La succession du président Mohamed Ould Abdel Aziz déchaîne les passions chez les électeurs mauritaniens. Ceux-ci se sont massés devant les bureaux de vote pour se prononcer lors d’un scrutin très ouvert.
Les Mauritaniens se sont déplacés en nombre, samedi, pour élire le successeur de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui devra préserver la stabilité chèrement conquise par ce vaste pays du Sahel, mais aussi en assurer le développement économique et y faire progresser le respect des droits humains.
Ce scrutin doit marquer la première passation de pouvoirs entre deux présidents élus dans ce pays secoué par de nombreux coups d’État de 1978 à 2008, date du putsch de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui était alors général.
Mais les adversaires du candidat du camp présidentiel, Mohamed Cheikh El-Ghazouani, lui aussi ex-général – M. Ould Abdel Aziz ne pouvant se représenter après deux mandats – dénoncent une volonté de perpétuation d’un régime « militaire » et des risques de fraude.
Parmi ses cinq concurrents, quatre se réclament de l’opposition et se sont engagés à se soutenir en cas de second tour le 6 juillet.
Les bureaux de vote qui ont accueilli toute la journée les quelque 1,5 million d’inscrits (sur 4,5 millions d’habitants) ont fermé comme prévu à 19 h GMT. Les premiers résultats sont attendus en début de semaine prochaine.
À deux heures de la fermeture, le taux de participation s’annonçait plus élevé que d’habitude, « entre 45 et 51 % », a indiqué Mohamed Ould Meïssiga, directeur des opérations électorales de la Commission électorale nationale indépendante (Céni).
Lors de la réélection de M. Ould Abdel Aziz en 2014, scrutin boycotté par les principaux partis d’opposition, la participation avait atteint 54 %.
Plusieurs centres de vote de Nouakchott visités par l’AFP au moment de la fermeture des bureaux affichaient une participation variant entre 68 et 80 %, un taux exceptionnel pour la capitale, où l’on vote généralement moins qu’en province.
Lors d’une rencontre dans l’après-midi, les quatre candidats de l’opposition, dont Sidi Mohamed Ould Boubacar, considéré comme le concurrent le plus sérieux de M. Ghazouani, et le militant antiesclavagiste Biram Ould Dah Ould Abeid, ont dénoncé des irrégularités et l’expulsion de leurs représentants de certains bureaux de vote.
Auparavant, M. Ould Boubacar, ancien chef de gouvernement de transition (2005-2007), avait signalé des « indices inquiétants », citant notamment l’absence d’observateurs internationaux et la composition de la Céni, déséquilibrée en faveur du pouvoir, selon l’opposition.
Changer la situation des gens
Mais la Céni a affirmé n’avoir relevé aucun incident significatif, de même que l’équipe de campagne de M. Ghazouani.
« Notre candidat passera haut la main au premier tour », a assuré son porte-parole, Sidi Ould Domane lors d’une conférence de presse juste avant la fermeture des bureaux.
Hommes et femmes ont fait la queue pour voter côte à côte mais séparément dans cette république islamique, avec des rangs nettement moins fournis pour les femmes. Ils cochaient ensuite sur un bulletin unique le nom d’un des candidats, numérotés et illustrés d’un symbole (balance, épi de blé, lion, clé, théière, bovin).
« Les gens ont besoin d’un président qui va changer leur situation », a déclaré une électrice, Khadaja Boubacar.
Un autre électeur, Abdellahi Ould Vettah, s’est prononcé « pour le changement pacifique », mais « radical », revendiquant « l’égalité, l’éducation, la justice sociale ».
L’opposition s’est dite convaincue de la « volonté de changement » d’une majorité de Mauritaniens. Mais M. Ould Abdel Aziz a prédit à plusieurs reprises un « retour en arrière » aux périodes d’instabilité que le pays a connues si son compagnon d’armes de toujours n’était pas élu.
Il a stabilisé ce pays frappé dans les années 2000 par des attentats jihadistes et les enlèvements d’étrangers en menant une politique volontariste : remise sur pied de l’armée, surveillance accrue du territoire et développement des zones reculées.
Les critiques se focalisent sur les droits fondamentaux, dans une société marquée par des disparités persistantes entre communautés arabo-berbère, haratine (descendants d’esclaves de maîtres arabo-berbères, dont ils partagent la culture) et afro-mauritanienne, généralement de langue maternelle d’ethnies subsahariennes.
La croissance économique, de 3,6 % en 2018, bien qu’en amélioration, reste insuffisante par rapport à la démographie, selon un rapport de la Banque mondiale (BM) publié en mai.
La BM salue le rétablissement de la « stabilité macroéconomique », avec des projections de croissance annuelle de 6,2 % en moyenne sur la période 2019-2021. Mais elle appelle à lever les obstacles au secteur privé, citant en premier lieu les difficultés d’« accès au crédit » et « la corruption ».
Ouest France avec AFP