Mohamed Ould Abdel Aziz ne s’accroche pas au pouvoir. Longtemps la Mauritanie a bruissé de rumeurs sur un changement de constitution pour que l’ancien général auteur d’un coup d’État en 2008, avant d’être élu et réélu en 2009 et 2014, reste durablement aux commandes du pays.
Pour l’élection présidentielle du 22 juin, le président Aziz a finalement choisi de se retirer au profit de son dauphin, Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed dit Ould Ghazouani. L’ancien général et candidat du parti au pouvoir (l’Union pour la République, UPR) est un proche parmi les proches du président qu’il avait d’ailleurs aidé lors du coup d’État en 2008.
Six candidats
Ould Ghazouani, 63 ans, fera face à cinq autres candidats. Parmi eux, deux figures sont connues. Tout d’abord l’ancien premier ministre Ould Boubacar, officiellement indépendant mais soutenu par Tawassoul, l’important parti islamiste de l’opposition. Et le militant anti esclavagiste Biram Ould Dah Ould Abeid, prix des droits de l’homme de l’ONU en 2013 et plusieurs fois emprisonné dans ce pays qui comptait encore 43 000 personnes réduites en esclavage en 2016, selon un récent rapport d’Amnesty international, en dépit de l’abolition de l’esclavage en 1981.
La situation sécuritaire de la Mauritanie est mise à l’actif du président Aziz. Il a réussi à enrayer la vague d’attentats djihadistes qui avait frappé le pays dans les années 2000. Et la Banque mondiale a salué, dans son rapport du 24 mai 2019, le rétablissement de l’équilibre macroéconomique du pays et les perspectives d’accélération de la croissance. Mais elle s’inquiète, entre autres, d’un faible marché du travail marqué par les inégalités hommes-femmes, la marginalisation des jeunes et l’économie informelle.
Des violations flagrantes des droits humains
Quant à la société civile, elle s’alarme des violations flagrantes des droits humains dans le pays. « Il faut que le prochain président mauritanien s’attaque de toute urgence à la situation déplorable du pays en matière de droits humains », revendique le Forum des organisations nationales de droits humains (Fonadh), soutenu par 31 organisations locales et Amnesty International dans un manifeste publié le 3 juin. « Trois candidats l’ont signé », déclare Mamadou Sarr, du Fonadh. Parmi les engagements du manifeste : la lutte contre l’esclavage et la traite des êtres humains, la défense de la liberté d’expression et l’adoption d’une loi pour lutter contre les violences faites aux femmes.
Mais les deux candidats qui font la course en tête se sont jusqu’ici abstenus de tout engagement. Le 17 mars, une délégation d’Amnesty International était refoulée à son arrivée à l’aéroport de Nouakchott. Le blogueur Mohamed Ould Mkheitir condamné pour apostasie croupit depuis plus de cinq ans en prison en dépit du fait que sa condamnation à mort a été commuée en deux années de détention. Les deux blogueurs Abderrahmane Weddady et Cheikh Ould Jiddou incarcérés en mars pour diffamation, pour avoir dénoncé un système de corruption impliquant le président, ont été libérés de manière provisoire le 3 juin.
Ils dénonçaient l’existence d’un compte bancaire doté de deux milliards de dollars aux Émirats arabes unis au profit du président Aziz. « Ce qui n’a pas été démenti par les Émirats », relève la présidente de l’association mauritanienne des droits de l’homme Fatimata Mbaye. « Les charges qui pèsent contre eux n’ont pas été retirées, ils n’ont pas récupéré leurs documents d’identité et ne pourront pas voter », dénonce Kiné Famia Diop d’Amnesty international.
Des ombres sur le scrutin
Beaucoup d’ombres planent sur ce scrutin qui devrait marquer la première passation de pouvoir entre un président sortant et son successeur élu alors que la vie politique mauritanienne a longtemps été secouée de coups d’État. « Les ministres, les gouverneurs, les fonctionnaires, etc., tous sont au service du candidat du parti au pouvoir, cela évidemment lui donne un avantage énorme », s’inquiète Mamadou Sarr. Et depuis les législatives de septembre 2018, l’UPR jouit de la majorité absolue au parlement.
De plus, l’achat de voix est une pratique courante selon Fatimata Mbaye. « Dans les villages, ce sont des familles entières qui donnent leur carte d’identité contre de l’argent ou des produits alimentaires pour que l’on vote à leur place », explique-t-elle. Pour le président Aziz et son dauphin, « l’enjeu est à tout prix de remporter l’élection dès le premier tour », ajoute-t-elle. Pour l’avocate, le président Aziz qui a encore la haute main sur l’armée et l’administration entend continuer à gouverner dans l’ombre de son dauphin.
Marie Verdier
Source : La Croix (France)