Un monde nouveau qui s’articulera autour de cette idée centrale qu’il faut réhabiliter l’Homme, en lui redonnant toute sa dignité : c’est-à-dire faire de lui de manière effective le point de départ et le point d’arrivée de toute activité humaine – notamment en matière de production des richesses et leur juste redistribution. »
Un monde nouveau qui renouera avec ces valeurs cardinales, toujours et partout proclamées, mais rarement traduites dans la réalité quotidienne : solidarité nationale et internationale ; vivre ensemble, empathie, fraternité…
Quoi qu’il puisse advenir quand nous aborderons l’ère post-Covid-19, la pandémie nous aura apporté la preuve tangible de l’interdépendance des pays et des zones géographiques du monde, de l’identité du sort des hommes, au-delà de leur identité nationale, communautaire, ethnique, religieuse.
Le mal, ignorant identités et frontières, s’attaque à tout le monde, sans distinction aucune. Il sévit, dit-on, dans plus de 180 pays. S’il y fait des ravages énormes, les conséquences qu’il produit sont très variables selon le niveau de développement des pays et leur capacité de réaction et de maitrise des crises, pandémiques ou autres.
Autant dire que face à la pandémie, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Aussi, de grandes voix s’accordent à dire que l’Afrique, eu égard à moult considérations, notamment la faiblesse de son système de santé, doit bénéficier d’une assistance substantielle des pays développés pour qu’elle puisse mieux affronter les conséquences de la pandémie.
Esther Duflot, prix Nobel d’économie 2019, estime qu’il faut apporter des aides importantes à l’Afrique sinon par devoir moral, du moins par impératif de sécurité sanitaire mondiale — intervention sur France Inter, mars 2020. Dominique Strauss-Kahn parle quant à lui d’annulation des dettes des pays africains ; le président Macron, dans son intervention télévisée du 13 avril 2020, abonde dans ce sens.
Qu’en est-il des conséquences pandémiques en Mauritanie ? Il n’est pas question ici d’en parler de manière exhaustive, ce qui serait outrecuidant et absurde.
Absurde parce que certaines de ces conséquences ne pourront être appréhendées et évaluées que lorsque la pandémie qui les aura produites sera complètement derrière nous. Aussi ne seront abordés ici que trois aspects.
A/ Confinement/couvre-feu.
B/ Distension du lien social.
C/ Cloisonnement entre zones urbaines et zones rurales.
A/ Confinement/couvre-feu
Les maux étant partout les mêmes, les mesures préconisées pour y faire face sont globalement les mêmes partout. Mais les conséquences de l’application de ces mesures de riposte sur les populations, elles, varient selon les pays et le degré de leur préparation à la gestion des crises.
Au nombre de ces mesures, le confinement. Il est admis comme parade déterminante, parce qu’il réduit considérablement la propagation du virus, donc sa transmission. Mais le confinement, en tant que bouclier, nous fait gagner en protection sanitaire autant qu’il nous pénalise en termes de moyens de subsistance et de pouvoir d’achat.
Précarité sociale Le confinement et le couvre-feu conduisent systématiquement au repli sur soi, qu’exprime clairement le fameux mot d’ordre quasi mondial : « Restez chez vous ! ». « Rester chez soi », soit. Mais même confiné, il faut bien manger, boire, se vêtir, se laver, se soigner…, tout ce par quoi se manifeste trivialement l’existence humaine.
Comment dès lors concilier confinement plus couvre-feu et exigence de subsistance, voire de survie pour certaines couches populaires ? Comment dans ces conditions de confinement/couvre-feu satisfaire dans la durée les besoins que pose quotidiennement la vie ? Comment empêcher que le remède ne suscite un autre mal (dénuement, pauvreté absolue), qui, lui, tue à petit feu ?
En effet, en dehors de la grande et petite bourgeoisie, toutes les autres catégories socioprofessionnelles risquent d’être affectées durement et durablement par les mesures liées au covid-19.
