Le facteur épidémique est depuis longtemps un sujet d’étude pour le monde de la défense, tant il peut présenter des risques. Dès 1869 le médecin général inspecteur Michel Levy rapportait cette statistique: Sur les 95615 décès de troupes françaises que la guerre de Crimée avait occasionné, 77% étaient dues aux maladies.
Une chronique signée Alphonse Galland
Dans les années 2000, de nombreux rapports ont su esquisser les dangers que les risques biologiques, tant pour les forces armées que les populations civiles pouvaient générer. Des deux côtés de l’Atlantique, services de renseignement et directions de la prospective anticipaient ainsi la menace pandémique. En 2000, le National Intelligence Council américain établissait un premier rapport sur les risques que faisaient peser l’émergence et la résurgence de maladies infectieuses pour la sécurité des Etats-Unis. En 2008, il réitérait et établissait le scénario d’une situation similaire à celle que nous connaissons due à « l’émergence d’une maladie respiratoire virulente » apparue dans des territoires « à forte densité » où il existait « une proximité entre humains et animaux, comme dans certains endroits de Chine ».
Des avertissements à répétition
La même année, en France, le Livre Blanc, définissant la stratégie globale de défense et de sécurité française, considérait l’émergence d’une « pandémie massive à forte létalité » comme « plausible ». Quelques années plus tôt, à la demande des Ministres de la santé et de l’enseignement supérieur (Jean-François Mattéi et Claudie Haigneré), un certain Professeur Didier Raoult signait un rapport sur l’état des lieux de l’ensemble des mesures de santé publique et des recherches prévues en France et en Europe sur les dangers liés au bioterrorisme.
Face à ces alarmes, l’Etat français avait su réagir en lançant dès 2007 l’EPRUS, Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires. Sa mission : anticiper et prévenir ces risques. Un stock conséquent de masques, de respirateurs, de traitements etc… avait ainsi pu être constitué.
Certains pays africains se sont également penchés sur la question. En 2007, le Royaume du Maroc avait réuni à Casablanca des acteurs nationaux et internationaux, publics et privés, spécialisés dans la gestion de crises « hors cadre ». Ce séminaire nommé « Crises non conventionnelles. Nouveaux impératifs. Nouvelles Postures » avait été l’occasion d’analyses et de retours d’expériences sur des scénarios dits « à fortes ruptures »
Des réductions budgétaires drastiques
Néanmoins, certaines de ces initiatives prometteuses vont tourner court. Suite à l’épidémie de grippe H1N1 en 2011, le gouvernement de l’époque et les services de l’Etat furent accusés d’avoir sur-préparé la réponse à l’épidémie en dépensant plus d’un milliard d’Euros dans l’achat de médicaments, de masques et autres équipements de protection.
Il fût alors imposé à l’EPRUS une réduction drastique de budget. De 287 millions en 2007, son budget était divisé par 10 en 2015, avant d’être dissous un an plus tard.
Avant cette année 2020 et la crise du COVID-19, qui frappe si durement, il apparaît ainsi que, malgré les avertissements, la question du risque pandémique ait été globalement délaissée, voire ignorée, par rapport à d’autres problématiques sécuritaires comme la lutte anti-terroriste. Il semble en particulier que les services de renseignement, véritables vigies et garants de la sécurité collective, n’aient pas eu réellement les capacités de capter des signaux faibles en matière épidémiques, de les interpréter et de recommander une posture stratégique de défense face à ces menaces.
Le risque bio-terroriste
Les conséquences sanitaires, sociales, économiques, financières, et in fine, sécuritaires nées du Coronavirus, témoignent d’un risque de déstabilisation majeur pour l’Europe, l’Afrique et d’autres parties du monde insuffisamment renseignées et préparées à répondre à cette menace. Dans le futur, des états proliférants ou des groupes terroristes, pourraient s’inspirer de ce chaotique exemple et ainsi faire revenir la menace bioterroriste sur le devant de la scène.
Dans ces conditions, il va falloir renforcer des capacités de recherche et d’analyse que l’on croyait perdues. Certains pays étaient – ou sont encore – dotés de branche d’évaluation sanitaire et médicale au sein de leurs services de renseignement. Leurs exemples, passés ou présents, peuvent et doivent inspirer un changement rendu nécessaire.
Aux Etats-Unis, le National Center for Medical Intelligence (NCMI) est par exemple spécialisé dans le renseignement à vocation sanitaire et médical. Dépendant de la DIA (Defense Intelligence Agency), il a, entre autres, pour mission la prévention des risques épidémiques via la surveillance, la collecte et l’analyse de tout procédé, invention ou information présentant un risque pour la sécurité des populations ou des forces armées.
Des expertises ignorées
Il y a encore 30 ans, ce centre suivait les recherches sur des armes biologiques d’Etats qui s’étaient dotés de capacité dans ce domaine : Russie soviétique, Afrique du Sud de l’Apartheid, Irak de Saddam Hussein, … A la fin des années 90, il s’est ensuite focalisé sur le suivi des capacités d’emploi d’agents pathogènes de la menace terroriste, mais également sur des expertises portant sur les risques sécuritaires que présentaient l’émergence d’épidémie comme Ebola, le SARS,
Le National Center for Medical Intelligence (NCMI) aurait prévenu la Maison Blanche dès le mois de Novembre 2019 des dangers que le Coronavirus risquait de provoquer.
La menace biologique, qu’elle soit naturelle ou artificielle est ainsi une réalité qui n’aurait jamais dû quitter, même provisoirement, les champs d’investigation et d’expertise des Services.
Au vu du rappel à l’ordre que provoque la crise COVID-19, les services de renseignement vont ainsi devoir renforcer leurs capacités d’analyse et d’évaluation de la menace pandémique. D’importants moyens vont devoir être réattribués pour permettre de disposer d’informations précises sur l’état des programmes de recherche pratiqués par des laboratoires civils ou militaires en la matière, ou pour se munir des capacités d’évaluation initiale de situation en cas de départ d’épidémie : détermination précise de l’origine du virus, étendue de l’infection, …
Une meilleure synergie entre agences de renseignement civiles et militaires d’une part, et services de santé publics ou dépendant des Armées semble donc inévitable à l’avenir.