Esclaves et anciens esclaves de Mauritanie (Harratines): des chaînes de l’esclavage aux chaines de l’exclusion …

Esclaves et anciens esclaves de Mauritanie (Harratines): des chaînes de l'esclavage aux chaines de l'exclusion ...III – Les esclaves et anciens esclaves de Mauritanie (Harratines); Des chaînes de l’esclavage aux chaines de l’exclusion et de la marginalisation durant la période post-indépendance : Etat des lieux aujourd’hui

D’emblée, rappelons, que lors de la Conférence de Durban en 2001 en Afrique du Sud, organisée sous l’égide des nations-unies, la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance, les nations présentes ont déclaré :

«Nous reconnaissons que l’esclavage et la traite des esclaves et en particulier la traite transatlantique ont été des tragédies effroyables dans l’histoire de l’humanité en raison non seulement de leur barbarie odieuse mais encore par une ampleur de leur caractère organisé et tout spécialement de leur négation de l’essence des victimes ».

Or, la traite transsaharienne qui a duré 14 siècles contre 4 pour la traite transatlantique qui a concerné 14 millions d’esclaves contre 10 pour la traite transatlantique et qui a concerné essentiellement une population fragile, des enfants à bas âge et qui se termine par les opérations de castration qui font 80% de décès, doit être incorporé au même titre que la traite transatlantique.

Le fait que les esclavagistes (bouviers ou « gallabs ») soient arabes, musulmans et africains ne les a pas rendus plus humains que les esclavagistes européens.

La population mauritanienne composée de Wolof, Soninké, Poular et d’Arabo-berbères, d’esclaves et anciens esclaves (Harratines) vit de graves disparités et des pratiques d’un autre âge entretenu par un système de gouvernance discriminatoire et d’exclusion.

Les esclaves et anciens esclaves (Harratines), principales victimes de l’esclavage, constituent plus de 50% de la population du pays. Ils sont généralement pauvres, non instruits et habitant les quartiers périphériques des grandes villes et dans les zones rurales communément appelées «adwaabas », ils sont taillables et corvéables à merci, ils sont exclus du système économique, politique, social et culturel du pays.

Au demeurant, selon le rapport du rapporteur spécial des nations-unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie, et de l’intolérance qui y est associé, Mutuma Ruteere :

«Les esclaves et anciens de Mauritanie (Harratines) constituent le groupe ethnique le plus important en Mauritanie, sont aussi le groupe le plus marginalisé sur le plan politique, économique, social et culturel, dans une société qui demeure profondément stratifiée selon l’ethnie, l’ascendance, la caste et la classe sociale. »

Le même rapport estime qu’environ 50% des esclaves te anciens (Harratines) vivent dans des conditions d’esclavage soumis qu’ils sont à la servitude domestique, au travail forcé, ou au travail sous contrainte. Ils demeurent marginalisés et sous représentés aux postes économiques, politiques, et dans la fonction publique.

L’intégralité du pouvoir politique, économique, social, culturel ainsi que tous les compartiments financiers sont contrôlés par la seule communauté arabo-berbère. Les responsables de de crimes d’esclavage jouissent de la protection de l’Etat mauritanien et d’une totale impunité comme c’est le cas du jugement du Tribunal spécial de Néma qui a rendu son verdict dans le dossier 110-2016 en appel.

Il y’a de cela quelques mois, le 16 avril 2016, la Cour spécialisée en affaires d’esclavage condamnait les deux criminels, Hanena Ould Sidi Mohamed et Haliva Ould Hemeyda, qui ont réduit en esclavage, pendant 40 ans, fait qu’ils ont reconnu devant le Tribunal, les dames Vatimata Mint Zayd ( et ses 6 enfants) et Vatimetou Mint Hamdi (et ses 4 enfants), n’avaient écopé que d’une légère peine en première instance de 5 ans de prison dont un seul ferme et les quatre autres avec sursis.

Alors que la loi n°031-2015 portant criminalisation de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes ordonne un minimum de 10 ans et un maximum de 20 ans de prison ferme.

A la grande déception des militants anti-esclavagistes, voilà que le procès en appel de Néma, dans sa séance du 11 Juillet 2016, reconduit les mêmes peines de prison (1 an ferme et 4 ans de sursis) en accordant 3.500.000 UM en deux tranches à Fatimétou Mint Zayd et Vatimétou Mint Hamadi devra recevoir 6.000.000 UM en deux tranches, au lieu de 2.000.000 UM en première instance.

La peine de 5 ans avec 4 en sursis l’a aussi confirmé.