Sont particulièrement exposés les plus nécessiteux, les titulaires de faibles revenus et tous ceux, nombreux, qui exercent dans l’économie informelle, très développée dans notre pays, comme ailleurs en Afrique.
Que faire de ces milliers de professionnels du tieb-tieb que le secteur informel fait vivre ? et que confinement et couvre-feu vont sérieusement étouffer. Dans ces conditions, comment éviter la détresse aux plus démunis mais aussi aux titulaires de faibles revenus ?
Par des mesures de soutien constant, d’assistance régulière, et d’accompagnement continu en leur faveur. Mesures d’ordre sanitaire et alimentaire qui soient bien conçues, intelligemment appliquées et supervisées à l’échelle nationale.
En matière sanitaire Il faut rendre les structures hospitalières plus accessibles à tous les citoyens, notamment aux populations les plus fragiles. Il s’agit ensuite de faciliter leur prise en charge et leur traitement. Cela exige une amélioration de l’offre de soins pour la rendre plus qualitative.
Cela appelle des moyens et des conditions de travail appropriés, mais aussi rigueur et professionnalisme. En matière d’assistance Elle doit être multiforme, tant le manque et le dénuement sont grands et les besoins immenses. Pour être efficace, pour soulager les populations et réduire les effets négatifs de la crise, l’assistance devra être matérielle, alimentaire, et même financière selon les cas.
C’est le lieu de parler de l’utilisation des aides financières venues de partout et de celles attendues… Mais cette perception de l’assistance suppose que la notion de « familles démunies » ou de populations démunies soit d’abord définie.
Et qu’ensuite ces populations soient localisées sur toute l’étendue du territoire national. Cette procédure nous semble incontournable si l’on veut que l’assistance et le soutien à apporter aux populations ciblées soient équitables ; il s’agit donc de définir les critères d’attribution desdites aides : qui doit en bénéficier ? On parle de familles démunies, soit.
Mais qu’est-ce qu’une famille démunie, en Mauritanie ? Qu’est-ce qu’une famille pauvre ? Qui doit objectivement, dans ces conditions de crise pandémique, de confinement, bénéficier de ces aides-là ? Ces aides, doivent-elles être identiques pour toutes les familles supposées devoir en bénéficier, ou doivent-elles être octroyées en fonction des besoins et des moyens de subsistance de chacune d’elles ?
Est-ce une approche juste, équitable, que de n’attribuer ces aides qu’aux seules familles dites démunies ou pauvres, sans définir au préalable les critères d’identification de l’état de pauvreté, de la famille nécessiteuse ? Non !
Il y a lieu, pensons-nous, vu les circonstances pandémiques, d’élargir la notion « familles démunies » ou « familles nécessiteuses » pour y inclure tous ceux qui relèvent du secteur informel et toutes les catégories socioprofessionnelles dont les moyens de subsistance sont limités en raison de la faiblesse de leur pouvoir d’achat. Organisation et supervision des aides Les donateurs nationaux ont mis sur la table des sommes colossales — plusieurs milliards d’ouguiyas.
Des aides conséquentes provenant de l’extérieur ont été enregistrées et d’autres sont attendues. Cela ajouté aux enjeux majeurs auxquels il faut faire face, aux défis redoutables qu’il faut relever (vivre dignement malgré la pandémie, survivre en dépit de tout), tout cela doit conduire à une organisation concertée de la gestion de ces aides.
Car ces aides, est-il besoin de le souligner, sont le fruit d’un élan de solidarité nationale et internationale. Elles sont exclusivement destinées à faire face à la pandémie. Il n’est donc que naturel qu’à leur gestion soient pleinement associés tous les principaux acteurs de la vie nationale : parlementaires, organisations caritatives, partis politiques, organisations des droits humains, etc.
