En dépit des critiques de l’ONU et des ONG, les dirigeants s’obstinent à bafouer les droits des personnes en quête d’asile. Certains avocats estiment que la situation en Méditerranée, où des centaines de migrants ont péri depuis janvier, s’apparente à un « crime contre l’humanité ».
Les politiques migratoires des États membres de l’Union européenne (UE) sont-elles à ce point criminelles qu’elles pourraient valoir un nouveau procès de Nuremberg ? Depuis plusieurs années, le maire de Palerme, Leoluca Orlando, l’appelle de ses vœux.
Et début juin, Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a réceptionné la plainte de deux avocats accusant l’UE de « crime contre l’humanité ». Omer Shatz, membre du Réseau mondial d’action juridique (Glan), et Juan Branco, ancien assistant du premier procureur de la CPI, évoquent des politiques «visant à enrayer à tout prix les flux migratoires vers l’Europe, y compris par le meurtre de milliers de civils (…)».
Pour eux, les dirigeants européens doivent être jugés pour avoir notamment « orchestré, directement et indirectement, l’interception et la détention des 40 000 personnes qui avaient réussi à échapper à l’enfer que la Libye était devenue pour elles ».
La démarche a peu de chance d’aboutir à un procès. Mais, en cette Journée internationale des réfugiés, elle prend une dimension particulière. Un rapport d’initiative législative, adopté le 11 décembre 2018 par le Parlement européen, assure que, depuis l’an 2000, 90 % des individus s’étant vu accorder une protection internationale au sein de l’UE sont arrivés par des voies… irrégulières.
Dans le même temps, près de 30 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe. Conclusion logique de ces deux chiffres : sous prétexte de lutter contre l’immigration clandestine, les dirigeants européens ferment, en réalité, la porte à des milliers de demandeurs d’asile qui pourraient parfaitement prétendre au statut de réfugiés.
En bouclant les frontières, ils les poussent sur des sentiers de plus en plus dangereux pour leur vie. Et vont jusqu’à les livrer, en Libye, à des milices de tortionnaires, financées et formées par leurs soins à chasser ces prétendus envahisseurs dans le désert et dans les eaux internationales.
« Bientot une mer de sang »
Depuis la reprise des combats à Tripoli, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), Médecins sans frontières et d’autres ONG appellent à ce que le maximum de réfugiés fassent l’objet d’une évacuation humanitaire hors de Libye.
Or, « cette année, pour chaque personne évacuée ou réinstallée, au moins deux fois plus ont été renvoyées de force en Libye par les gardes-côtes libyens », déplore SOS Méditerranée dans un communiqué publié le 12 juin.
L’ONG française assure, en outre, que depuis la fermeture des ports italiens, l’été dernier, et la prise en main consécutive par les autorités maritimes libyennes de la zone de recherche et de sauvetage au large des côtes africaines, « 1 151 hommes, femmes et enfants sont morts » noyés « et plus de 10 000 autres renvoyés en Libye ».
Et pourtant, face à ce bilan calamiteux, les dirigeants européens s’obstinent. La sonnette d’alarme tirée par le porte-parole de l’UNHCR, le dimanche 9 juin, ne les aura pas même fait sourciller. « Si nous n’intervenons pas bientôt, il y aura une mer de sang », a-t-il asséné à propos de l’absence de bateau de sauvetage en Méditerranée centrale.
En guise de réponse, les dirigeants des sept pays méditerranéens membres de l’UE, réunis à Malte le 14 juin, se sont fendus d’une déclaration commune demandant que tous les bateaux en Méditerranée « n’empêchent pas l’intervention des garde-côtes libyens »…
Les 41 demandeurs d’asile bloqués à bord du navire de l’ONG allemande Sea-Watch, parce qu’aucun de ces sept pays n’accepte de lui ouvrir un de ses ports, restent sans solution presque une semaine après la clôture de ce nouveau sommet de la honte.
Le droit de passer sans visa
« C’est pourtant un devoir d’humanité posé à l’Europe et à la France », a réagi, hier, le président du Port de Sète, Jean-Claude Gayssot, rappelant que « le droit d’asile fait partie intégrante des droits de l’homme ».
Et doit même « être élargi pour faire face aux crises écologiques et économiques auxquelles le monde va rapidement être confronté ». L’ancien ministre communiste avait déjà proposé, l’été dernier, d’accueillir l’Aquarius de SOS Méditerranée, alors que l’Italie, passée aux mains d’une alliance populiste et xénophobe, refusait pour la première fois de le laisser accoster.
« Ils sont allés jusqu’à retirer, au mois de mars dernier, les bateaux militaires de l’opération “Sophia”, parce qu’eux aussi participaient aux sauvetages, s’insurge l’ancienne eurodéputée du Front de gauche, élue vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, Marie-Christine Vergiat.
Je n’ai plus de mots pour qualifier l’inhumanité de ces politiques migratoires. Il faut trouver un moyen de les stopper. » Les accusations s’accumulent, mais l’indignation ne suffit plus.
Amnesty International rappelle, pour sa part, que le statut de réfugié est bel et bien régi par le droit international, en particulier par la convention de 1951.
Celle-ci interdit aux États de renvoyer une personne vers un pays où elle serait exposée à des violations graves de ses droits humains. Elle consacre aussi le droit, pour cette personne, de franchir une frontière sans visa, ni passeport, pour pouvoir y demander l’asile.
« Sans le respect de ces (…) principes fondamentaux, les réfugiés ne peuvent pas être protégés et pourtant, aujourd’hui dans le monde, (ils) ne sont pas respectés par les États », écrit l’ONG sur la page de son site Internet dédié à ce 20 juin, Journée internationale des réfugiés. À défaut d’une condamnation devant la CPI, cette piqûre de rappel à l’attention des dirigeants européens semble bien nécessaire.
Émilien Urbach
Source : L’Humanité (France)