Un ami mathématicien qui aime les chiffres a calculé que chacune de ces 12 personnes a reçu comme réparation 2.000 $ environ pour 40 ans de pratiques esclavagistes. Ce qui est ridicule et constitue un encouragement pour les esclavagistes de continuer à perpétuer ce crime odieux. Ce verdict inique et honteux pour un pays qui se respecte démontre s’il en était besoin le peu de volonté de l’Etat mauritanien de combattre cette pratique qui constitue un crime contre l’Humanité et pour lequel le secrétaire général des Nations-Unies, Ban-Ki Moon s’est déplacé à Nouakchott pour rappeler au gouvernement de Mohamed Ould Abdel Aziz l’anachronisme de cette pratique archaïque et médiévale, précisant que les Nations-Unies et les nations civilisées du Monde ne continueront pas à accepter advertam eternam pour le régime de Ould Abdel Aziz ce qui n’a été ni accepté ni toléré pour le régime raciste de Peter Botha en Afrique du Sud au sujet de l’Apartheid.

Du reste, dans les prochaines semaines, ces deux criminels se verront bénéficier d’une liberté provisoire qui, par la force des choses, deviendra définitive, en dépit d’une longue bataille judiciaire menée par les militants anti-esclavagistes.

Profitant de la peur, de l’analphabétisme et de l’ignorance des esclaves et anciens esclaves (Harratines), la justice mauritanienne trouve toujours des subterfuges conduisant au versement de modiques sommes d’argent aux victimes en guise de réparation.

Par contre, treize militants de l’ONG anti-esclavagiste mauritanienne IRA ont été condamnés à des peines allant de trois à quinze ans de prison ferme par la Cour criminelle de Nouakchott, le 18 août 2016.

Pourtant, ces militants d’IRA ne faisait qu’exercer le droit que leur garantit la Constitution qui consacre la sacralité des libertés d’opinion, d’expression, d’information, d’association, de réunion, de déplacement et de manifestation. Ces énoncés constitutionnels s’imposent à tous les acteurs de l’espace public, à toutes les autorités politiques et administratives du pays.

Aucune raison ne saurait être évoquée pour suspendre les droits et libertés des citoyens que celle prévue par la Constitution en cas de crise politique majeure.

Le diagnostic de la situation passée et actuelle des haratines fait ressortir un tableau sombre, marqué par les ravages de l’esclavage, de la domination, de l’exclusion et de l’injustice. Le mal s’est perpétué sous la chape de plomb d’un ordre empreint d’archaïsmes et d’inaptitude à l’autocritique, finalement réfractaire à toute remise en question interne. Loin des discours idéologiques ou partisans, un simple survol de quelques chiffres et indicateurs permet de donner la mesure exacte de cette triste réalité (ces statistiques sont tirées en grande partie du Manifeste pour les droits politiques, économiques, sociaux et culturels des esclaves et anciens esclaves -Harratines- en date du 29 avril 2013):

– Plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d’esclaves et anciens esclaves (Haratines). Les estimations qui sont approximatives en l’absence d’études indépendantes du fait des tabous nés du refus systématique par les gouvernements arabo-berbères de recenser et de compter le chiffre exact d’esclaves et anciens esclaves (Harratines). On raconte à ce sujet que lors d’un précédent recensement général de la population, un recenseur s’est entendu dire par un Chef de famille que maintenant que vous m’avez recensé ma famille et moi, je vous demande de me recenser mes esclaves et mes animaux.

La connaissance parfaite du nombre de personne concernée par l’esclavage doit être la priorité de toutes les organisations internationales, ce que le gouvernement refuse complètement pour continuer à gonfler les chiffres de la communauté arabo-berbère prétendument majoritaire.

Les esclaves et anciens esclaves de Mauritanie (Harratines) sont encore réduits à l’abominable esclavage de naissance, de statut et de condition avec toutes les sujétions et les traitements inhumains et dégradants qui s’y attachent : travail forcé et non rémunéré, viols et exploitation sexuelle, séparation des familles, ignorance et pauvreté, misère sociale et économique, absence de perspectives d’avenir et exclusion… etc.

-Plus de 80% des 1 400 000 personnes les plus pauvres en Mauritanie sont issues de la communauté des esclaves et anciens esclaves (Haratine)

– Plus de 85 % des 1500 000 analphabètes en Mauritanie en sont également issus, de la communauté des esclaves te anciens esclaves (Harratines);

-Près de 90 % des petits paysans sans terre du fait de la tenure traditionnelle du sol ou de l’exploitation féodalo-esclavagiste, se recrutent au sein de ce groupe.

