* La conférence des Chefs d’Etats africains du 1er Juillet 2018 à Nouakchott ayant pour thème principal la corruption, nous avons jugé utile de produire cet article sur le rôle de la société civile dans la lutte contre ce phénomène.
S’il y a une pratique néfaste qui tend à la généralisation, c’est bien la corruption ; fléau réparti sur toute l’étendue du globe, aucune partie de la Terre, aucun peuple, aucun pays en particulier n’a le monopole de cette tare. En tout lieu et de tout temps, la corruption est et demeure une gangrène qui vit insidieusement et se développe – souvent à grande échelle – dans le corps de la société dont le degré de corruption constitue un baromètre et reflète amplement l’image de celle-ci, avec tout ce que cela comporte comme freins conduisant à des retards regrettables des pays où la corruption hisse son étendard.
La corruption accroît la pauvreté facteur de sous-développement, entrave la bonne marche des services publics de base, empêche le développement tant social qu’économique et sape la démocratie. Elle demeure un handicap majeur qui porte préjudice au développement des pays, pénalise les entreprises, introduit des dysfonctionnements dans le jeu des marchés et dans les mécanismes de l’économie et, partant, prive l’Etat et les organismes publics d’importantes ressources financières.
Ce phénomène complexe et multiforme échappe de nos jours à toute classification, car si tout un chacun comprend ses manifestations dans son environnement personnel, la corruption tend à la globalisation et constitue même, à bien des égards, une culture et un mode de gestion dans certains pays où elle entame la confiance des institutions et ternit gravement leur image.
Selon la Banque Mondiale, il s’agit d’un phénomène globalement nocif qui a des effets délétères et souvent ravageurs sur le fonctionnement de l’administration et sur le développement économique et politique alors que Transparency International estime que le tiers des financements destinés au développement est englouti par la corruption.
Problème complexe auquel il n’existe pas de solution simple, la lutte contre la corruption doit constituer une priorité si l’on veut endiguer ce phénomène qui, en se généralisant, fait du tort aussi bien à ceux qui la pratiquent qu’au reste de la société dont elle empêche le développement par ses effets pervers. Hélas, cette lutte aurait du mal à porter fruit si, au plan moral, la société ne décidait pas fermement de regarder d’un œil plus culpabilisateur le corrupteur, comme elle le fait à l’égard du voleur, par exemple.
Ceci étant, au temps où la société civile se pose en sentinelle, elle lui revient de porter le combat contre la corruption, en le portant partout où il pourrait s’avérer efficace, en particulier par le biais des médias qui ont un rôle important à jouer, afin de mieux faire connaître à l’opinion publique les méfaits de ce phénomène. Ainsi, une vaste couverture médiatique consacrée à la corruption et une sensibilisation croissante de l’opinion nationale contribueront grandement à la mise à l’indexe de cette gangrène qui détériore le tissu tant social qu’économique des pays, en dénonçant avec constance, par l’écrit et par le verbe, dans les journaux, les radios, les télévisions, les réseaux sociaux ou tout autre support, et en étalant au grand jour l’ampleur du phénomène pour que plus personne ne puisse se voiler la face.
Les organisations de la société civile disposent en effet du «mandat public» pour assurer l’impulsion, donner de la force et occuper le leadership de la lutte, tant au niveau national que mondial, contre la corruption. Les efforts que ces organisations auront à fournir constitueront ainsi un cadre solide dans lequel viendront s’inscrire les actions des pouvoirs publics et des entreprises. Mais cela ne pourrait se faire, les fruits de ces efforts ne sauraient être cueillis sans l’adoption de nouvelles conventions internationales (convention OCDE – lutte contre la corruption d’agents publics étrangers entrée en vigueur en 1999), et la mise en place de nouvelles législations, de nouvelles réglementations, de nouveaux mécanismes de nature à permettre d’endiguer les pratiques de corruption et des actes assimilés dont le plus sournois est sans doute «le renvoi d’ascenseur». D’ores et déjà, l’adoption de la loi n°2016-014 du 15 Avril 2016 relative à la lutte contre la corruption est à saluer, mais le formalisme des textes devrait aller avec la réalité sur le terrain.
De même, la création de l’Observatoire Mauritanien de Lutte contre la Corruption (OMLCC) vient renforcer la stratégie pour lutter efficacement contre ce fléau ; Observatoire dont l’importance est telle que le pouvoir, par décret, approuvé en Conseil des Ministres du 19 Avril 2018, l’a déclaré d’utilité publique.
Aussi, le Comité National d’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE) créé par décret en 2006 et l’Initiative de Transparence de la Pêche lancée en Février 2016 constituent des créneaux qui, avec l’apport et l’implication de la société civile, sont à même de contribuer grandement à la lutte contre la corruption dont les effets n’épargnent ni le secteur minier, ni celui des ressources halieutiques.
