Une dizaine de membres de l’ONG IRA (Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste), qui lutte contre l’esclavage, ont été arrêtés le 11 novembre dans la ville de Rosso, au sud de la Mauritanie. Lundi, deux autres membres de l’association qui appelaient à une manifestation de soutien aux militants retenus à Rosso ont à leur tour été arrêtés à Nouakchott, la capitale du pays.
La justice mauritanienne reproche aux militants anti-esclavage d’avoir tenu des propos racistes au cours du voyage de leur caravane qui a sillonné la vallée du fleuve Sénégal pendant quelques jours pour « faire la lumière sur l’esclavage », sujet sensible dans le pays. Rosso, située à la frontière avec le Sénégal, était la destination finale de cette caravane. Les militants de l’IRA sont accusés d’avoir fait de ces rassemblements une « occasion de propagande raciste, de propos semant la haine entre les populations ». La police a également ordonné la fermeture du centre de l’IRA à Nouakchott.
VICE News a parlé avec Hamady Lehbouss, le conseiller du président de l’IRA, Biram Dah Abeid, qui figure parmi les militants en détention. Pour lui, la caravane gênait les autorités : « Cette caravane dérangeait car elle était très populaire. Elle faisait pression sur le gouvernement qui voulait l’empêcher de délivrer son message aux esclaves. »
« Le gouvernement fait tout pour protéger les esclavagistes. S’il emprisonne un esclavagiste, cela veut dire qu’il va emprisonner un ministre ou un gouverneur, » accuse Hamady Lehbouss.
La Mauritanie est le pays du monde qui compte la plus grande proportion d’esclaves par rapport à sa population, d’après le dernier rapport de la fondation australienne Walk Free. Publié ce lundi, le texte montre que 4 % de la population est touchée, soit 150 000 des 3,8 millions d’habitants du pays. « L’esclavage est enraciné dans la société mauritanienne », souligne le rapport. Ce sont les « Maures noirs » qui sont asservis par les « Maures blancs », de génération en génération, depuis l’arrivée des Arabes berbères dans ce pays d’Afrique de l’Ouest au XIe siècle.
On trouve la plupart des esclaves dans le désert, où ils travaillent une terre qui ne leur appartient pas. Ils n’ont pas accès à l’école, à la propriété, et ne peuvent pas se marier sans la permission de leurs maîtres.
Depuis 2007, date à laquelle une loi criminalisant l’esclavage est entrée en vigueur, les esclavagistes encourent de cinq à dix ans de prison. Mais la loi est loin d’être appliquée. Fondée en 2008, dans le but de faire respecter cette loi, l’IRA n’a jamais été reconnue par l’État. Elle est seulement tolérée.
Biram Dah Abeid, 49 ans, est le fondateur et président de l’organisation. Il a reçu l’an dernier le prix des droits de l’homme de l’ONU, une récompense décernée tous les cinq ans. En outre, il a été candidat à l’élection présidentielle mauritanienne en juin dernier, où il est arrivé deuxième, avec un score d’un peu plus de 8 % des voix – le président sortant Mohamed Ould Abdel Aziz a été réélu au premier tour le 21 juin avec près de 82 % des voix.
En 2012, Biram Dah Abeid, ce musulman descendant d’esclave avait été emprisonné après avoir brûlé publiquement des livres de droit musulman du rite malikite qui détaillent l’exploitation des esclaves par les maîtres, et qu’il juge partiellement responsable de l’esclavage.
L’importance du pouvoir religieux dans cette République islamique pèse sur la question de l’esclavage, a expliqué à VICE News le docteur Mohamed Yahya Ould Ciré, auteur du livre : La Mauritanie, entre l’esclavage et le racisme , et président de l’association des Haratines de Mauritanie en Europe, qui lutte également pour l’abolition de l’esclavage. Voir la vidéo : http://haratine.com/Site/?p=1369
« Il y a un mois, un imam de la grande mosquée de Nouakchott a appelé à tuer les militants antiesclavagistes, » raconte-t-il. « Certains islamistes pensent justifier l’esclavage par l’islam. Ce n’est pas anodin que peu après ce prêche, des militants abolitionnistes soient arrêtés. » En octobre, quatre membres de l’IRA avaient été appréhendés après avoir réagi à des critique formulées contre leur organisation. Ils ont été accusés d’avoir perturbé le déroulement des prières et incité à la révolte, entre autres chefs d’inculpation. Ils sont toujours maintenus en détention sans date de jugement.
L’association Amnesty International a dénoncé mercredi 12 novembre la pression croissante dont est victime Biram Dah Abeid, comme d’autres militants anti-esclavage. VICE News a contacté Sadibou Maroug, porte-parole d’Amnesty International à Dakar. Il considère que les militants en Mauritanie sont victimes de harcèlement. « Nous estimons que cette arrestation fait partie d’une répression généralisée qui constitue une violation des droits à la réunion, » a-t-il ajouté.
À cette répression, s’ajoutent de mauvaises conditions de détention, ajoutent les autorités. Le site de l’IRA dénonce les manques de soins apportés au docteur Saad Louleyd, le porte-parole de l’association qui a été lui aussi arrêté : « On l’a empêché d’avoir ses médicaments alors qu’il est diabétique, de dormir pendant plusieurs jours, et de se laver pendant 6 jours. »
Le gouvernement mauritanien a quant à lui déploré « La surenchère et la manipulation politique, sources de division et menaces contre la cohésion nationale » au sujet de la question de l’esclavage en Mauritanie, d’après l’hebdomadaire Le Calam, qui reprend une déclaration rendue publique mardi soir.
Par Melodie Bouchaud
LE 20 novembre 2014
Source : VICE News