– « Si j’étais le président Ould Abdel Aziz, j’aurais confié l’agence Tadamoun à un Hartani compétent de surcroît militant anti-esclavagiste, en lui donnant tous les moyens financiers et une feuille de route d’une durée de quatre ans; objectif: juguler les poches de pauvreté dans les adwabas. Et rien que dans les adwabas. »
Le Rénovateur Quotidien a réalisé l’interview suivante avec le capitaine Ely Ould Krombelé. Un entretien réalisé au lendemain de son article « De l’esclavage: Quand Biram se trompe de combat », qui ne lui a attiré que des sympathies, voire suscité une croisade médiatique impitoyable contre l’officier.
Dans cette interview, qui intervient 72h avant la reprise du procès du leader de l’IRA, Biram et des autres détenus de l’ONG non reconnue, prévu le 15 janvier courant, le capitaine, défend courageusement ses idées, niant tout changement de ses convictions, exprimant son opposition à la méthode militantiste de Ould Dah.
Ely parle également de circonstances de l’obtention de ses droits de retraite, de ses rapports avec Ould Abdel Aziz, créditant la non-violence d’arme fondamentale pour l’avènement de la justice sociale… Pour l’ex officier, un hartani compétent doté de pleins pouvoirs et investi pour 4 ans est le mieux indiqué pour booster l’action de Tadamoun. Ci-après l’intégralité de cet entretien…
Question : Votre dernier article publié le 17 décembre courant sur le portail Cridem « De l’esclavage: Quand Biram se trompe de combat », a fait un grand tollé. Les lecteurs de vos brillantes contributions sur la toile sont allés en rangs dispersés dans leur appréciation de cette analyse. La majorité (95%) vous accuse de recul, de retournement de veste ?
Ely Ould Krombelé : Quel recul et par rapport à quoi, quel retournement de veste et pourquoi? Mon dernier article sur le « combat » de Biram a été précédé de plusieurs interventions dont la plus osée est celle publiée par Le Calame juste après la fameuse interview du président de l’IRA le 20 Août 2010.
Que le lecteur sache que je ne suis pas contre la personne de Biram Dah Abeid, mais je m’oppose à son discours incendiaire et haineux à l’égard d’une frange de la communauté nationale. Ceux qui veulent me cantonner dans une chapelle ou sous le couvert d’un minaret, se trompent. Je suis un homme libre et surtout indépendant d’esprit. J’appartiens à un ensemble qui fait partie des éléments fondateurs de la Mauritanie moderne au début du 20ème siècle lorsque l’administrateur colonial Faidherbe et son précurseur Xavier Copollani sur injonction de Napoléon 3, premier président de la république française, ont fait dès 1854 l’ébauche de ce qu’on appellera plus tard : Mauritanie.
Ainsi les instructions ministérielles du temps de Napoléon 3 se résumaient en ceci: « nous devons dicter nos volontés aux chefs maures. Il faut supprimer les escales en 1854 et employer la force si on ne peut rien obtenir par la persuasion. Il faut émanciper le Oualo en l’arrachant au Trarza et protéger, en général, les populations agricoles de la rive gauche contre les Maures. » (tirés de MauritanieTerre de Guerriers page 19, ed L’Harmattan).
Ce sont les émirs du Trarza, du Brakna, du Tagant, de l’Adrar qui ont résisté contre les assauts de Gouraud, Frèrejean, Dufour, Mc Mahon et autres tirailleurs sénégalais. Cependant, je ne nie pas que les autres composantes aient résisté également. D’ailleurs peut-on oublier l’apport du Saint El Hadj Oumar Tall à l’Islam en général et au Fouta en particulier?
Question : En présentant votre analyse « défavorable » à Biram, dans son bras de fer militantiste et judiciaire face au pouvoir, en cette période sensible où tout le monde, particulièrement politique et activiste, tourne le dos au leader de l’IRA, n’intentez-vous pas un avant- procès à Ould Dah, capable de le priver aux yeux des autorités de toutes circonstances atténuantes ?
EOK : Votre surestimation de mon humble personne me va jusqu’au cœur mais je ne crois pas que mes propos puissent influencer la justice mauritanienne quant au procès de Biram. A ce que je sache Biram a toujours mis dos à dos le pouvoir et l’opposition. Il n’est pas surprenant que cette dernière lui rende la monnaie. Certes la sortie de mon article a coïncidé avec « cette période sensible »comme vous le dites.
Même si Biram venait d’être relaxé (ce que je souhaite) et qu’il continue de distiller des discours belliqueux je m’opposerai à nouveau à ses agissements fangeux. Ceci est valable pour tous les mauritaniens qu’ils soient blancs ou noirs et qui auront un jour à proférer des propos haineux abjects de racisme, qui sapent la difficile cohésion nationale. Le rôle primordial de chacun est d’éviter d’attiser les feux de la discorde et de mettre plutôt le doigt sur les fibres prônant les véritables vibrations de l’entente cordiale.
