Accès des femmes à la propriété foncière au Gorgol : les coutumes contredisent les lois

Accès des femmes à la propriété foncière au Gorgol : les coutumes contredisent les loisAu Gorgol, l’accès des femmes à la propriété foncière constitue aujourd’hui une des difficultés majeures de l’expression de leur droit. Le combat pour l’effectivité de ce droit face aux forces de résistances d’origine socio culturels, administratives et juridiques impose un regard pour mieux comprendre les enjeux.

La wilaya du Gorgol est située à plus de 400 km au sud Est de la capitale Nouakchott, au bord du fleuve Sénégal. Attenante sur fleuve Sénégal, elle a un potentiel important de terres arables et fertiles qui lui conféraient jadis le statut de « grenier du pays ».

Au-delà de Cette position stratégique qui alimente les convoitises pour l’exploitation des terres agricoles, la question de la propriété foncière se pose avec acuité avec une forte dose d’exclusion des femmes.

Avec une densité de 24,7 habitants /Km2, la wilaya est habitée par 52,2% de femmes selon le RGPH de 2013. Deux principaux types de cultures y sont pratiqués : la décrue dans walo et la culture sous pluie dans le Dieri.


Aperçu de la carte du Gorgol

Il faut noter que si les terres du walo sont soumises au régime familial d’exploitation avec des grands propriétaires terriens, celles du dieri se dédouanent de cette contrainte exclusive.

Deux grands périmètres à Kaédi

Après les années de grande sécheresse qui ont posé d’énormes problèmes de résilience aux populations, l’Etat, avec les opportunités de l’organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal(OMVS), a engagé des aménagements agricoles pour la riziculture sur des terres du walo.

Le Périmètre pilote du Gorgol (PPGI) a vu le jour en 1977 avec une superficie 700 hectares. Vingt ans après, le PPGII de 1188 fut aménagé.

Autres périmètres

A côté de ces grandes réalisations, suivront le barrage hydro-agricole de Foum Gleita dans la Moughataa de M’bout, Maghama décrue et l’érection d’une multitude de petits périmètres villageois ou privés, tous destinés à la production vivrière.

Périmètre Surface(Ha) Nombre de coopératives Nombre de coopératives
exploitante Présidente de coop
PPGI  700              30 0 0
PPGII  1188            23

Source : SONADER

Périmètres exclusivement gérés par des hommes

Toutes les coopératives issues de ces grands périmètres (PPGI et PPGII) sont gérées par les hommes. Aucune femme n’est présente dans la cellule de base (coopérative) et encore moins dans la fédération. Au niveau des périmètres villageois, la configuration ne change pas, elle devient même pire en milieu rural ou la persistance du patriarcat mêlé à l’analphabétisme et à l’ignorance des droits par les femmes, se pose beaucoup plus contrairement au milieu urbain ou semi urbain.

Selon une étude menée par la banque mondiale sur la question foncière en septembre 2015, les titres de propriétés désagrégés par sexe du propriétaire donnent les résultats suivants dans le Gorgol : sur un total de 897 hommes, 97,3% ont pu s’offrir un titre contre 2,7% de femmes sur un total de 25.

Au plan national, et à la même période, sur les 27 000 titres enregistrés au niveau de la Direction Générale et du patrimoine de l’Etat au Ministère des Finances, seulement 2146 soit un peu moins de 8% sont détenus par des femmes. Cette proportion avoisine moins de 5% pour les terres de la vallée, y compris le Gorgol.

Le Forum national de défense des droits humains (FONADH) et le réseau des organisations pour la sécurité alimentaire (Rosa) ont respectivement introduit 160 et 111 dossiers de coopérative des femmes aspirant à la propriété foncière entre 2016 et 2019. Ces dossiers restent bloqués au niveau de la Moughataa (préfecture) de Kaédi.

Persistance des pratiques coutumières


Des femmes qui exploitent la terre en Assaba

L’exploitation de ces surfaces aménagées est accompagnée d’un autre type d’organisation nouvelle, jusque-là ignorée par des exploitants habitués au genre familial. Cette organisation est fondée sur la mise en place des coopératives même si par ailleurs, l’attribution des terres après aménagement s’est inspirée de la notion de « propriétaire terrien », survivance du droit coutumier qui prive d’avance les femmes de l’accès et de la sécurisation foncière.