-Moins de 10 % des 30 000 hectares attribuées légalement et aménagés dans la vallée du fleuve ont profité aux petits paysans locaux, le reste à quelques dizaines de fonctionnaires, commerçants et hommes d’affaire souvent natifs des Wilayas non agricoles;

-La parcelle d’un paysan local est en moyenne de 0,25 à 0,5 hectare contre une moyenne de 200 hectares pour la parcelle d’un fonctionnaire ou homme d’affaires agriculteurs d’occasion;

-Moins de 10% des 2 à 3 milliards d’UM de prêts accordés annuellement par le Crédit agricole pour financer la campagne éponyme, profitent aux milliers de cultivateurs locaux (à majorité esclaves et anciens -Haratines) contre plus de 90% pour les dizaines d’entrepreneurs de l’agro-business [ou prétendus tels), ressortissants de milieux et de zones sans vocation agricole dans leur grande majorité;

-100% des dockers, domestiques, travailleurs manuels exerçant des métiers pénibles et mal rémunérés sont des esclaves ou d’anciens esclaves (Haratines);

-Plus de 80% des élèves de cette communauté n’achèvent pas le cycle primaire et moins de 5% poursuivent jusqu’au bout du cycle Secondaire,

-Moins de 5% des étudiants de l’enseignement supérieurs sont issus de cette communauté ; et une infime minorité de ce pourcentage perçoit des allocations d’études.

-80% des esclaves et anciens esclaves (Harratines) ainsi que leur descendance n’ont pas accès à l’Etat-civil.

-Moins de 2% des étudiants des grandes Ecoles nationales (ENAMI, Ecole des Mines, Faculté de médecine, EMlA…etc] et étrangères sont issus de cette communauté.

-Moins de 0,1% des villas et habitations de haut standing des quartiers chics de Nouakchott appartiennent à des esclaves et anciens esclaves (laratines);

-Moins de dix diplômés de cette communauté sur 200 ont profité du programme spécial d’insertion pour les diplômés chômeurs dans le secteur agricole au niveau de la plaine de M’Pourié à Rosso;

-Moins de 0,1% des opérateurs économiques (hommes et femmes d’affaires importants) sont des esclaves et anciens esclaves Haratines.

-Moins de 2% des hauts fonctionnaires et cadres supérieurs du secteur public et parapublic sont des anciens et anciens esclaves, les Haratines;

-Moins d’une dizaine de parlementaires de la Chambre Basse du Parlement des des esclaves et anciens esclaves (Haratines) sur 140 élus environ élus au niveau des deux chambres du parlement des esclaves et anciens esclaves ;

-au niveau du Sénat, sur 54 sénateurs, il n’y a aucun esclave et ancien esclave. Le seul qui y était est décédé, l’année dernière. Il s’agit de feu Mohamed Ould Beibou, sénateur de Nouadhibou.

-Moins de 15 maires sont des esclaves et anciens esclaves (Haratines) sur 216 et moins de 10 % de conseillers municipaux à l’échelle nationale;

-2 Ministres esclaves et esclaves (Haratines) dans les ministères les moins importants en moyenne sur les 30 dernières années sur plus de 40 ministres et assimilés; 20 ministres sur 600 de 1957 à 2012;

-Un seul Faghih agrée sur plusieurs centaines (décédé lui aussi il y’a quelques mois, Baba Oud Matta.

-Quelques dizaines d’lmams sur des milliers reconnus et agrées.

– 0 Secrétaires généraux de Ministères et Institutions assimilées sur 40;

-1 wali (gouverneur de région) sur 15;

-1 à 2 hakems (préfet) sur 54;

-1 seule Chef de Mission diplomatique sur 35 environ qui est une femme;

-0 Directeurs généraux d’Etablissement ou de sociétés publiques sur 140;

– Un seul Président de Conseils d’Administration, d’Etablissements ou sociétés publiques sur 140,

-Moins d’une dizaine de médecins sur plus de 600;

– Une vingtaine d’ingénieurs sur plus de 700, et pourtant moins de 2% des ingénieurs en service au niveau des grandes sociétés et établissements nationaux (SNIM, SOMELEC, PAN…etc.) sont des esclaves et anciens esclaves Haratines;

-Plus de 95% des diplômés supérieurs esclaves et anciens esclaves (haratines), se présentant aux concours et tests nationaux, se font stopper dans les ultimes phases d’entretiens verbaux même quand ils sont les premiers à l’écrit;

-La grande majorité des diplômés des esclaves et anciens (Haratines ) sont condamnés à l’exil, à la reconversion professionnelle ou à se résigner à l’exercice de métiers réputés ingrats et peu lucratifs (enseignants, guides touristiques, travail à temps partiel…etc.)

-0 Président ou directeur de banques, de sociétés d’assurance ou du secteur financier, de directeur de radio ou de télévision, parmi quelque dizaines d’établissements de cette nature.