La société civile mauritanienne doit donc s’impliquer davantage, en prenant la place qui lui revient au sein de ces organes (OMLCC, Comité ITIE), en jouant pleinement son rôle et en menant donc des actions préventives parallèlement à l’action de l’Etat, en formant et sensibilisant ses adhérents ainsi que la population, en œuvrant dans le pays avec le concours de toutes les forces vives et en travaillant à établir et à entretenir des relations entre les structures nationales qui pourront, à terme, conduire à la création d’un Réseau Régional et International de Lutte contre la Corruption.
Ceci étant, la lutte contre la corruption va de paire avec une justice indépendante, neutre et appliquée avec équité ; la justice doit donc occuper une place de choix dans la lutte contre la corruption, car, même si la nécessité d’inculquer le devoir de probité ou d’intégrité s’avère un impératif et que l’arsenal juridique existe, il est connu de tous qu’il est ineffectif, inadéquat et inappliqué – ou mal appliqué – du fait de la complaisance de certains de ceux-là même qui sont sensés les appliquer.
Avec une société civile dynamique, une justice qui n’est pas aux ordres, une législation adéquate, des mécanismes jouant pleinement leur rôle et une magistrature affranchie du joug du pouvoir exécutif et du pouvoir économique, la lutte contre la corruption pourrait remporter une victoire certaine sur une tare très ancrée dans la mentalité des citoyens.
La société civile est plus qu’interpellée, dans son rôle de veille et de dénonciation pour une application rigoureuse des textes qui ne font pas défaut dans la lutte contre la corruption car, en plus de la loi spécifique contre ce fléau, l’article 171 – plus général – du Code pénal réprime sévèrement les actes de corruption, en disposant que : «Sera puni d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à 20.000 UM, quiconque aura sollicité ou agréé des offres ou promesses, sollicité ou reçu des dons pour ……… faire ou s’abstenir de faire……….rendre une décision………………….dissimuler………….. etc…….. ». (voir aussi les articles 172 à 177 du même code).
Quoiqu’il en soit, la lutte contre la corruption ne peut être gagnée sans
– la nécessité de ne pas occulter la question de l’ignorance ;
– la nécessité d’inculquer le devoir de probité et d’intégrité ;
– la nécessité d’instaurer la transparence dans tous les secteurs d’activités pour permettre aux populations de mieux connaître les rouages des structures publiques et privées.
Par ailleurs, le rôle de la société civile ne doit pas seulement se focaliser sur l’aspect répressif de la corruption mais elle devrait s’investir par le biais des structures classiques de l’éducation, par l’intervention de nouvelles pratiques pédagogiques et par l’élargissement du champ de la sensibilisation à travers les campagnes générales (ou campagnes-cibles). Il est également important qu’un travail régulier, suivi soit accompli dans ce domaine par les membres de la société civile qui sont appelés à s’impliquer davantage tant dans leur lieu de travail qu’à travers les associations de proximité dont l’action mérite un soutien spécifique.
De même, la lutte contre la corruption n’étant pas chose aisée, parallèlement à l’OMLCC, la société civile doit, elle-même, avoir une structure propre dont le rôle et la mission seraient de contribuer efficacement à ce combat.
Le travail de cette structure devra être relayé par des actions plus volontaristes telles que la mise sur pied de moyens de lutte contre la fraude (électorale et autres), le développement de codes professionnels de déontologie, l’institution d’îlots de transparence, la création par les ordres et les associations d’instances spécialisées en leur sein ; la recherche de solutions pédagogiques spécifiques aux différents milieux de travail.
Malheureusement, toutes les stratégies et mécanismes déjà mis en place connaissent certaines limites, à savoir : la non-traduction en actes de la volonté politique affichée dans les textes ; le viol de ces textes, le plus souvent et en premier lieu, par les autorités politiques elles-mêmes ; l’absence de valeurs morales chez certains responsables et agents de l’Etat ; la limite des organes de contrôle à pouvoir détecter la corruption, etc. Ce qui fait que ce phénomène, malgré l’armada de textes, structures et moyens déployés, telle une hydre, un sphinx, renaît sans cesse de ses cendre.
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Certes, il n’existe pas – nous l’avons dit – de remède ou de recette-miracle qui puisse endiguer d’un coup le phénomène de la corruption mais le combat, qui doit être progressif et s’inscrire dans la durée, peut renverser la tendance.
Encore faut-il que la volonté existe ; surtout du côté officiel, car l’action de la société civile ne peut avoir de retombées positives et agir conséquemment sur la corruption si elle n’arrive pas à travailler avec toute la liberté requise.
Vaincre la corruption est une tâche ardue mais elle n’est pas impossible. Combattre la corruption (appelé bakchich dans les sociétés musulmanes) reste un impératif car, comme le souligne le Hadith : « Allah maudit le corrupteur et le corrompu ».
Maître Mine O. Abdoullah
Avocat à la Cour à Nouakchott
Professeur de Droit
Président de la L.M.D.H.
Président de PCQVP-Mauritanie