Ce droit est devenu aujourd’hui caduque au regard de l’ordonnance N°83-127 du 05 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale qui dispose en son article 3 que « le système de la tenure traditionnelle du sol est aboli ». Des pesanteur sociales ralentissent fortement l’application de cette loi. Et, la non-effectivité des décrets d’application y afférant rend encore plus complexe la gouvernance foncière.

Même si au plan juridique aucune mesure ne limite l’accès des femmes à la propriété foncière, la tenure traditionnelle demeure encore un levier de domination qui continue de prospérer en raison des facteurs entre autres liés à l’accès limité des femmes à l’information sur le processus d’acquisition de la propriété foncière. La discrimination persiste parce que les coutumes sont encore plus fortes que les lois.

Les femmes ignorent les dispositions modernes. Les détenteurs des terres, milieu rural, continuent de croire que leur « patrimoine foncier » reste en l’état au regard du principe de lignage corroboré par des considérations coutumières loin d’être inclusives, mais, encore entretenues et vivaces dans les esprits.

Ces pratiques ne sont pas justifiables par la charia qui leur oppose un argumentaire religieux consolidé par les différentes sources, dont les hadiths.

Les changements attendus dans la féminisation de l’accès à la terre, assortie de propriété, sont loin de se réaliser. Dans la plupart des cas où les femmes mènent les activités, les terres sont soient données par les hommes sans aucune forme juridique ou prêtées par une bonne volonté.

La coopérative de woloum Néré, une commune située à 25 kilomètres à l’ouest de Kaédi, illustre bien ce caractère aléatoire car une superficie a été donnée de manière verbale aux femmes.

Les coopératives comme alternative ou voie de recours ?

Les femmes sont absentes sur les grands aménagements. Elles sont cependant très remarquées par leur dynamisme dans la mise en place des coopératives féminines beaucoup plus orientées vers la culture maraichère. Elles s’y activent pour valoriser les petites surfaces mises à leur disposition comme on en trouve le plus souvent sur un pan des périmètres aménagés aussi bien au PPGI à Kaédi ou sur le périmètre de 100 hectares de Bélinabée (village situé à moins de 10Km de Kaédi) ou elles n’exploitent que 3 à 5 hectares en culture maraichère. Une manière de contourner l’accès individuel à la propriété foncière et les entraves qui y sont liées.

6000 coopératives féminines


Des femmes qui exploitent un jardin maraîcher

Selon le Délégué Régional du Ministère du développement Rural au Gorgol, Dah Ould Zerough, le recensement des coopératives effectué en 2015 montre que 6000 coopératives féminines sont enregistrées au niveau de la délégation régionale et qui viennent s’ajouter à celles agréées à la coordinatrice régionale du MASEF (Ministère de l’Action Sociale, de l’enfance et de la famille) qui s’élèvent à 1102.

La ruée des femmes vers cette activité est une réponse à l’exclusion totale dont elles sont victimes et constitue dans une certaine mesure une alternative de moindre mal pour accéder au foncier en privilégiant le collectif par rapport à l’individuel. Malgré ce cheminement qui leur ouvre une soupape de respiration face aux résistances, jamais, elles ne sont au bout de leur peine pour sécuriser leurs terres.

A défaut de pouvoir se procurer une propriété foncière, le Ministère du développement rural a mis en place une procédure de facilitation qui met l’accent sur des critères dont le principal est l’attestation d’une autorité locale qui garantit que la zone d’exploitation ne souffre d’aucun litige. Un recours pour accéder à la culture de la terre faute de trouver mieux mais qui s’avère en même temps un filtre pour que ces coopératives soient éligibles.

Cette activité qui est un recours faute de trouver mieux, ne satisfait point l’ensemble des coopératives soutient le délégué régional. Une seule coopérative qui excelle dans l’exploitation de la patate douce située dans la commune de lahrache, Moughataa de Mbout, précisément dans la localité de Legreavatt, a pu se détacher du lot.

Des jardins partout

Nonobstant les limites causées par, entre autres difficultés, l’absence d’investissement, le manque d’approvisionnement en eau, pour certaines coopératives , les problèmes de constitution, d’organisation et de gestion pour d’autres , la hausse du nombre de terrains à usage maraîcher dans tous les quartiers de la ville de Kaédi tout comme dans toutes les communes et agglomérations reste visible.

Malgré l’existence des procédures qui encadrent la gestion de la question foncière, son accès pour les femmes demeure encore timide, voire inexistant.

