Depuis le mois de juillet, une lycéenne croupit dans une prison mauritanienne, dans l’indifférence et le silence de la communauté internationale. Son crime : avoir écrit, dans une copie de bac, quelques phrases jugées blasphématoires contre le prophète.
Maria est une jeune fille de 19 ans, originaire de la ville saharienne d’Atar (environ 20 000 habitants). Au mois de juillet dernier, comme des milliers d’autres jeunes filles et garçons, elle passe l’épreuve du bac. Or, dans ce pays régi par la charia, l’examen comporte une épreuve de religion. Évidemment, pas n’importe quelle religion : il faut montrer ses connaissances en histoire de l’islam. Une épreuve banale, a priori. Mais ce jour-là, catastrophe. Le correcteur détecte, dans la copie de Maria, un passage « blasphématoire » contre le Prophète. Aussitôt, tout s’emballe. Il aurait pu se contenter de lui mettre un zéro et c’était fini, mais non : le zélé professeur s’empresse de diffuser la copie sur Facebook, pour dénoncer à la masse bénie des croyants le scandaleux forfait de cette jeune dévoyée. Résultat, le ministère public inculpe Maria pour « moqueries et insultes à l’encontre du Messager de Dieu, Mahomet (que Dieu le bénisse et lui accorde la paix) ». Et le 26 juillet, la lycéenne est emprisonnée.
Jeune fille contre Prophète, de quoi déclencher une érection générale chez les barbus. Le Conseil des imams publie un communiqué pour rappeler « l’interdiction de maudire le Prophète, que Dieu le bénisse et lui accorde la paix », et l’obligation que « l’agresseur qui porte préjudice aux croyants [soit] soumis à la peine de mort établie par la charia et stipulée par la loi ». Plusieurs jours durant, d’enragés soldats d’Allah défileront dans les rues de la capitale, Nouakchott, pour demander la mise à mort de la lycéenne.
Seule petite consolation dans cette piteuse histoire : malgré son intention louable, en relayant la copie de la lycéenne sur Internet, le prof dénonciateur sera, lui aussi, emprisonné pour diffusion de textes blasphématoires. Mais il sera vite libéré, contrairement à Maria, encore enfermée à ce jour, dans l’attente de la date de son jugement.
Silence total
Pire encore, plus la moindre information sur cette malheureuse. Quelques lignes dans la presse locale, et on est passé à autre chose. En Mauritanie, c’est un banal fait divers. Rien de plus dans les médias internationaux. Aucune prise de position. Rien.
Pour seule défense, Maria a quand même droit à un avocat commis d’office. En cherchant, j’ai fini par découvrir son nom. J’ai tenté plusieurs fois de l’appeler, mais il n’a jamais répondu à mes sollicitations. Mes amis journalistes mauritaniens ne sont pas étonnés de ce silence : « C’est normal qu’il ne veuille pas parler, car il a peur des réactions des gens. Un avocat qui défend quelqu’un accusé de blasphème risque d’avoir des problèmes. »
Dans ce contexte, pas facile d’avoir des infos. Pour commencer, est-ce que quelqu’un sait précisément ce que la lycéenne a écrit ? La copie a vite disparu d’Internet. J’ai trouvé des gens qui ont pu la lire durant son bref passage sur le Web. Cela m’a donné au moins trois versions différentes. D’après certains, Maria aurait évoqué la sexualité du Prophète, en rappelant qu’il se mariait avec des jeunes filles (ce qui n’est pas un secret). D’après d’autres, elle aurait mis en cause la probité de Mahomet, en l’accusant de racket… D’autres encore me disent que Maria « a écrit que les injustices sociales existaient à l’époque du Prophète. Or dire qu’il y a des inégalités dans la religion est offensant ». Maria est également accusée d’avoir « utilisé les réseaux sociaux pour blesser la sainteté de l’islam », mais personne n’a pu me donner la moindre confirmation sur ce point. Quoi qu’ait écrit cette jeune fille, il est évidemment scandaleux de la jeter en prison. C’est ce qu’on se dit, si l’on raisonne en démocrate. Mais en Mauritanie, c’est une autre affaire. Dans ce pays, le droit au blasphème n’est pas un argument de défense. Ceux qui osent, timidement, soutenir Maria doivent adopter d’autres stratégies. Premier argument, rapporté par de nombreux interlocuteurs : « On n’est même pas sûr que ce soit elle qui a écrit cette copie. » Effectivement, en Mauritanie, comme en France, les copies du bac sont anonymes. Donc, comment le prof a-t-il pu identifier Maria ? Mystère.
Médiatiser ou ne pas médiatiser ?
Autre argument : l’irresponsabilité. Le frère de Maria a publié un communiqué pour dire qu’elle « souffre de troubles psychiatriques et suit un traitement depuis trois ans ». Même son de cloche chez les parents, qui disent avoir observé chez leur fille « un manque d’élocution, de la fatigue, beaucoup de sommeil et une fréquentation des toilettes à des heures étranges, ce qui [leur] suggérait un trouble psychologique dont elle souffrait ». Tout le monde y voit une piètre excuse, mais la famille n’a guère d’autre choix. Les parents ajoutent, cependant, dans le même texte : « Nous serons les premiers à désavouer notre fille si elle était reconnue coupable dans cette affaire. » Prêts à renier leur propre enfant, quoi de pire ? Faut dire qu’ils risquent gros, eux aussi. Depuis, la famille reste muette et injoignable.
Beaucoup pensent que Maria est victime de son appartenance ethnique au groupe des Haratines. On a vu qu’il y avait différentes communautés en Mauritanie, notamment les Maures blancs, qui ont les postes clés, et les Haratines, qui sont des descendants d’esclaves. Même si la plupart sont libérés (mais pas tous), ils restent stigmatisés. Beaucoup d’observateurs, comme le militant laïque Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir, estiment que « si cette fille avait été maure plutôt qu’haratine, elle n’aurait même pas été arrêtée. Il y a des Maures qui ont dit des choses bien pires et n’ont pas été inquiétés ».
Personne ne défend cette pauvre Maria. Aucun soutien politique, ni en Mauritanie ni ailleurs. Silence total des ONG. J’ai contacté le bureau des droits de l’homme des Nations unies en Mauritanie. On m’a répondu « qu’il vaut mieux ne pas médiatiser cette affaire, on essaie de faire avancer les choses ». Du coup, je m’interroge. Avec mon article (le premier, à ma connaissance, dans la presse française, voire internationale), vais-je augmenter ses chances de libération, ou au contraire aggraver son cas, en prenant sa défense dans un journal blasphémateur comme Charlie ? Mais d’un autre côté, l’expérience montre que les gens emprisonnés ont généralement plus de chances d’être libérés s’ils sont soutenus par la communauté internationale que s’ils sont oubliés de tous… Qu’en pense Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir ? « J’ai contacté Amnesty, et ils m’ont dit qu’ils ne faisaient rien, car la famille de Maria ne veut pas médiatiser, mais calmer la situation pour mieux négocier. Mais moi, je pense différemment et qu’il faut médiatiser. J’ai été en prison et je sais que la pression internationale peut avoir du poids. » Maria n’est pas la seule à pâtir de l’islamisme. De l’Iran au Pakistan, combien de victimes de cette belle religion qui prétend défendre son Prophète en jetant des jeunes filles au cachot ? Pour quelques cas médiatisés, combien dont on ne parle pas ? Ne pas les oublier serait la moindre des choses.
Source : Charlie Hebdo