Question : Vous êtes très lu et très apprécié, parfois à 100%. Vos contributions font généralement l’objet d’un consensus, d’une appréciation d’un intellectuel mauritanien libéré de toutes les apesanteurs politiques et socioéconomiques qui greffent par moment nos élites, les présentant plutôt dans un angle communautariste ou sectaire. Mais « « De l’esclavage: Quand Biram se trompe de combat », présente un Krombelé plus politisé que nature ?
EOK : On ne peut faire l’unanimité quand on aborde un sujet de société. Si mes contributions sont le plus souvent « consensuelles », cela est dû à deux facteurs car il y a deux genres de lecteurs: les littéraires et les niais du parterre. Les premiers, cultivés et ayant enrichi leur goût, leur esprit de critique, donc exigeants, sont séduits plutôt par la construction syntaxique ou sémantique des textes, voire la combinaison de celles-ci. Quant aux seconds, ils sont sectaires et relèveraient du domaine du nihilisme ou de l’esprit critique, (qu’on ne doit point confondre avec l’esprit de critique qui lui est constructif).
Parler de Biram n’est pas pour moi un sujet politique, c’est plutôt un épiphénomène, un cas de société comme il en existe tant d’autres. Depuis 2010, je m’oppose au discours communautariste explosif du président de l’IRA. Je suis militant anti-esclavagiste, progressiste bien avant Biram mais à ma façon. Je rêve d’un pays où l’égalité des chances, la justice pour tous, le bien-être seront érigés en credo pascalien. Alors,que faire? Faut-il que les sicaires se manifestent, que Nouakchott brûle pour qu’advienne une victoire (d’ailleurs de qui et pourquoi faire) à la Pyrrhus?
Question : Votre dernière sortie constitue un grand crédit pour le pouvoir, pour le Président de la République Ould Abdel Aziz, envers lequel vous êtes parfois plus dur que ses propres opposants. Comment expliquer ce changement de conduite qui a suscité bien d’interrogations chez vos lecteurs habituels ?
EOK : Croyez-vous que le pouvoir a besoin de ma « sortie » pour être crédité. Personnellement je ne suis ni du pouvoir ni de l’opposition. Cependant je connais le président Mohamed Ould Abdel Aziz depuis Novembre 1980 au Secteur Autonome de Kaédi. En fait je considère Aziz comme un frère d’abord et non un président. Les gens se trompent s’ils croient que j’ai critiqué un moment le président Aziz parce que je suis « opposant ». Il arrive aux frères utérins de diverger par moment à plus forte raison des amis de longue date. Certains esprits malveillants parlent de contrepartie qui a consisté à m’octroyer ma pension.
Moi je parle plutôt d’une réparation et c’est moi qui l’ai demandée, car depuis le 4 juin 2003 où j’étais parti en consultation sanitaire, je n’ai jamais réclamé ma pension. En 2014, c’était le moment opportun. J’ai quand même passé plus d’un quart de siècle dans l’Armée et j’ai bien le droit de bénéficier de ma retraite. Tous les militaires, qu’ils soient blancs ou noirs ont bénéficié de leurs retraites et des indemnités en ce qui concerne le passif humanitaire. Même l’adjudant Cheikh Fall qui a dénoncé les tortures sur RFI en 1992 a droit à la retraite, au lieu d’être traité de déserteur.
Question : Entre violence et non violence dans la lutte antiesclavagiste, pour accéder à certains droits confisqués ou piétinés, vous choisissez la seconde option. Cette dernière a montré son inefficacité au cours de toutes ces dernières décennies, bien que l’abolition puis la criminalisation de ce mal ne sont pas récentes (années 80). Avec l’avènement de Biram, son activisme local objet de polémique et son ballet international auréolé et soutenu, ce combat a connu en un laps de temps de la vigueur, voire même acquis de l’accélération et de l’autonomie de force le plaçant dans une trajectoire d’émancipation irréversible, créditant Ould Dah de la seconde place aux dernières présidentielles, en dépit de l’exigüité des moyens de son organisation . Les autorités se mobilisent et s’investissent plus pour contenir ce nouvel élan en manifestant des actions antiesclavagistes. A votre avis, ces prouesses caractérisées aujourd’hui par la création de Tadamoun, de la khotba unifiée, du commissariat aux droits de l’homme, auraient-elles été atteints en dehors de l’activisme dynamique de l’IRA.
EOK : Pour l’éradication totale de l’esclavage ou du moins ses résidus, il est préférable, compte tenu de la fragilité de notre tissu social d’opter pour la non violence. L’Histoire de façon empirique nous enseigne que tous ceux qui ont utilisé les tremplins de la non-violence ont réussi à faire adhérer la quasi-totalité de leurs contemporains et à parfaire leur lutte en la faisant surtout aimer de tous les citoyens du monde.
