Des scientifiques se tirent les chignons à propos de la chloroquine, une molécule dont l’utilisation s’est amoindrie depuis la résistance du parasite, responsable du paludisme. D’après le « Manuel de prévention et traitement de Covid-19 », traduit en Anglais et en vigueur en Chine, la prescription de la chloroquine phosphate est suggérée en deuxième intention après échec des antiviraux. Il se base sur une expérience des scientifiques du pays après traitement pendant sept jours d’une cinquantaine de malades de 18 à 65 ans et ayant poids d’au moins cinquante kilogrammes. Il semble y avoir eu un reculons puisque ces mêmes scientifiques reconnaissent désormais que son administration requiert un suivi strict de la toxicité qui les a conduit à réduire les doses administrées.
L’efficacité prônée de la chloroquine n’a pas convaincu un bon nombre de scientifiques, de par le monde, compte tenu de la non utilisation des méthodologies standardisées reconnues pour en faire la preuve. Par ailleurs des études comparatives supportées par le gouvernement chinois et basées sur des échantillons de tailles semblables, avec des groupes dits « contrôle » et utilisant une chloroquine plus tolérée (hydroxy-chloroquine) ont montré qu’il n’y a pas de différence entre les sujets traités avec ce médicament et ceux qui ne l’ont pas été. Il ne semble pas y avoir de polémique du côté de l’Empire du Milieu sur l’utilisation de la chloroquine ; le fait que les dons de matériel du milliardaire chinois Jack Ma, à plusieurs pays, n’incluent pas de chloroquine serait un indicateur non négligeable de la position de la chine sur le traitement du Covid-19 avec cette molécule .
C’est dans ce contexte que le débat s’est implanté en France où un éminent professeur a déclaré avoir traité vingt-quatre malades atteints de Covid-19 avec la chloroquine suite à l’expérience en chine, et a conclu à son efficacité et poussé pour son utilisation immédiate pour réduire la mortalité du Covid-19. Plusieurs de ses confrères réfutent ses conclusions faute de méthodologie rigoureuse y compris le nombre de malades; certains d’entre eux sont déjà engagés dans la recherche sur l’efficacité de nouveaux médicaments pour traiter le Covid-19 avec des protocoles approuvés qui ont depuis inclus la chloroquine. Face à la résistance, l’illustre professeur menace, sur la base du serment d’Hippocrate, d’utiliser contre vents et marées ce médicament pour traiter ses malades. Faisant fi, semble-t-il, de l’injonction de la haute autorité pour qu’il « rentre dans le rang ». Pour mémoire ce serment que beaucoup ont prêté dit quelque part « …je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice… ». Ce qui pourrait être aussi interprété dans l’esprit de « primum non nocere » ou « d’abord ne pas nuire » : un médicament non reconnu, pour une nouvelle thérapie avec un nouveau dosage, peut être nocif jusqu’à preuve du contraire. Force est de constater qu’un bon nombre de scientifiques d’ailleurs ne semblent pas être très emballés par cette polémique dans l’Hexagone, plutôt perçue comme une cacophonie francophone ; ils s’en tiennent à la position de la référence en la santé publique internationale qui dit à ce jour « il n’y a pas d’évidence de l’efficacité de la chloroquine phosphate ».
La chloroquine est ainsi devenue « une chloroquine politique » puisqu’elle n’a pas manqué d’oreilles attentives à l’affut , la conclusion de l’éminent professeur est interprétée par certains comme preuve formelle d’efficacité du médicament ; pas besoin d’attendre clament ses disciples immédiats. Un œil radar notera que depuis, les tentacules des fabricants de la molécule sont déjà en mouvement vers des pays d’une Afrique jugée maillon faible de la réponse à la pandémie. La chloroquine est déjà prescrite pour traiter les patients avec Covid-19 dans des pays francophones de l’Ouest et du Centre. Des pharmacies y ont été vidées un peu partout de leurs rares stocks, ouvrant la porte à une automédication abusive. Or, sans chloroquine, la faible mortalité du Covid-19 en Afrique est jusque-là très honorable. Une firme pharmaceutique implantée dans un pays influent de l’Afrique du Nord, où elle a écoulé ses stocks, pourrait sans difficulté user de réseaux politiques bien huilés et de scientifiques adeptes du Professeur de Marseille qui, pensent-ils ne peut se tromper. Ainsi des médecins assermentés seront amenés, dans les États où la déontologie est relaxe et les comités éthiques marginalisés, à prescrire suite à un arrêté ministériel une molécule non encore agréée. Le tout facilité par un environnement où des populistes, agitant des slogans comme « refus d’accessibilité au peuple à un médicament pas cher », se référent au pays de l’Oncle Sam où la chloroquine est qualifiée de « don de Dieu » en cette année électorale.
Toute cette controverse n’est pas sans rappeler le fiasco du médicament antiviral Oseltamivir lors de la dernière pandémie due au virus H1N1 en 2009. Lorsqu’il fut agréé à la suite de fortes pressions, les fabricants en avaient très rapidement produit des quantités phénoménales qui ont expiré dans les stocks de plusieurs pays, après que l’arnaque sous-jacente ait été découverte. Cette mauvaise expérience pourrait avoir influencé la prise de décision sur la chloroquine dans le contexte de Covid-19. Si elle revenait par la grande porte, la chloroquine pourrait avoir de beaux jours devant elle en raison de la faiblesse de l’immunité collective que provoqueraient les stratégies de confinement largement adoptées. Celles-ci pourraient vraisemblablement induire de nouvelles flambées de Covid-19 dans les prochaines années. En tout état de cause, le confinement sous clé de la chloroquine dans les hôpitaux devrait être de rigueur.
Par Dr Idrissa Sow, Médecin de sante publique, Indépendant