vers les années 90, leur thèse était le refus de l’arabité des Haratine. A partir des années 90, sous la pression du pouvoir et de la féodalité maure, ils ont accepté de la défendre Cela n’a guère, malheureusement, changé la condition des Haratine. En acceptant cette thèse de l’arabité, ils identifient les Haratine, comme une couche parmi les arabes. Au sein des arabes, il y a des riches et des pauvres, ce qui entraîne la dilution de la cause haratine. Or on sait que la condition des Haratine n’est en rien comparable à celle des arabes, même pauvres. Cette position complique la lutte des Haratine et renforce l’allégeance tribale qui détermine le positionnement des Haratine par rapport au pouvoir. Or l’ennemi de la lutte haratine est bien le tribalisme dont se servent les féodaux et les politiques.
Enfin, EL Hor est miné par des divisions: El Hor authentique, El Hor patriotique, El Hor radical. En dehors d’El Hor radical (qualificatif donné par le gouvernement), les deux autres premières tendances sont des créations du pouvoir de Ould Taya. Il faut noter que la tendance El Hor patriote a été créée dans une conjoncture politique délicate pour le régime : Sur le plan extérieur, il avait la révolution de Mars au Mali qui a fait chuté l’ancien chef d’Etat, Moussa Traoré qui pouvait servir d’exemple à l’opposition mauritanienne. Les relations diplomatiques avec le Sénégal étaient rompues suite à la crise de 1989. Sur le plan interne, le conflit ethnique de 89 continuait avec le massacre des officiers négro-africains.
Il y a aussi les tendances régionales, celle du capitaine Breïka (Adrar) et celle de Koné Mahmoud (régions de l’Est). EL Hor est devenu une coquille vide. Il n’ y a plus de sensibilisation, ni d’organisation, ni de publications etc. Il reste que les conditions de travail sont extrémement difficiles pour toute opposition authentique et particulièrement pour les Haratine. Mon idée est qu’on devrait refonder le mouvement sur de nouvelles bases.
Flamnet: Que pensez-vous des FLAM, de leur lutte et de leur initiative pour un forum de concertation de l’opposition démocratique? Comment doit se faire cettte unité de l’oppsoition et avec qui et pour quel objectif selon vous?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: Je pense que les FLAM mènent un combat juste et qu’elles doivent poursuivre ce combat jusquà atteindre leur but. En tout cas le combat extérieur est important car il destabilise le régime en place. L’indicateur, le plus probant, est l’intérêt que porte le chef de l’Etat à l’activité des FLAM.
En ce qui concerne la concertation avec l’opposition, je pense que c’est une bonne initiative. Le seul problème est de pouvoir se rassembler autour d’idéaux démocratiques. Il ne faut pas, nécessairement, chercher des alliances avec des nationalistes arabes et des défaitistes négro-africains. L’histoire de la Mauritanie regorge d’exemples où la féodalité négro-africaine s’est alliée avec le pouvoir maure qui ne lui concède que des miettes. Le risque, aujourd’hui, est que les démocrates honnêtes tombent dans ce piège parce que la «démocratie » peut parfaitement s’accomoder avec le racisme et l’esclavage . Il suffit de prendre l’exemple des Etats Unis qui, de 1776 à 1865, ont pratiqué une « démocratie » qui s’est accomodée de l’esclavage. De 1865 à 1964, la « démocratie » américaine a fonctionné avec un racisme institutionalisé.
L’autre risque est de laisser les masses haratine sans conscientisation, entre les mains des esclavagistes (Etat et particuliers). Ce qui retarderait la lutte et empêcherait l’émergence d’un Etat démocratique.
Certains auteurs africains parlent, aujourd’hui, de l’ethno-démocratie, on pourra peut-être, demain, parler de l’ esclavo-démocratie ou de la féodalo-démocratie etc. Une lutte peut être longue et beaucoup de personnes peuvent s’épuiser et laisser tomber le combat. Cependant, que le combat doit continuer. L’ANC a lutté pendant 82 ans (1912-1994).
Flamnet: Votre dernier mot aux abonnés de Flamnet et aux mauritaniens qui vous lisent?
MOHAMED YAHYA CIRÉ: L’avenir de la Mauritanie dépend de la responsabilté de tous les citoyens pour le règlement des questions essentielles. Personne ne peut prévoir l’avenir mais toute question non résolue peut conduire à des catastrophes. La lutte sera longue compte tenu des rapports de forces et de l’inculture. « On peut, parfois, perdre espoir mais on n’a pas le droit de le faire perdre »
FLAMNET: Merci cher frére et compagnon de lutte et la lutte continue!
Propos recueillis par Kaaw Touré , Abdoulaye Thiongane et Ibrahima Diallo
Source : Flamnet.info