Le pouvoir durcit la répression à l’encontre des militants abolitionnistes. Dans le viseur des autorités, les militants d’IRA Mauritanie qui ne cessent de donner de la voix, depuis l’emprisonnement de leur président Biram Dah Abeïd dont ils réclament la libération. La violente répression, lundi 8 Octobre 2018, de la marche pacifique qu’ils organisaient en ce sens, témoigne de l’âpreté de la position du pouvoir.
Douze manifestants, dont la femme de Biram Dah Abeid, Leïla mint Ahmed, ont été conduits à l’hôpital national, suite à une charge particulièrement féroce de la police anti-émeutes. Trois d’entre eux, dont Abdellahi Abou Diop, souffrent de multiples fractures. Ces excès ont suscité une vague d’indignation au sein de l’opinion nationale, sans toutefois toucher la classe politique et la Société civile, restées muettes, tandis que, sur la Toile, les images des militantes et militants ensanglantés émouvaient le monde entier.
Pour la direction de l’organisation abolitionniste, il est clair que le pouvoir n’entend opposition que celle qui lui sied et l’arrange. Les actes que le pouvoir pose contre IRA, son président, sa famille – cf. le ciblage démesurément violent et gratuit sur Leila mint Ahmed Khlifa, épouse de Biram : « À terre, elle a subi des volées de coups de matraque et de rangers », rapportent plusieurs témoins dont Abdellahi Abou Diop – établissent tout aussi clairement que Mohamed ould Abdel Aziz et ses conseillers veulent éviter, à n’importe quel prix, d’avoir Biram et l’aile politique de IRA comme adversaires, dans des élections régulières. L’expérience de l’élection présidentielle de 2014 les hante ».
Aux yeux des dirigeants abolitionnistes, « le pouvoir avait été pris de court par la perceptibilité et l’impact du discours de Biram sur les populations déshéritées, ainsi que par l’extraordinaire capacité de mobilisation de la jeunesse abolitionniste. Aujourd’hui et en dépit des apparences, le système de Mohamed ould Abdel Aziz en est à chercher comment survivre. Il est convaincu, dans tous ses compartiments, sécuritaires, religieux et politiques, qu’il lui faut, d’abord, éviter toute activité légale du mouvement abolitionniste et de son leader. Il lui a donc fallu trouver un minimum de prétexte pour emprisonner Biram, en espérant le garder en détention jusqu’à la fin de l’élection présidentielle de 2019 ». Une thèse confortée par plusieurs observateurs : « c’est le plan que le pouvoir mauritanien a entamé et en partie accompli, en empêchant son plus farouche opposant, le plus déterminé, le plus populaire, à battre campagne pour les élections couplées (municipales et législatives) de Septembre 2018. Ainsi le chef de l’État et son camp ont pu limiter les dégâts colossaux que pouvaient leur causer les discours et stratégies du leader abolitionniste en liberté ».
Sévérité et rare violence
La tactique contre Biram et son mouvement implique la plus grande sévérité possible et violence, contre toute manifestation des militants abolitionnistes, en s’acharnant particulièrement sur ses symboles, Biram et son épouse Leila. Il s’agirait de réduire au maximum la contamination du mode de protestation téméraire d’IRA, qui pourrait séduire les mouvements contestataires, au cours d’une période de transition à haut risque, vu que Mohamed ould Abdel Aziz compte garder le pouvoir, d’une manière ou d’une autre. Les attaques ciblées des appareils judiciaire et policier contre la famille Biram Dah Abeid se veulent messages de fermeté, pour faire renoncer le public militant d’IRA à sa témérité et à son engagement. Lors d’une conférence de presse tenue à son domicile, au lendemain de la violente charge dont elle a été victime, madame Leïla mint Ahmed explique ainsi que les policiers l’ont personnellement visée. « C’est comme s’ils n’attendaient que moi, avec des ordres précis. Dès qu’ils m’ont reconnue, ils se sont jetés sur moi, à coups de matraques et de godasses. Je souffre de tout mon corps et n’eût été la pudeur, je vous aurais montré les ecchymoses qui le tapissent ».
Mise en garde
Après la marche, le coordonnateur de l’organisation, Elhaj Elid, a été convoqué au commissariat Riyadh 3. Selon le communiqué publié par la commission de communication d’IRA, « le commissaire s’est dit porteur d’un message des hautes autorités du pays, à transmettre à IRA-Mauritanie, lui signifiant que ses regroupements, même en domiciles privés, sont interdits, seront sévèrement réprimés et que toute manifestation organisée par IRA le sera dans le sang ».
« Nous interdire de manifester pacifiquement pour exiger la libération de notre leader injustement incarcéré, est un acte hors-la-loi et anticonstitutionnel », s’est exclamé Elhaj Elid. Avant d’ajouter : « les menaces, le harcèlement, la répression, les arrestations, la prison ne nous ébranleront point. Aucune manifestation ne sera annulée car on ne fait qu’exercer nos droits garantis par la Constitution […] ».
Le pari sur la résignation apeurée de la jeunesse des populations déshéritées paraît, de fait, fort risqué pour le pouvoir. S’il s’y obstine, la Mauritanie pourrait connaître un degré de contestation et de répression sans précédent. « Et, vue sous un autre angle, celui de l’excellente performance diplomatique du mouvement abolitionniste, l’escalade de la violence exposerait le régime de Mohamed ould Abdel Aziz à un isolement international mortel », prédisent les dirigeants d’IRA.
THIAM Mamadou
Encadré
Elan de solidarité à l’extérieur
La mobilisation ne faiblit pas, on l’a bien constaté lors de la Journée internationale de la solidarité avec Biram Dah Abeid, tenue le samedi 13 Octobre, à Paris, Cotonou et Dakar. Les panafricanistes, avec, en tête, Kémi Seba, leader de l’organisation « Urgences Panafricanistes », comptent « passer à l’offensive contre le pouvoir de Nouakchott », si la libération du leader abolitionniste n’intervient pas rapidement.
Front Line Defenders se dit, de son côté, « profondément préoccupée par le maintien en détention de Biram Dah Abeid, ainsi que par la violente répression des défenseurs-ses des droits humains qui exercent leur droit de manifester pacifiquement pour appeler à sa libération ». L’association Timidria (Niger) condamne avec la dernière énergie la séquestration et la discrimination dont est victime Biram Dah Abeid et les militants d’IRA en Mauritanie. Elle apporte son « soutien indéfectible et sa solidarité au camarade Biram Dah Abeid, dans sa lutte pour l’émancipation de la communauté haratine, victime de racisme et d’esclavage en Mauritanie.
Arrêté, le 7 Août 2018 à son domicile, Biram Dah Abeid a été mis en examen, par le tribunal de la wilaya de Nouakchott-Sud, le 13 du même mois, pour « incitation à la violence et menaces portées sur la vie des personnes ».