Faut-il faire observer que la gestion de ces aides, quelles que soient leur nature et leur provenance, doit être totalement transparente et faire l’objet, le moment venu, de compte rendu. B/ Distension du lien social Ici le lien social est naturel. On naît avec lui.
Le baptême — avec ses cérémonies — qui chez nous accueille le nouveau-né, qu’est-ce que c’est sinon l’expression festive d’un lien social ancestral. Le lien social est pour ainsi dire consubstantiel à la vie de tous les jours. Il trouve sa traduction et ses multiples manifestations dans quasiment tous les espaces, publics et privés : le domicile, le quartier, la mosquée, le marché, les champs, etc.
Il s’exprime avec éclat lors des mariages et des baptêmes. Les rapports quotidiens entre voisins en portent l’empreinte. En ville comme en campagne les gens vivent en symbiose. Joie et bonheur sont partagés, épreuves et douleurs endurées ensemble.
La vie en communion traverse toute la société. Voilà ce que confinement et couvre-feu viennent bouleverser et importuner par distension du lien social ; mais il est si profondément ancré que jamais il ne rompra. Pas d’inquiétude à se faire de ce côté-ci.
C/ Cloisonnement entre zones urbaines et rurales.
Ce cloisonnement résulte de la fermeture de la circulation entre les villes. Ce qui revient à isoler les zones rurales de celles urbaines. Or le découpage territorial et l’organisation administrative sont tels que les petites villes et le monde rural sont à bien des égards tributaires des grands centres politiques, économiques et administratifs.
Si à cela on ajoute les énormes disparités entre les villes, entre agglomérations urbaines et villes rurales, on saisit tous les problèmes auxquels pourraient être exposés les habitants des petites villes et des zones rurales quand il s’agira pour eux d’effectuer certaines démarches administratives, par exemple ; ou de se procurer certains produits ou denrées alimentaires.
Ces problèmes doivent être pris en charge en vue d’enrayer les effets négatifs de l’interdiction de circuler et de se déplacer entre les localités. Et l’occasion faisant le larron, il faut veiller à ce que le cloisonnement et la situation pandémique, propices à des dérives, ne créent des satrapes dans les localités cloisonnées.
Observons ici que la pandémie et ses corollaires, le confinement et le cloisonnement, soulèvent en arrière-plan un vrai problème de déconcentration et de décentralisation qu’il serait bienvenu de soumettre à la réflexion de tout le monde. Il est permis d’espérer que de cette pandémie, encore présente, naîtra un monde meilleur, parce qu’elle aura permis aux puissances de redécouvrir leurs vulnérabilités et aux hommes leurs fragilités.
L’une des fonctions d’une épreuve de cette nature, c’est qu’elle nous renseigne sur nous-mêmes tout en nous révélant aux autres. Qu’en l’occurrence gouvernants et gouvernés redécouvrent ce que l’Homme a de meilleur en lui, humanité et dignité, esprit de solidarité, fraternité…, voilà une autre raison d’espérer.
Mais ne tombons pas dans l’angélisme ; n’oublions jamais que les démons de tous les grands maux d’hier et d’aujourd’hui sont toujours là, sans doute momentanément paralysés par le covid-19, mais guettant sans cesse la moindre occasion pour caresser ce qu’il y a d’animal chez l’Homme.
Quoi qu’il en soit, il s’agit aujourd’hui pour nous de neutraliser la pandémie et d’anticiper les crises à venir. Dans cette perspective, il faut résolument s’orienter vers la construction et la consolidation d’un État de droit.
Dans ce cadre, il importe dès maintenant de réhabiliter notre administration, nos services publics, hospitaliers notamment. Dans cette optique, il faut les concevoir pour qu’ils puissent fonctionner dans de très bonnes conditions et qu’ils soient à même de réaliser leurs missions en toutes circonstances. Il est impératif pour ce faire de mettre l’accent sur la compétence, de privilégier l’organisation et le mérite dans le travail.
BOYE Alassane Harouna
L’Eveil Hebdo (Mauritanie)