-Sur 10 chaines de télévision et de radio affectées par le pouvoir, aucune n’appartient à un esclave et ancien esclave (Harratines)

-Moins de 20 professeurs d’université sur un nombre avoisinant les 300.

-Une demi-douzaine de magistrats sur plus de 200.

-Moins d’une dizaine de diplomates sur plus de 150.

-Moins d’une dizaine de commissaires de police sur plus de 140.

-Une dizaine d’administrateurs civils sur plus de 200 souvent non nommés à des postes importants.

-Moins de 40 officiers supérieurs sur plus de 500, dans ce cadre, le corps de la garde nationale constitue une caricature de la sélection ségrégationniste à l’égard des fils de cette communauté d’où leur nombre infime parmi les officiers tous grades confondus; `

-Un seul esclave et ancien esclave (Harratine) – médecin de surcroît – promu in extrémis au grade de général depuis moins d’un mois, sur les 19 généraux qu’a connus la Mauritanie ou qu’elle connaîtra d’ici la fin de l’année 2013.

-Il n’y a pas d’hôtels, ni d’auberges, ni de stations d’essence, ni de boulangerie, ni d’épicerie qui appartient à des esclaves ou anciens esclaves (Harratines)

Ce tableau illustre à suffisance la marginalisation, voire l’exclusion des membres de cette communauté qui cumule tous les handicaps tant sociaux et culturels que politiques et économiques, et font face, de surcroît, à toute sorte d’obstacles et d’embuches dressés devant leur promotion.

Les rares cadres, esclaves et anciens esclaves (Harratines), qui parviennent à se hisser au rang de l’élite nationale atteignent très le plafond de verre et cessent dès lors de pouvoir prétendre à diriger les hautes sphères de l’Etat à moins qu’ils ne soient en réalité que sous-fifres de quelques gros bonnets du système. A cet égard, le système de filtrage et de censure au sein des forces armées et de sécurité pour réduire à la portion congrue la présence des officiers esclaves et anciens esclaves (Harratines) met en évidence la nature particulariste et rétrograde des orientations de la haute hiérarchie de notre «grande muette» devenue par la force des choses, à la fois gardienne et maitresse du Temple du pouvoir.

Ainsi, depuis quelques années déjà, le recrutement des élèves officiers n’obéit plus que de façon formelle aux critères objectifs de sélection. Mis à part l’opacité qui entoure les examens de recrutement, la plupart des nouveaux cadets de l’Ecole militaire inter-armées d’Atar (EMIA) sont sans baccalauréat pourtant diplôme minimum exigé pour participer à ce genre de concours.

Cette vérité agace et indispose ceux qui la vivent au quotidien et touche à la dignité de tant de citoyens et crève les yeux rien qu’en regardant les séquences télévisées des cérémonies annuelles de sortie des promotions d’officiers à partir de l’EMIA.

L’armée d’ailleurs n’est qu’un prototype des pratiques et des lignes de conduite bien ancrées dans les hautes sphères de l’Etat mauritanien. Les fuites et indiscrétions sur les réunions de groupe de réflexion destinées spécialement à planifier la marginalisation des esclaves et anciens esclaves les attitudes qui en disent plus que les mots quand ce ne sont pas des déclarations de condescendance ou de racisme cru sont là pour nous édifier davantage sur la réalité d’une Mauritanie hypocrite et secrète très déphasée à l’image qu’elle veut bien projeter d’elle à l’extérieur.

Ainsi, la Mauritanie devient le seul pays au monde où l’Etat applique la discrimination négative dont le signe distinctif est qu’elle fixe un quota planché, figé et profondément injuste pour les communautés défavorisées alors que la discrimination positive, qui s’impose dans de tels cas, justifierait exactement d’une logique inverse.

Le diagnostic ainsi réalisé conduit à formuler des recommandations dans les différents domaines en vue de corriger les injustices des équilibres et les écarts relevés. Les propositions qui suivent devraient constituer la trame de fonds d’une stratégie de plaidoyer et d’action en faveur de la mise en place de politiques publiques et de programmes d’éradication de l’esclavage et d’émancipation des esclaves et anciens d’esclaves (Harratines) de Mauritanie.

IV – Stratégie pour un plan Marshall financé par le gouvernement français et un chronogramme destiné à mettre fin définitivement à l’esclavage en Mauritanie.

A suivre mercredi prochain, le 07 Septembre

Par Ahmedou Vall Messaoud, ancien gouverneur et membre du Manifeste pour les droits politiques, économiques, sociaux et culturels des esclaves et anciens esclaves (Harratines)

Tél. : 00 222 46 50 11 25
Email : vallmessaoud@gmail.com
Source : Ahmedou Vall Messaoud