Nul ne peut contester que le pasteur M.L King, Nelson Mandela et Gandhi de l’union indienne icônes de la non-violence ont plus de notoriété auprès de la mémoire collective universelle que les Black Panthers, les Black Muslims et autre Angela Davis qui prônaient la violence verbale et physique à l’égard des Américains blancs descendants d’esclavagistes (ce qu’ils n’ont pas choisi). Biram doit évoluer vers une optique consensuelle, lui qui était d’abord avec Ould Taya,ensuite Zeine Ould Zeidane. C’était hier.
Si j’étais le président Ould Abdel Aziz, j’aurais confié l’agence Tadamoun à un Hartani compétent de surcroît militant anti-esclavagiste, en lui donnant tous les moyens financiers et une feuille de route d’une durée de 4(quatre)ans; objectif: juguler les poches de pauvreté dans les adwabas. Et rien que dans les adwabas.
Incontestablement Biram a donné un souffle nouveau à la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Mais le crédit est à mettre plutôt sur des considérations géopolitiques. En rompant ses relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël, la Mauritanie a ouvert une cinquième colonne aux agents du sionisme international.
Il suffit de simples pourparlers, soient-ils secrets ou factuels pour que l’aura dont bénéficie Biram à l’extérieur du pays s’estompe en un clin d’œil. El Hor d’Ould Belkheir, Sos-esclaves surtout de Boubacar Ould Messaoud ont plus de notoriété auprès de l’imaginaire des mauritaniens, ces harratines qui ont lutté au moment où il n’y avait pas de liberté d’expression. Cependant ils n’ont jamais eu de prix pour couronner leur longue et légitime lutte contre cette abomination qu’est l’esclavage.
Question : Le leader de l’IRA a été arrêté et mis en détention au terme d’un tour fait, au cours d’un long voyage qui devait le conduire à l’étranger, à une marche autorisée contre l’esclavage foncier. L’autorité publique pouvait l’empêcher de se joindre à cette marche comme elle était capable, si elle le veut, à la lumière de ses expériences de dispersion des sit-in et des manifs politiques et autres organisés dans le pays, bien gérer ce dossier, en usant d’éléments de conviction. Que pensez-vous de l’arrestation spontanée de Biram et de son camarade de lutte Brahim Ould Bilal.
EOK : Votre question est longue et elle m’a donné du tournis. Cependant je dirai que le pouvoir est mieux placé pour savoir pourquoi il arrête tel ou tel activiste. A noter également que la lutte contre l’esclavage ou plutôt la persistance résiduelle de l’esclavage en Mauritanie ne doit pas donner un blanc-seing à des fauteurs en eaux troubles porteuses de théories mensongères.
Question : Certains font une liaison entre votre article et votre présumé accès à vos droits de retraite ?
EOK : Vous avez vous même dit « droits » à la retraite. Depuis le milieu des années« 2000 » je n’étais pas pressé d’obtenir mes droits. Je savais que je les aurai tôt ou tard car il fallait attendre le temps opportun. C’est au moment où le ministère de la Défense Nationale a accordé des indemnités aux militaires victimes du passif humanitaire que j’ai demandé à obtenir ma retraite. Ce qui fût fait. C’est de l’argent halal.
Si j’avais une tête de profiteur, l’occasion m’était offerte depuis la prise du pouvoir par Aziz en Août 2005. Mr Mohamed à l’avenir essayez de donner du crédit à vos questions. Ne vous fiez pas aux balivernes de quelques énergumènes qui, quand vous ne pensez pas comme eux, pour eux, vous taxent de tous les genres d’ignominie.
Question : Certains estiment que vous êtes en mission spéciale pour le pouvoir à Paris ?
EOK : En voilà une encore. Mr le journaliste du Rénovateur, croyez-vous que ma généreuse et altière maman m’a mis au monde au seul dessein de venir surveiller deux ou trois réfugiés Peuls et un ..hartani désœuvré? Quelle perte de temps, quelle indécence!!!En mission spéciale pour le pouvoir….Quel pouvoir, car je suis là depuis 2003 et trois pouvoirs se sont succédé: celui de Maawiya, deEly Ould Mohamed Vall, de Sidi Ould Cheikh Abdallahi et enfin d’Aziz? Comment peut-on surveiller des gens dont on ignore l’existence, avec lesquels vous n’avez aucun contact. La seule fois que je peux rencontrer des mauritaniens c’est quand je vais à l’ambassade, particulièrement au bureau militaire pour chasser l’ennui. Les nouvelles? Je les prends sur le site Cridem.
Et puis en citoyen je n’ai pas besoin de l’aval du pouvoir pour dénoncer les atteintes à la bonne marche de pays la Mauritanie. Je l’ai fait lorsqu’un jour d’hiver de 2012, j’ai vu des femmes et des enfants empêchés de rentrer dans l’enceinte de leur ambassade à Paris pour se recenser. J’ai dénoncé, je dénonce, je dénoncerai pour ma patrie la Mauritanie tout ce qui pourrait porter atteinte à son unité, son intégrité.
Propos recueillis par Md O Md Lemine
Source : Le Rénovateur Quotidien (Mauritanie)