Cette règlementation en date de 2018, qui limitait l’inscription des nouveaux étudiants dans les universités publiques du pays aux bacheliers âgés de 24 ans maximum, touchant de manière disproportionnée les bacheliers disposant de faibles revenus.
Depuis début octobre, des manifestants, pour la plupart bacheliers, organisaient des rassemblements quasi quotidiens près du ministère de l’Enseignement supérieur à Nouakchott, la capitale.
La police a régulièrement dispersé ces manifestants, en faisant manifestement usage d’une force excessive. Les mesures prises par la police le 5 novembre contre les manifestants ont amené au moins 15 personnes à recevoir des soins dans un hôpital de Nouakchott. Une des manifestantes, Maryam Atallah, a perdu connaissance après avoir été frappée à la tête par la police. Les autorités devraient enquêter sur le comportement des forces de sécurité lors de ces manifestations et faire traduire en justice les auteurs de ces violations.
« Le gouvernement a agi comme il se doit en supprimant les réglementations discriminatoires interdisant aux bacheliers d’accéder à l’enseignement supérieur », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les Mauritaniens ne doivent pas perdre l’occasion de poursuivre des études supérieures simplement parce qu’ils ont atteint l’âge de 25 ans révolus. »
En Mauritanie, l’admission dans un établissement d’enseignement supérieur public repose sur les résultats obtenus par un étudiant potentiel en dernière année du cycle secondaire. Les candidats éligibles doivent s’inscrire à l’université sur une plateforme en ligne centralisée et ne sont informés, au terme de la période d’enregistrement, que de leur domaine d’études principal.
Le gouvernement avait justifié la règlementation de 2018, imposée par le ministre de l’Enseignement supérieur, Sidi Ould Salem, comme une mesure cohérente avec la politique en vigueur dans d’autres pays d’Afrique. En 2018, après un tollé général, les autorités ont assoupli la restriction qui aurait touché 1 400 bacheliers à l’époque. Les critiques soutiennent que cela a nui de manière disproportionnée aux bacheliers pauvres, qui mettent généralement davantage de temps à terminer leurs études et sont moins en mesure de s’acquitter des frais de scolarité des établissements privés.
Les établissements d’enseignement supérieur mauritaniens avaient déjà fixé des seuils d’âge plus limités aux inscriptions, notamment celui de 22 ans maximum pour les nouveaux étudiants en médecine. La décision de 2018 était plus radicale.
Le 6 novembre, un comité ministériel sur la réforme de l’enseignement supérieur a annoncé que les futurs étudiants âgés de plus de 24 ans seraient autorisés à s’inscrire pour l’année universitaire en cours. Le changement affectera environ 700 étudiants potentiels.
Le comité ministériel a également indiqué qu’une décision finale est en attente au sujet d’une réforme complète de l’enseignement supérieur, à l’ordre du jour du gouvernement. Le Président Mohamed Ould Ghazouani, qui a pris ses fonctions le 1er août, a déclaré, lors d’une allocution devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre, qu’il avait l’intention d’améliorer le système éducatif mauritanien.
Human Rights Watch s’est entretenu avec trois étudiants potentiels ayant déclaré avoir été empêchés de s’inscrire cette année en raison de leur âge, ainsi qu’avec le responsable d’une association de bacheliers et d’étudiants, un militant des droits humains et un journaliste.
Des manifestants ont déclaré à Human Rights Watch que la police avait passé à tabac plusieurs d’entre eux lors de rassemblements pacifiques qui se sont déroulées en plusieurs occasions. Human Rights Watch a examiné des vidéos et des photos qui paraissaient cohérentes avec les témoignages des manifestants. La page Facebook d’une association de bacheliers et d’étudiants montre une vidéo datée du 6 novembre dans laquelle la police, en tenue anti-émeute, matraque des manifestants apparemment pacifiques et traîne une personne sur le dos dans la rue.
