Cette fois-ci, l’Exécutif a pudiquement rebaptisé cette loi, « Loi sur les violences faites aux femmes et aux filles », évitant soigneusement le terme « genre » qui avait fait lever les boucliers des radicaux, et qui explique en partie les différents retraits du texte pour amendement.
Même avec ce subterfuge, les infatigables barbus radicaux, hostiles à cette loi montent de nouveau aux créneaux.
Cela fait des années que les organisations de la société civile, appuyées par un pool de partenaires au développement, font des pieds et des mains, pour l’adoption d’une loi contre les violences basées sur le genre. Avec cette loi sur les VBG, la Mauritanie est ainsi assise, entre d’une part, l’enclume d’une communauté internationale, notamment le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples, qui à chacune de leur session réitère leur exigence de voir cette loi adoptée, et d’autre part, le marteau d’un clergé local dont une importante partie est hostile à toute loi qui donnerait des droits supplémentaires à la femme, en particulier en matière de ce qui est connu dans le corpus juridique islamique, comme la « Qawama », c’est-à-dire, ce tutorat de l’home, qu’il soit époux ou proche parent (père, frère, oncle, etc.) sur la femme et que le projet de loi cherche à bannir.
Les étapes du nouveau projet de loi
La Loi sur les VBG qui a été retirée à deux reprises par le gouvernement, sur la base des observations émises en 2016 puis en 2018 par les commissions spécialisées de l’Assemblée Nationale, se présente dans sa version actuelle sous de nouveaux habits. Le gouvernement a bien pris le soin d’en changer l’intitulé. De « Loi sur les violences basées sur le genre », elle est passée à « Loi contre les violences faites aux femmes et aux filles », car le terme « genre » utilisé dans les deux premières versions est l’une des causes de son rejet par la majorité conservatrice des députés. Ainsi, le terme « genre » a été banni dans tous les articles du nouveau projet de texte.
Le projet de loi actuel qui doit être soumis incessamment à l’Assemblée Nationale est composé de 5 chapitres, comme les textes précédents, mais au lieu de 74 articles dans la version 2018, le nouveau texte ne comporte que 55 articles. L’article 1er sur l’objectif de la loi stipule qu’elle « a pour objet de prévenir les violences contre les femmes et les filles, d’établir les procédures légales susceptibles de protéger les victimes, de réparer leur préjudice et de réprimer les auteurs ».
Pour assurer l’adoption du nouveau projet de loi par les députés de l’Assemblée Nationale, le gouvernement avait mis sur pied une Commission de contrôle tripartite comprenant les ministres concernés (Affaires Sociales, Justice et Commissariat aux Droits de l’Homme). Cette commission s’est attelée à toiletter le texte initial pour le débarrasser de tous les articles objets de controverses de la part des Ulémas, des Imams et des députés. Cette commission s’est réunie à plusieurs reprises avant d’arriver à une version finale provisoire.
Il a été rajouté au nouveau texte une petite introduction sur les motifs de la loi, avec forts arguments tirés de certains versets et hadiths. Une fois le draft du texte achevé, il a été transféré au Haut Conseil de la Fatwa, sorte de Haut Conseil Islamique chargé de valider tous les textes de loi avant leur approbation par l’Assemblée Nationale. Ce conseil a aussi ciselé plusieurs articles, ce qui explique que le texte qui était composé de 74 articles, s’est retrouvé avec 55 articles.
Les changements opérés
Dans le nouveau texte, plusieurs articles ont été modifiés et des concepts redéfinis, surtout ceux ayant fait l’objet de controverses et de rejets, en 2016 puis en 2018. L’un des articles qui a été supprimé porte sur les sanctions de 6 mois à 1 an contre le mari qui impose à son épouse un certain comportement ou attitude.
Le nouveau texte donne des définitions dans son article 2. Ainsi, la « victime », c’est « la femme ou la fille agressée », le « viol », « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, en dehors du mariage, commis sur une femme ou une fille, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Donc le viol conjugal n’est pas interdit par le nouveau projet de loi. Le harcèlement sexuel est lui défini comme « le fait d’imposer à une femme ou à une fille, des propos ou agissements répétés, ou attouchement, à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Ici, le viol sur les garçons semble n’avoir pas été pris en compte par le texte de loi.
Le viol incestueux est défini quant à lui, comme toute relation sexuelle forcée sur une femme ou une fille de la part d’un homme qui ne peut juridiquement la marier (père, frère, oncle, neveu, etc.)
Le texte qui est aujourd’hui disponible considère cependant que les violences contre les femmes et les filles constituent un crime imprescriptible.
Un texte plus clément pour les auteurs
Le nouveau projet de loi sur les VBG est considéré comme plus clément pour les auteurs de violences contre la femme et la fille en termes de condamnations par rapport aux versions de 2016 et de 2018. Pratiquement, la plupart des condamnations ne vont pas au-delà d’un an ou deux.
Parmi les actes punis comme crimes, le viol et le viol incestueux (10 à 20 ans), la privation d’héritage (1 à 2 ans), coups et blessures (peines prévues dans le Code pénal art. 285 à 287 avec possibilité pour la femme de demander le divorce), les mutilations génitales féminines (6 mois à 1 an), la séquestration (2 à 6 mois), le harcèlement sexuel (2 mois à 1 an), le mariage des enfants (6 mois à 1 an), le chantage (3 mois à 1 an), les insultes (11 jours à 1 mois), la non dénonciation (1 à 3 mois), imposition d’un comportement impudique (6 mois à 1 an), privation d’exercice de droits (1 à 2 ans), le refus d’enregistrement à l’Etat civil de l’acte de mariage ou actes de naissances des enfants (6 mois à 1 an).
Le projet de loi retient comme preuve du viol à l’encontre des femmes et des filles, l’analyse ADN.
Les amères expériences de 2016 et 2018
Le premier projet de loi sur les VBG de 2016 avait soulevé à son époque un gigantesque tollé aussi bien dans les deux hémicycles du Parlement mauritanien (Sénat et Assemblée Nationale) qu’au sein de l’opinion publique. Ce texte n’avait d’ailleurs pas dépassé le seuil de la Commission parlementaire chargée de son étude et le gouvernement a été sommé de relire son papier.
En 2018, rebelote, le gouvernement ayant révisé sa copie, le nouveau texte allait connaître le même sort de la part des parlementaires et le gouvernement fut obligé pour la deuxième fois de retirer son texte. Il est à rappeler que ce texte de 2018 devait être présenté devant les parlementaires par la Ministre des Affaires Sociales de l’époque, Fatimetou Habib, mais tellement le contexte était effrayant qu’elle n’eut pas le courage de défendre son texte, poussant l’actuel ministre de la Justice, Dr. Haimoud Ramadhan, alors simple conseiller du Ministre de la Justice à l’époque, de monter aux charbons pour présenter le texte devant le Parlement.
Voilà que le 6 mai 2020, le gouvernement mauritanien est revenu à la charge en adoptant un troisième document portant loi contre les violences faites aux femmes et aux filles, après avoir changé son intitulé, réduit le nombre de ses articles et soumis le texte au Haut Conseil de la Fatwa. Ce nouveau document aura-t-il plus de chance de passer à travers la censure des députés de l’Assemblée Nationale, ou est-ce qu’il va connaître la même infortune que les textes qui l’ont précédé ? Les semaines à venir sont pleines d’incertitude.
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)