« Le peuple vénézuélien doit pouvoir décider librement de son avenir », écrivait le 26 janvier le président Emmanuel Macron sur Twitter. Presque en même temps Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union européenne, appelait « au rétablissement de la démocratie [au Venezuela] grâce à des élection présidentielles libres, transparente et crédibles ». « L’UE (…) est disposée à appuyer ce processus », concluait-elle. Rares sont d’ailleurs les dirigeants européens, des Allemands aux Britanniques en passant par les Espagnols, qui ne se sont pas prononcés depuis la fin janvier sur les événements du Venezuela.
A part quelques phrases assez ambiguës de plusieurs porte-paroles et d’un ministre français, aucun responsable gouvernemental européen, ni l’UE dans son ensemble, ne s’est en revanche exprimé sur la crise que vit l’Algérie. Pourtant l’Algérie intéresse et inquiète beaucoup plus l’Europe, et plus particulièrement celle du Sud, que ce lointain pays latino-américain.
La preuve c’est que, selon « L’Obs » du 28 févier, Macron a lui-même téléphoné à l’ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, pour s’enquérir de la situation et il lui a même demandé de faire un bref saut à Paris pour informer de vive voix son ministre, Jean-Yves Le Drian. Aucun appel n’a évidemment été passé depuis l’Elysée à l’ambassadeur de France à Caracas.
A voix basse, les chancelleries européennes parlent beaucoup de l’Algérie ces jours-ci, mais rien ne filtre. Le grand voisin du Sud semble commencer à traverser une crise et cela inquiète énormément bon nombre de capitales européennes. Son hypothétique déstabilisation mettrait en danger tout ce qu’attend l’Europe de l’Algérie et dont elle s’acquitte fort bien.
Des pays du Maghreb, l’Algérie est celui qui entretient formellement les relations juridiques et politiques les moins étroites avec l’UE -l’accord d’association de 2002 en est la pierre angulaire- car elle ne demande pas les aides que ses voisins sollicitent. Certes tous les Européens convoitent les hydrocarbures algériens, mais ils attachent aussi la plus haute importance aux efforts d’Alger pour endiguer sans contrepartie l’émigration irrégulière, de ses citoyens et des Subsahariens, et combattre le terrorisme et sa propagation en Europe et surtout au Sahel.
La déstabilisation, voire le chaos en Algérie peuvent signifier, par exemple, que les forces de sécurité ne contrôleraient plus aussi efficacement les frontières et les côtes du pays et que des dizaines de milliers de « harragas » pourraient prendre le large. Cette perspective fait paniquer l’Europe. Elle avait déjà provoqué des sueurs froides aux dirigeants européens en pleine décennie noir quand ils ont craint que les terroristes ne s’emparent du pouvoir. À l’époque, pourtant, l’Europe craignait moins l’émigration clandestine qu’aujourd’hui. Didier Guillaume, ministre français de l’Agriculture, a exprimé dimanche à la radio, à sa façon, ce pari européen en faveur de la stabilité du voisin algérien : « Nous avons besoin que cette zone soit pacifiée, calme et apaisée ».
Certes, au vue du rejet qu’il suscite, le cinquième mandat du président Bouteflika n’est pas le meilleur gage de stabilité. D’où le souhait, jamais déclaré ouvertement par les Européens, que ceux qui détiennent le pouvoir en Algérie se mettent d’accord sur un remplaçant qui sera consacré par les urnes et qu’importe si celles-ci sont un peu trafiquées. Aux yeux de l’Europe, la stabilité passe avant la démocratie car celle-ci en Afrique du Nord fait courir trop de risques à ses voisins européens. L’Egypte post Moubarak et la Libye post Kadhafi sont les meilleurs exemples de ces périls, aux yeux des diplomates du Vieux Continent.
L’Europe, et surtout la France, ont parfois prodigué des conseils discrets aux plus hauts responsables tunisiens et marocains sur la façon de conduire les affaires d’État. Macron l’a sans doute fait le 15 juin 2017 quand il a rendu visite à Rabat au roi Mohamed VI qu’il a décrit devant la presse comme « préoccupé » par la situation dans le Rif. Plus tard, en 2018, il a aussi laissé entendre au souverain qu’il serait souhaitable qu’il voyage moins à l’étranger et reste plus longtemps au Maroc, selon des sources diplomatiques françaises.
Une telle démarche est inconcevable avec l’Algérie pour deux raisons. D’abord le pouvoir y est bien moins monolithique qu’au Maroc, où il se concentre au palais royal, et qu’en Tunisie, où il était jusqu’en 2011 entre les mains de Ben Ali et de sa famille. A Alger il n’y a pas qu’un seul interlocuteur. Ensuite l’Algérie est plus tatillonne et soucieuse, du moins en apparence, de sa souveraineté que ses voisins. Elle prendrait mal qu’on lui fasse des suggestions même si elles viennent de chefs d’Etat ou de gouvernement bienveillants à commencer par ceux de l’ancienne puissance coloniale.
Les Européens continueront donc à regarder inquiets mais impuissants l’évolution de la crise algérienne.
Source: La Rédaction de Mondafrique