En effet, selon le premier article de l’ordonnance citée plus haut « la terre appartient à la nation et tout mauritanien, sans discrimination peut en se conformant à la loi, en devenir propriétaire, pour partie » donc à priori , aucune disposition juridique ou statutaire ne prive la femme de la propriété foncière, et mieux l’Etat reconnait et garantit la propriété foncière privée.

Malgré tout, les femmes sont exclues de la propriété foncière. Même en cas de décès d’un chef de famille, la partie de l’héritage portant sur les terres cultivable revient exclusivement aux hommes.

Blocages administratif et confusions

En Mauritanie, la gouvernance foncière reste tributaire de l’absence de clarification des responsabilités au plus haut niveau de l’état. En effet si l’on assiste aux différentes dénominations des ministères, l’on constate qu’en matière de gestion foncière, le flou subsiste surtout au sujet de transfert de compétence.

Car à une certaine époque, le ministère des finances s’occupait de l’attribution des terres tandis que le ministère de l’habitat, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire s’occupait de leur gestion.

De nos jours d’autres ministères comme celui du développement rural et de l’intérieur principalement interviennent dans l’attribution des terres. comme si le mépris s’abat sur la question foncière, le cadre institutionnel officiellement couvert par la Direction Générale des domaines et du patrimoine de l’état souffre du mécanisme de décentralisation et de proximité lié à l’inexistence dans la région du Gorgol de ses principaux services de cadastre, des affaires domaniales, de la conservation de la propriété foncière et de coordination de structures régionales comme le service régional chargé du foncier qui jouait tout au moins le rôle d’interface entre les détenteurs du pouvoir et ceux du droit.

Toutes choses qui ne font qu’amplifier les difficultés liées à la gouvernance foncière qui se traduisent aussi bien au niveau urbain que rural par des occupations illégales voire d’usurpation sources de conflits. Toutefois, on note dans les organes de gestion domaniale en zone rurale que les commissions foncières de la Wilaya et de la Moughataa respectivement présidées par le Wali et le Hakem existent et font office d’organe de gestions collégiales des terres domaniales.

Malgré l’existence de ces instruments au plan régional et départemental, au-delà des considérations tentaculaires de la gestion du patrimoine foncier, force est de constater chez les autorités administratives locales une certaine méfiance dans le traitement de la question foncière. selon l’ONG FONADH partenaire d’OXFAM, qui intervient depuis 2016 sur la question foncière dans les communes de Kaédi, Nére Walo, Lexeiba et Djeol, sur plus de 134 demandes de régularisation introduites par les femmes en coopérative auprès de la Moughataa, aucune n’a abouti.

Dossiers bloqués

Le même son de cloche est repris par l’antenne locale du Réseau des ONG sur la sécurité alimentaire (ROSA) qui met en œuvre depuis juillet 2019 le projet intitulé « Justice sociale et résilience à travers la réduction des inégalités en Mauritanie » sur financement d’OXFAM et la coopération espagnole.

Dans ses démarches de sensibilisation pour accompagner les femmes dans l’exercice de leur droit en matière de propriété foncière, cette structure a enregistré 111 dossiers dont 28 traités et soumis à l’appréciation de l’administration départementale.

Aux dernières nouvelles, les dossiers ne sont pas transmis sous prétexte qu’une nouvelle loi est en cours d’élaboration. Il parait donc évident que dans un domaine aussi vital qui concerne des milliers de citoyens, le cafouillage administratif édulcoré par un habillage juridique laisse trop de place à l’interprétation approximative des lois.

L’acquisition de la propriété foncière reste également plombée par la non traduction dans les faits du document sur les procédures d’obtention du titre foncier dont toutes les étapes et démarches sont codifiées, et avec toutes les conditions juridiques et administratives requises.

Les femmes exclues de l’héritage foncier

L’héritage du patrimoine foncier est d’ascendance patriarcale dans les sociétés négro africaines de la vallée, donc tributaire de la famille dont les seuls représentants sont les hommes. La femme, même membre de la famille, est tenue à l’écart du bien foncier malgré la charia qui lui confère une partie de l’héritage. L’ancrage de cette pratique ancestrale, silencieuse continue à faire des victimes au sein de la gent féminine.

Début de contestations

Une situation de plus en plus décriée par les femmes, aidées en cela par les nouvelles politiques foncières mises en œuvre par l’Etat d’une part et d’autre part par le courant mondial nourri par les ONG et d’autres structures qui font de l’autonomisation de femme un argument clé de droit.

Par Seybany Diagana

Source : Le Reflet (Mauritanie)