Enjeux de la dépénalisation de l’émission de chèques sans provision. Par maître Taleb Khyar*

 

Enjeux de la dépénalisation de l’émission de chèques sans provision. Par maître Taleb Khyar*

Emettre un chèque sans provision ne devrait pas être une cause objective d’irresponsabilité, or tel serait le cas si cette irresponsabilité trouvait sa source dans la loi, et c’est pour cette raison qu’une dépénalisation à sec d’un tel fait, incriminé à ce jour comme un délit exposant son auteur à cinq ans (5) d’emprisonnement, serait une menace à la paix publique, si elle n’était pas atténuée par des mesures d’accompagnement, suffisamment dissuasives, pour éviter un recours immodéré à ce mode de paiement pour lequel les mauritaniens ont déjà un goût prononcé, même si c’est pour des motifs à la lisière de la légalité.

Le chèque, comme le virement, est un mode de paiement, et en accord avec l’article 956 du code de commerce mauritanien, tout paiement d’une valeur supérieure à dix mille MRU, entre commerçants ou pour faits de commerce, doit se faire par chèque barré ou par virement, sous peine d’exposer solidairement, tireur et bénéficiaire, à une amende portée à 5% du montant du chèque.

Or le virement considéré par la littérature bancaire, comme une alternative au paiement par chèque, ne présente pas les même commodités que ce dernier puisqu’il s’agit d’un transfert de fonds d’un compte à un autre par un simple jeu d’écritures, et qu’en l’absence de comptes détenus par le donneur d’ordre et le bénéficiaire, aucun virement n’est envisageable ; qu’en outre, les virements suscitent de la méfiance chez les banquiers, vue l’implication grandissante des banques dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

C’est ainsi que, côté banquiers, les incidents relatifs aux virements peuvent revêtir des formes multiples : paiement erroné ou non autorisé, retard dans l’exécution, refus d’exécuter.

Enfin, les procédés dérivés du virement traditionnel, comme le titre universel de paiement et l’avis de prélèvement n’ont pas encore été intégrés par notre culture bancaire qui reste primaire, pour ne pas dire archaïque ; Il en va de même pour la carte de paiement qui pourtant, connaît ailleurs un développement fulgurant au détriment du chèque.

C’est pour toutes ces raisons, à la fois légales et factuelles, que le chèque comme mode de paiement est encore un instrument incontournable dans le quotidien du mauritanien et plus particulièrement dans celui du commerçant, et c’est ainsi que lorsqu’un acteur économique, est contraint de transiger par chèque, au-delà d’un certain montant, comme le prévoit la loi, il devrait se sentir sécurisé contre le manque de provision, l’auteur du chèque sachant que désormais, un tel défaut ne l’expose plus à une quelconque sanction privative de liberté.

Il faudra donc que la dépénalisation de l’émission du chèque sans provision se limite sans plus, à l’abrogation du code de commerce en son article 964 alinéa 1° qui sanctionne l’émission de chèque sans provision d’un emprisonnement d’un (1) à cinq (5) ans.

Tous les autres cas d’incrimination prévus par cet article seront maintenus, et tous les textes à caractère général prévus par le Titre III du code de commerce qui traite du chèque, devront revêtir un caractère exclusivement répressif, ceux dont les sanctions ne prévoyant que des pénalités libératoires, devant être modifiés, pour ne plus avoir qu’un caractère privatif de liberté.

Il faudra par ailleurs qu’on réfléchisse à la mise en place d’un code monétaire et financier, les marges de modifications de notre code de commerce, ayant largement surpassé leurs limites, ce qui caractérise d’année en année son caractère de plus en plus obsolète, alors que l’actualité financière est un défi permanent.

A défaut du délit d’émission de chèques sans provision qui en sera exclu, ce code monétaire et financier, dans sa partie réservée aux chèques retiendra, le délit d’émission de chèques en violation d’une interdiction bancaire ou judiciaire, ainsi que le retrait de la provision, l’opposition au paiement du chèque, l’acceptation ou l’endos d’un chèque sans provision, la contrefaçon, la falsification d’un chèque ou l’acceptation d’un chèque falsifié, outre la sanction de la contrefaçon et de la falsification de cartes de paiement ou de retrait, avec une peine sévère pour ceux qui utilisent les équipements, instruments, programmes informatiques spécialement adaptés, pour commettre de tels méfaits.

Toutes ces infractions seront sanctionnées comme des délits exposant leur (s) auteur (s) à des peines d’emprisonnement d’un (1) an à cinq (5) ans.

Il va de soi que le code monétaire et financier, dont la rédaction est d’une grande opportunité comme elle est vivement attendue et souhaitée, ne concernera pas seulement le chèque, mais aura le mérite de nous édifier, sur notre environnement économique immédiat, à défaut de la mise en place d’un marché financier, dont le besoin se fait pressant, à l’ombre d’une économie globale de plus en plus financiarisée.

*Maître Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud
*Avocat à la Cour
*Ancien membre du Conseil de l’Ordre

 

Source : Maitre Taleb Khyar Mohamed