« La plupart des [étudiants potentiels] concernés sont pauvres. En Mauritanie, l’enseignement public est de faible qualité, c’est la raison pour laquelle les élèves redoublent plusieurs fois. Les plus aisés, en revanche, peuvent s’offrir une éducation privée », a déclaré Ahmed Mukhtar, président du Syndicat national des étudiants, lui-même étudiant en économie à l’Université de Nouakchott.
Après les manifestations de 2018, a-t-il précisé, le gouvernement avait annoncé des « mesures exceptionnelles » pour orienter les bacheliers concernés vers des cursus qui ne leur convenaient pas, tels que la formation professionnelle.
L’un des étudiants potentiels, Mohamed Maa Eleinein Sid Elkheir, âgé de 25 ans, s’est ainsi vu refuser l’admission à l’étude du droit au motif de son âge. Amad Mohamed Khatri a déclaré avoir passé avec succès son baccalauréat en 2019, après avoir repassé cet examen trois années consécutives. Il a déclaré que des problèmes financiers l’avaient empêché de terminer le lycée plus tôt.
Lors des manifestations, les bacheliers sont restés regroupés, brandissant des bannières rejetant la règlementation. Les personnes interrogées ont déclaré que la police se servait régulièrement de matraques électriques et frappait les manifestants à l’aide de bâtons pour les disperser, généralement après 22 heures.
Mukhtar, qui a rejoint les manifestations par solidarité avec les bacheliers concernés, a déclaré avoir été passé à tabac le 23 octobre : d’après son témoignage, un groupe de jeunes gens « essayait de traverser la rue pour manifester devant le ministère, lorsque la police est venue et a commencé à nous frapper. J’ai essayé de protéger les autres, mais un policier avec une matraque électrique s’en est pris à moi. J’ai été frappé aux bras, aux côtés et aux cuisses. »
Atallah, âgée de 27 ans, étudiante en droit, a déclaré que des problèmes financiers l’avaient empêchée d’obtenir son baccalauréat plus tôt. Elle a déclaré qu’avec d’autres étudiants, elle avait commencé à manifester après avoir tenté de rencontrer le ministre de l’Éducation supérieure mais que leur demandé avait été rejetée : « Après quelques jours de manifestations, la police est venue réprimer notre rassemblement pacifique et a commencé à nous violenter à coups de matraque, moi y compris ».
Parmi les manifestants, Attalah et Sid Elkheir ont été roués de coups par la police le 5 novembre. Selon Sid Elkheir, Attalah est même tombée inconsciente. Des photos de l’incident semblent corroborer ces allégations.
« Quand elle [Attalah] a perdu connaissance, j’étais entre les mains de la police qui n’a cessé de me frapper, même si j’étais incapable de bouger. Quand j’ai relevé la tête et me suis retrouvé du côté opposé de la route avec les autres blessés, j’ai vu qu’elle était transportée à l’hôpital, inconsciente », a relaté Sid Elkheir.
En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), la Mauritanie est également tenue de veiller à ce que l’enseignement supérieur « soit rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun ». Selon l’Observation générale 13 relative au droit à l’éducation, la directive faisant autorité en ce qui concerne la mise en œuvre du Pacte en ce domaine, la « capacité » de chacun doit être évaluée à l’aune de l’ensemble des connaissances et de l’expérience des intéressés. D’après ce Commentaire, les pays ne doivent pas invoquer le critère de l’âge pour empêcher les bacheliers d’accéder à l’enseignement supérieur public.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Mauritanie est partie, défend les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Ould Ghazouani doit impérativement demander aux forces de sécurité de l’État de respecter les normes internationales en matière d’application de la loi lors de manifestations, a déclaré Human Rights Watch.
Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois stipulent que les forces de sécurité « auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu » et que « lorsque l’usage légitime de la force ou des armes à feu est inévitable », les responsables de l’application des lois « a) en useront avec modération et leur action sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre » ; « b) s’efforceront de ne causer que le minimum de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique et de respecter et de préserver la vie humaine ».
Les forces de sécurité mauritaniennes sont tenues de respecter ces principes.
Source : Human Rights Watch